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CréAtions n° 104 - Expériences tâtonnées - publié en novembre-décembre 2002
Edito |
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Edito - Eloge de la décongélation
Partie prenante des processus cognitifs, l’expérience tâtonnée apparaît souvent secondaire dans les apprentissages scolaires, si même elle n’est pas niée par les méthodes pédagogiques basées sur l’accumulation de connaissances (le gavage). Et pourtant, sa fonction divergente permet l’appréhension des phénomènes complexes de l’acquisition des connaissances, de l’expérience, de la vie. Ce numéro de Créations témoigne de l’intérêt à favoriser l’expérience tâtonnée dans tous les apprentissages sous les formes de l’expression, de la création, des savoirs savants, de la communication, de la coopération. Freinet définirait-il l’enjeu comme celui de la recherche du mouvement, de l’action à l’encontre de l’immobilité, de la fixation en idéal, à l’encontre donc du concept “ d’œuvre ” dans son acception habituelle ? Et Jean Dubuffet d’abonder. Pour ce “ Christophe Colomb de la matière ” 3 , l’expérience tâtonnée est un “ événement ” par elle même car le peintre sait bien que le moyen pour capter des choses “ quelque éclair de leur vrai figure ” est de “ modifier ces choses, d’en bousculer l’ordre, de les désintégrer, d’en empêcher la re-coagulation en les remettant sans cesse en question. ” Et de conclure : “ Sitôt qu’elles se reprennent en gelée s’interrompt le plaisir du peintre. ” 4 C’est pour cela qu’il s’attache à défendre la subversion tout azimut, en ce qui concerne le travail plastique. Pour qu’une exposition, une publication dans le journal de l’école, ne perdent pas leur sens ou n’accréditent pas des systèmes d’acculturation que nous dénonçons (élitistes), il faut que les tâtonnements comme démarches essentielles soient eux aussi favorisés et valorisés. Beaucoup d’enseignants Freinet ont institué la pratique de la “ fiche ”, le “ carnet de croquis ”… jusqu’à cet éducateur qui va plus loin avec les “ cahiers de vie ”, irremplaçables trajectoires d’enfants pratiquées sur sept années, qu’il commente comme autant de preuves de la “ pensée en action ”. Ces “ preuves ” ne sont-elles pas toutes des œuvres ? “ C’est une forme particulière de l’esprit, constamment tournée vers la recherche, constamment en déséquilibre, en porte-à-faux. Déséquilibre sans cesse rattrapé par des productions nouvelles, originales, un progrès continuel. ” 5 Et Jean Rostand de trouver une définition au “ chercheur ”, à l’expérimentateur tâtonnant : “ le manque plutôt que l’avoir, le désir plutôt que la possession, l’appétit plutôt que la satiété. ” Décidément, on mesure que l’expérience acquise par tâtonnement se pose à l’encontre de la “ congélation ” 6 des savoirs et de l’expérience acquise, à l’encontre de la hiérarchisation des éléments cognitifs, à l’encontre de la monotonie que représente la seule recherche de l’équilibre, jusqu’à la création d’un nouvel équilibre admettant la prise en compte d’un “ progrès ” fait de “ manque ”, de “ désir ”, “ d’appétit ”. Concluons donc avec Roland Barthes qui, incluant lui même le tâtonnement dans sa démarche créatrice, lance un avertissement à partir du cas de Minou Drouet, cette jeune surdouée qui est devenue une star médiatique : “C’est la séquestrée ou la kidnappée d’un ordre conformiste qui réduit la liberté au prodige. ” Alors, vigilance !
1 - D'après Guilford existent deux modes de pensée : la convergente de type logique qui appelle une seule réponse au problème et la pensée divergente qui appelle le maximum de réponses possibles, même et surtout inattendues, pouvant aller jusqu'à mettre en péril son auteur.
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