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L'esprit de notre pédagogie

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Janvier 1963

Nous recevons la lettre ci-dessous :

J'ai reçu ce matin la chronique de l'ICEM, avec en particulier le compte rendu des journées de travail de Cannes. Je vais vous soumettre les quelques réflexions que je fais au fil des lignes de ce compte rendu. Je vois que vous avez débattu de questions importantes, qui risquent de changer l’orientation de mon travail en particulier, je parle de mon travail de délégué départemental. Car pour mon travail en classe, vous connaissez ma pensée : pas de pagaille, mais une loi adaptée au travail vivant que permettent les techniques Freinet, une loi que chacun devra respecter, mais une loi dont chacun pourra demander la modification. Je pense que c'est cela la démocratie en classe. D'ailleurs la loi adoptée par tous a une force qui ne provoque pas de réactions affectives des enfants. Le maître ou les présidents n'imposent pas leurs désirs personnels, mais sont simplement les responsables qui font respecter une loi qui existe en dehors d'eux-mêmes.

Cela permet d'éviter les chocs affectifs entre maître et enfants qui sont les plus graves. Une codification des rapports évitera l'arbitraire de même que les manifestations d'indiscipline.

Il faudrait arriver à trouver des lignes de force que chacun de nous suivrait en tenant compte de ses conditions particulières.

Voilà une grande tâche pour vous. Vous avez parlé des recours-barrières pour les enfants, il faudrait peut-être en trouver aussi pour les maîtres. Nous avons parfois besoin de nous raccrocher à une ligne de force qui nous aiderait à découvrir une conduite dans certaines circonstances, comme nous avons besoin de barrières dans d’autres.

Je crois que cette question de la liberté dans l’Education reste à préciser. Je lis en ce moment le livre du Dr Berge, qui traite précisément de cette question.

Il faudrait, je pense, que vous précisiez nettement ce problème. Nous en avions discuté longuement l'an passé, dans notre cahier de roulement et je m'étais heurté à une camarade sur ce thème.

Pigeon m'appuyant, j’ai continué sur la voie que j’avais décidé de suivre et actuellement je ne m’occupe guère de la question discipline. Quelques mises au point suffisent dans cette école où cependant 30 classes cohabitent. Au son de cloche, mes élèves se mettent en rang comme il faut, le président les fait entrer et je n’ai même pas besoin de sortir de classe. Je crois que le « président de jour » a beaucoup transformé l’atmosphère de la classe. Le fait que chacun à son tour puisse diriger la classe et être le chef a fait mieux comprendre à tous la nécessité de l’obéissance à la loi. Car, bien sûr, c'étaient les plus insoumis qui étaient les présidents de jour les plus stricts. Cela va de soi. Les insoumis sont toujours des enfants à forte personnalité et ils sont de bons responsables en général.

Sur mon cahier de roulement, tout comme dans des discussions avec des camarades j’ai remarqué que beaucoup avaient mauvaise conscience lorsqu'ils devaient imposer une règle à l'enfant.

Lorsqu'ils le pouvaient ils devaient donc laisser à l'enfant le maximum de liberté, même si cela devait amener une certaine anarchie.

Je pense qu'une société a besoin de règles. Qu'au départ, une certaine anarchie, contrôlée par le maître, règne en attendant la mise en place de règles découvertes par les enfants n’est pas grave et peut-être est-ce même très éducatif. Les enfants comprendront mieux les règles que leur vie en commun leur a permis de découvrir, les règles dont ils ont senti eux-mêmes la nécessité. Et nous retombons là sur ma discussion de l'an passé. J’avais imposé dès le départ, une loi adoptée et mise au point l’an précédent. Le travail vivant que cette loi permettait l'a vite fait comprendre et respecter aux enfants. Et j’ai gagné du temps sans aucune période anarchique. La mise en place d’un nouvel atelier amène toujours une période de flottement. Les heurts, les échecs, permettent de réviser les règles de travail du départ. Mais, quand une règle de travail rationnelle a été mise au point, faut-il repartir à zéro l’an suivant avec de nouveaux élèves? Je ne le pense pas. Qu’on laisse à ces enfants une période d’adaptation, une période de tâtonnement, cela est normal. Mais je pense cependant que la marge de liberté par rapport à la règle établie doit être limitée justement pour éviter l’anarchie, les heurts qui dégénèrent vite en pagaille.

Je pense que seuls des maîtres particulièrement expérimentés peuvent se permettre de laisser les enfants faire une expérience assez poussée dans le domaine d'une anarchie de départ contrôlée.

Les jeunes ont besoin de s'enfermer dans des règles de travail strictes, qui leur soient des recours. Eux aussi doivent tâtonner pour s’adapter à une nouvelle pédagogie. II leur faudrait une fiche guide d'organisation du travail, une fiche guide des rapports avec les enfants :

1° - Ce que vous devez laisser faire.

2° - Ce que vous pouvez tolérer au départ, à condition de rester maître de la situation.

3° - Ce que vous ne devez pas tolérer.

L'enfant a besoin de savoir clairement ce qui est permis et ce qui est défendu, surtout le jeune enfant, avant qu’il puisse en décider par lui-même.

Pigeon nous disait qu'un enfant laissé libre, serait malheureux. Je le pense aussi. Il serait trop dispersé et aurait aussi l'impression qu’on se désintéresse de lui. Vous l'avez d'ailleurs bien précisé lorsque vous avez parlé des recours-barrières. Mais combien même des anciens ont lu : ESSAI DE PSYCHOLOGIE SENSIBLE ET I’EDUCATION DU TRAVAIL?

Puisque nous sommes au siècle des référendums, on pourrait essayer de le savoir et peut-être cela expliquerait les difficultés, les hésitations, les tâtonnements anormaux.

Je lis toutes les brochures de I'ECOLE MODERNE, je lis en plus, tous les EDUCATEURS REGIONAUX ; je constate dans les réunions que même des anciens ignorent des choses qui ont été réglées depuis fort longtemps. Ils sont en plein tâtonnement sur des questions résolues. Cela est peut-être éducatif, mais ce n'est pas la voie du progrès. Personnellement, j'ai, grâce à un travail assidu dont je n'ai à tirer aucune gloire puisqu’il ne m'en coûtait rien et qu'il m’apportait beaucoup de joie, pris pied sur un tremplin, un palier installé par les anciens. A partir de là, je démarrais tout de suite dans la course avec les travailleurs.

Les enfants, en partant de leur expérience propre, n'ont pas à refaire tout le chemin parcouru par l’humanité pour arriver aux connaissances de notre temps, car ils font des bonds dans l’espace. Ils se servent d’outils qu’il a fallu des siècles pour mettre au point et se trouvent d'emblée dans notre siècle. Il en est de même en pédagogie. Vos découvertes nous permettent un démarrage rapide. Le Bohec s'étonnait dans le cahier de roulement que des jeunes qui démarraient obtenaient avec les enfants des poèmes d'une sensibilité profonde et ceci d'emblée. Ils avaient tout simplement profité de ses leçons comme j'en avais profité moi-même.

Des camarades anciens s'étonnent du chemin que j'ai parcouru rapidement dans le domaine du dessin d'enfant, alors qu'eux, depuis quelques années, tâtonnent sans trouver la réussite. J'ai tout simplement bénéficié de l’expérience profonde d’Elise Freinet sans laquelle j'en serais sans doute encore aux premiers balbutiements dans ce domaine.

Idem pour d'autres techniques. J’ai dit et répété aux réunions que ce qui était essentiel, c’est de lire beaucoup les écrits de l’ECOLE MODERNE et de méditer. Et si vous constatez que les techniques sont en passe de prendre le pas sur l’esprit, je vois là une des raisons principales : le manque de lecture et de méditation.

La mise au point des techniques, suppose une recherche souvent plus matérielle que spirituelle, organisation des ateliers, boîtes etc... manière de faire.

Tout cela est apporté en partie par les visites de classe et les articles : Comment je travaille dans ma classe.

Cela est certes nécessaire, parce que cela fait gagner du temps et que ce temps précieux récupéré sur la mise au point des techniques permet d’approfondir la pensée.

Combien de fois discute-t-on de sujets pouvant accrocher la pensée au cours des réunions? Rarement.

Dès que je branche sur ce chapitre, je sens que ça ne suit plus.

Chez Ménard, après la mise au point du Texte Libre, la discussion s’est orientée sur l’histoire.

J’ai placé mon pavé pour provoquer des réactions et cette fois ça a démarré parce qu’il y avait des Inspecteurs Primaires,

Nous avons abordé l'enseignement de l'histoire dans son fond éducatif et non plus dans son côté pittoresque.

Chez Yvin, le 17 janvier, nous aurons l'après-midi : la coopération : organisation et surtout, comment créer un climat de confiance.

S'il y a des camarades en nombre nous pouvons faire un travail fructueux. Il faut sortir des techniques. Il faut approfondir la pensée.

Et là, j'ai un petit reproche à vous faire. Dans un des derniers EDUCATEUR (1) vous avez dit que les techniques Freinet ne donnaient pas plus de travail que les autres. Je pense que pour un jeune, cela n'est pas possible.

La mise au point des techniques, ne demande peut-être pas un travail trop long, mais la pensée ne s’assimile pas si rapidement.

Quand j'ai démarré, j'ai travaillé un an au rythme minuit-6 h. J’ai mis les techniques au point rapidement, grâce à un travail profond de recherche et j'ai pu approfondir votre pensée.

Même si à l'Ecole Normale, vos techniques étaient étudiées à fond il resterait l'étude de la pensée qui, elle, nécessite un travail quotidien de méditation.

Or, dans les méthodes traditionnelles, on se contente d'enseigner. Pas besoin de se creuser la tête. Nous avons, nous, un autre but.

Alain disait « je pense avec ma plume », je crois qu'il en est de même chez moi. Tout ce que j'ai dit, doit être terriblement décousu. Je ne suis pas un littéraire et j'ai horreur d'écrire des articles. J'aime bavarder au fil de la pensée, cela me défend et m'aide à méditer. Je pense maintenant avoir trouvé une des raisons pour lesquelles les TECHNIQUES FREINET sont en passe de prendre le pas sur l'esprit.

Elle est simple.

Le noyau actif de l'Ecole Moderne est formé d'hommes et de femmes pour lesquels l'Education est primordiale. Ils ne sont pas seulement des « instructeurs » mais aussi des éducateurs. .

Beaucoup de vos techniques ont un double but : EDUQUER et INSTRUIRE.

Ceux qui ont saisi votre pensée, ceux qui s’en sont profondément imprégné, exploitent vos techniques sous cette double projection.

Ils donnent ainsi des connaissances aux enfants et ce qui est plus important, ils forment leur personnalité ou ils les aident à forger leur personnalité.

Le travail de propagande que nous avons intensifié a amené à nous des instituteurs qui n'arrivaient plus à rien avec les méthodes traditionnelles, des instituteurs qui avaient pris conscience du déphasage de ces méthodes avec des enfants totalement différents.

Qu'ont-ils vu dans ces techniques?

L’aspect instruction.

Ils ont vu qu'avec vos techniques ils pourraient redonner goût au travail à des enfants qui ne s’y intéressaient plus que médiocrement. Ils ont trouvé une manière intelligente de faire acquérir des connaissances (cela est déjà un progrès).

La correspondance, le texte libre, motiveraient l'apprentissage de la langue française.

La coopérative, les échanges, motiveraient l'apprentissage du calcul mécanique. Pour ces apprentissages ils trouveraient des fichiers et des cahiers autocorrectifs éducatifs (car le travail personnel est éducatif) et pratiques.

S’ils appliquent bien tout cela, la vie entrera dans la classe, mais l’aspect technique sera demeuré primordial pour eux. Ils seront passés à côté de l'aspect éducatif, de l’aspect formatif de vos techniques, car ils appliqueront trop mécaniquement et feront des erreurs qui scolastiseront. Ils ne verront plus que l’aspect extérieur par exemple du texte libre.

Ce texte libre, même au CE, sera une narration d’événements vus, vécus parfois, mais où l’enfant ne s'engagera plus profondément. A travers ce texte libre, ils ne verront plus la possibilité d’entrer dans l'enfant, de le connaître pour l’aider, de lui permettre de se libérer.

Il en sera un peu comme de la méthode mixte en lecture où l'on partira d'un départ global pour revenir rapidement à la vieille méthode syllabique.

On aura détruit la valeur de la globalisation.

J’arrive mal à préciser ce que je veux exprimer. Je crains fort que même dans les 20 % beaucoup font prédominer les techniques sur l’esprit. Cela vient aussi de la haute valeur des techniques.

J’en reviens à votre article (1) sur le fait que les TECHNIQUES FREINET ne demandent pas plus de travail. Cela peut nous amener des partisans de la nouveauté qui verront dans les TECHNIQUES FREINET une méthode plus agréable et qui ne leur donnera pas plus de travail. Ceux-là commettraient des erreurs qu’il sera difficile de récupérer ensuite, tant il est vrai qu’une réussite ne fait jamais oublier un échec.

Il faut maintenant se poser le problème afin de nous ouvrir la route pour notre tâche,


Je me suis engagé à fond, vous le savez. J’ai lancé quelques offensives d’envergure cette année dans plusieurs directions.

Celle vers les IDEP est fructueuse. Je crois que de ce côté il y aura moins de danger car eux comprendront la pensée et s’y accrocheront. Et de toute façon leur compréhension permettra aux jeunes camarades qui aiment leur métier et sont décidés à devenir des éducateurs, de travailler en sécurité.

Je viens de lancer vers les classes de perfectionnement ; là, nous touchons des gens qui ont déjà conscience de l'importance de l'éducation (peut-être suis- je en train de me faire beaucoup d’illusions?).

Si je me fais des illusions, alors cela risque d'être néfaste. Ils adopteront peut-être le texte libre, les fichiers etc... et ils ne comprendront rien à ce que vous avez voulu réaliser par vos techniques.

J'entreprends une offensive pour faire connaître notre matériel et nos éditions avec notre libraire.

Dois-je poursuivre ou stopper?

En un mot :

1° - le mouvement de l’Ecole Moderne doit-il être un mouvement des pionniers de l'Education, un mouvement des travailleurs d’avant-garde de la pédagogie, un mouvement pur dont vous pourrez être sûr qu’il ne dérogera pas à l'esprit de vos techniques, ou

2° - devons-nous faire connaître le plus possible vos techniques au risque d'entraîner avec nous, des collègues qui ne verront que la pratique et non pas l'esprit.

Nos techniques gagnent du terrain car nous voulons qu’il en soit ainsi, (j’ai obtenu une page pédagogique régulière dans le bulletin syndical, page où je me proposais de traiter de techniques pouvant servir à tous. Il me fallait toucher par ce côté, avant d'attaquer du côté esprit).

Nos techniques gagnent :

Est-ce un bien?

Est-ce un mal?

Le texte libre est pratiqué dans beaucoup de classes, mal en général. Mais nous avons perdu tout pouvoir de contrôle sur lui. Il y a le texte libre des militants de I'ECOLE MODERNE, qui a gardé sa pureté et il y a le texte libre de l’Ecole traditionnelle.

Je pensais que l’introduction de vos techniques dans une classe en bouleversait radicalement l’esprit. Je me basais sur mon expérience personnelle. Votre discussion de Cannes semble montrer que si un bouleversement a lieu, il ne touche pas suffisamment, dans certains cas, à l’esprit du travail.

Je ne suis pas d'accord avec le camarade qui demande la suppression des discussions psychologiques et philosophiques. Au contraire, c'est de là que j'attends le salut, car elles obligent ceux qui veulent y participer à s'élever au-dessus des problèmes pratiques. Il nous faut de vastes débats, des colloques nombreux qui arrivent à transformer l'esprit de toute l'éducation. Nous n’avons pas à nous adapter à l'Ecole traditionnelle, mais à lui transformer l’esprit. Pour cela, l'aide des psychologues et des philosophes, nous sera précieuse.

Demain je me dirai : « A quoi bon écrire, d'autres diront mieux que toi ce qu'il y a à faire». Mais nous sommes tous dans le même bateau et s'il faut remonter la pente, je veux pousser avec les camarades.

En résumé :

1° - Pour la question de la liberté :

Une fiche-guide pour les maîtres (fiche à adapter aux différents âge des enfants).

feu vert 1. - Ce que vous devez laisser faire aux enfants pour leur permettre un développement normal de leur personnalité. Quelle doit-être votre attitude.

feu orange 2. - Ce que vous pouvez tolérer momentanément mais à condition de demeurer maître de la situation.

feu rouge 3. - Ce que vous ne devez jamais tolérer.

2° - Pour faire retrouver l’esprit : encourager à lire ; organiser des discussions sur des thèmes psychologiques et philosophiques ; continuer l’action entreprise par TECHNIQUES DE VIE.

3° - Problème. Continuer la diffusion intense de nos techniques, de notre matériel, de nos éditions au risque de perdre le contrôle des techniques. Ou demeurer un mouvement d’avant-garde, ne recrutant que les meilleurs travailleurs.

J’ai été très long et je n'aurai peut-être présenté qu'une partie de ma pensée.

En tous cas, je continue mon travail intensif pour faire comprendre les techniques Freinet.

L’exemple des six normaliennes, stagiaires ici, montre qu’elles ont compris l’esprit avant de connaître les techniques.

Pourquoi?

Parce qu'elles ont vu vivre des classes Freinet.

Je crois que tout dépend du biais par lequel on vient aux TECHNIQUES FREINET.

Si on y vient après avoir vu une classe au travail, une classe où l'esprit est prépondérant, alors on fait partie de ceux qui ont compris, de ceux qui, même s’ils ne peuvent faire demain que 20 % des TECHNIQUES FREINET, auront quand même l’esprit.

Si on y vient après avoir été touché par un prospectus, par une BT, par un fichier, alors, je crois que c’est différent.

Il y a dans les TECHNIQUES FREINET deux zones, deux catégories :

— les techniques à caractère éducatif,

— les techniques à caractère pratique.

Dans la première je mettrais le texte libre, l'expérimentation personnelle et les techniques de libre expression.

Dans la deuxième, les fichiers, les BT, le fichier documentation, les fiches-guides.

Si on est touché par les techniques de libre-expression et c’est mon cas, on est beaucoup plus sensible à l'esprit.

C'est sûrement le cas des maîtresses maternelles et des petites classes en général.

A partir du CE2 jusqu'au CEG, il est possible que les maîtres soient plus portés sur les techniques de la deuxième catégorie :

Fichiers, conférences, fiches-guides et soient moins sensibles à la libre expression.

Qu’en pensez-vous?

J. LE GAL

Notre camarade Le Gal présente excellemment les problèmes dont la discussion nous parait urgente. Il le fait avec son expérience personnelle à laquelle tout éducateur sera sensible.

Et il le fait en posant un certain nombre de questions qu’il nous faut discuter, ce qui ne nous empêche pas de faire progresser au mieux l’aménagement technique de nos classes.

1° - Le problème de la liberté qui est trop souvent très mal interprété par nos nouveaux adhérents. Le réflexe est un peu naturel de ceux qui trop longtemps contenus et limités, veulent explorer librement. J'ai dit quelque part que ce mot de liberté, le plus prestigieux qui soit, suscite tant d’incompréhension et d'exagérations qu’on est arrivé à justifier arbitrairement toutes les restrictions à cette liberté.

Je préfère ne jamais parler de liberté, mais d’organisation du travail. Si les élèves peuvent se passionner au maximum pour leur œuvre, tous les problèmes de discipline et de liberté deviennent inutiles.

Organisez le travail vivant et humain. Vos enfants ne vous demanderont pas autre chose.

2.° - Organiser la classe, oui, mais pas formellement, en fonction du travail et de la vie du groupe. Devrons-nous établir un projet de règlement ? Je suis sceptique : une excellente organisation peut être déplorable si l’esprit qui l’anime reste traditionnel.

3° - La vraie solution, oui, c’est que nos adhérents acquièrent le plus vite et le plus profondément possible l'esprit de notre pédagogie. C’est essentiel, et Le Gal dit à ce sujet d'excellentes choses.

4° - Le mouvement de l’Ecole Moderne doit-il être un mouvement de purs, qui constituent une élite d’avant-garde capable de maintenir la ligne ? Ou devons-nous faire du recrutement ?

Bien sûr, il est difficile de scinder radicalement en deux nos possibilités de progrès. Mais l'expérience de ces dernières années, m'incline à penser qu'il y a un très grave danger à susciter l'expansion de nos techniques vers des éducateurs et des groupes qui n'ont pas compris nos techniques et qui risquent donc d'en déformer l'emploi. Nous y risquons la scolastisation plus ou moins poussée de ces techniques, et a assez brève échéance, notre décadence et notre mort.

Il faut que nous fassions naître, que nous développions au maximum, des écoles-pilotes qui montreront à tous, comment employer nos techniques, dans quel but et quel esprit. Ce n'est pas du tout restreindre notre expérience. C'est lui donner et lui garder le maximum de chances de succès.

La quantité, le nombre, oui, à condition qu'ils soient de qualité, ou des espoirs de qualité. Sinon nous attendrons patiemment que se fasse à une plus grande échelle l'indispensable apprentissage.

5° - Et enfin, ai-je tort de soutenir que les TECHNIQUES FREINET ne demandent pas plus de travail que les méthodes traditionnelles ? En osant cette comparaison, nous ne considérons bien entendu que les instituteurs consciencieux pour qui les buts sont les nôtres : former l'homme en l'enfant. Je pense aux institutrices d'école à classe unique, à celles des maternelles, des classes de perfectionnement, aux écoles de villes où les maîtres s'usent physiquement et moralement parce que nul ne les aide à faire face à un problème insoluble.

J'affirme que si ces instituteurs ou institutrices étaient initiés, comme nous le souhaitons, à nos techniques, si les conditions matérielles et techniques leur rendaient possible la pratique de notre pédagogie, ils y auraient certainement moins de peine parce qu'ils retrouveraient la vie.

Ceci dit, je souhaite que nombreux soient les jeunes qui sauront œuvrer courageusement et intelligemment pour que nos rêves deviennent réalités. Alors ils seront dignes de continuer notre œuvre, et ce sera notre meilleure récompense.

Il faut que vous lisiez :

ESSAI DE PSYCHOLOGIE SENSIBLE APPLIQUEE A L'EDUCATION ;

L'EDUCATION DU TRAVAIL;

LES DITS DE MATHIEU;

NAISSANCE D'UNE PEDAGOGIE POPULAIRE;

Les livres de la BIBLIOTHEQUE DE L’ECOLE MODERNE

L'EDUCATEUR et TECHNIQUES DE VIE.

(1) Educateur n°4 p. 5 - (15 nov. 1962)