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Mathématiques naturelles

Février 2004

Où en sont les maths à l'ICEM, depuis Freinet et le calcul vivant, Paul Le Bohec et la Méthode naturelle ? Quelles sont actuellement nos pratiques, nos entrées?

Voici des éléments de réponse, avec la réflexion de Paul, les travaux du chantier math et la présentation de Claude Beaunis. Pour prolonger votre lecture, je vous invite à une visite sur le site du chantier math et ceux de Claude

Où EN EST LA MÉTHODE NATURELLE DE MATHS ?

Depuis un certain temps, je me demandais où en était la méthode naturelle de maths qui était apparue dans ma classe, la seule fois où j'avais eu le même groupe d'enfants, pendant trois années successives. Mais le message de Claude Beaunis sur la liste Freinet m'a poussé à aller jusqu'au bout de mon questionnement. Et malgré le peu de documents obtenus, j'ai pensé que, malgré sa fragilité, elle avait résisté à l'épreuve du temps. Je m'en suis alors grandement réjoui pour les enfants qui peuvent en bénéficier.

C'est que le danger était grand pour cette chétive créature. J'en avais pris conscience lors d'un congrès de Caen. Je l'avais d'abord présentée à des instits et ça avait très bien fonctionné. Mais avec des profs de maths, l'échec avait été total. Dès les premières créations, ils s'étaient déchaînés. Trop passionnés de maths, ils ne pouvaient prendre assez de distance avec leur plaisir pour s'intéresser à la pédagogie. Ils cherchaient surtout à replacer les créations insolites dans leurs cases déjà installées. Or : « Les seules choses qui menacent la science sont psychologiques - le manque d'imagination - et méthodologiques - l'excès d'importance apporté à la précision et à la formalisation » (Karl Popper).

La méthode naturelle est menacée dans tous les domaines. Par exemple, lorsqu'on fait intervenir un artiste dans les classes, on peut craindre le pire. En effet, il a tendance à sélectionner parmi les aspects du monde uniquement ceux qui lui font plaisir. S'il adore la nuance, il souffrira d’un contraste trop poussé. S'il n'a souci que de composition équilibrée, le désordre le rendra malade. Or, certains enfants ont besoin du contraste, de la déchirure, du camaïeu, du pointillisme, de la miniature ... L'éventail offert aux enfants ne doit pas être ouvert seulement à moitié. Cependant, il est toutefois possible pour un artiste de réussir son enseignement s'il est à la fois amoureux et pédagogue de son art. C'est ce qui avait permis à Monique Quertier et aux copains parisiens de prendre en charge l'enfant nouveau-né. Mais, depuis, l'atmosphère ne s'est-elle pas viciée ? N'a-t-on pas été condamné à tenter de donner aux « contrôleurs » des gages du sérieux de la méthode en se préoccupant, par exemple, d'aider à fixer une notion abordée par la construction de fiches de consolidation. Oui mais, cette exigence de résultats à court terme ne casse-t-elle pas le processus ? C'est dommage de mettre les savoirs au centre, comme le veut l'actuel ministre, car les profits en sont maigres, alors que si c'est l'enfant qui s'y trouve placé, les acquisitions sont non seulement beaucoup plus nombreuses mais elles sont surtout mieux intégrées parce que la mémoire est liée à l'affectivité. Mais maintenant, quelqu'un peut-il se permettre, ne serait-ce que pendant trois mois ou même un mois, de voir ce qui se passe lorsque l'on laisse se dérouler librement les choses ? Car, à mes yeux, c’est cela la méthode naturelle. La pression de l'environnement étant ce qu'elle est, il n'y a sans doute pas moyen de faire autrement.

Je me demande également si on dorme toute sa place à la fantaisie, car c'est un élément indispensable de l'acquisition des connaissances. On sait depuis longtemps que « homo » est « sapiens-demens » (Lorentz dit : homo-ludens). « Les propositions les plus extravagantes sont les plus intéressantes parce qu'elles mettent la communauté en émoi » (Popper). « Le bruit, (la perturbation) oblige le groupe s'auto-organisant à réagir positivement pour retrouver un nouvel équilibre. » (Atlan).

Mais les enseignants d'aujourd’hui sont-ils capables d'accepter un peu d'insécurité ? Au seuil de ma maturité pédagogique (20 ans de métier), j'y étais progressivement parvenu. Et dans tous les domaines, j'ai su alors combien l'acceptation de tout élément insolite permettait de faire des bonds sur le plan de la connaissance. Une faute de copie d'une création, une invention de chinois, un dialogue avec un oiseau, une improvisation chantée, une astuce, une incompréhension, la remarque d'un pincc-sans-rire, un bout de carton plié en deux ... ont ouvert des pistes insoupçonnées et définitives. En maths, que de possibilités au C.E.2 : équations du premier degré, additions de vecteurs, classes d'équivalence, système binaire, exposants négatifs, discussions d'opérations avec des inconnues, mille choses encore ... certes, non solidement et définitivement accrochées, mais constituant autant de solides têtes de pont pour les conquêtes de savoir de l'avenir.

Ce qui m'est apparu également, c'est que lorsqu'il n'en est pas empêché, chacun n'a qu'une seule ligne de développement. Il n'y a pas de chemin préétabli. Cela, les Freinétistes sont bien placés pour le comprendre, surtout ceux de la liste. En effet, dans ce milieu particulier de la P.F., chaque enseignant suit sa propre ligne de développement en fonction de ses données personnelles et de ses conditions de travail. Evidemment, les autres cheminent de leur côté. On sait ce qu'ils font mais on ne leur emprunte pour l'incorporer à sa propre chaîne en cours de construction que ce qui va dans son sens. C’est la même chose pour les enfants. Chacun sur la base de ses propres données - tempérament, famille, petite enfance ... ne suivrait que sa propre voie s'il lui était permis de partir et de marcher. Chez nous, c'était possible. Aussi, en maths, à un moment donné, Joëlle créait, Patrick agrandissait, Patrice réalisait, Eric ergotait, Michel vectorisait, Francis scrutait et repérait ... Mais il vaut mieux donner l'exemple d’une trajectoire achevée l'exemple intéressant d’un cheminement personnel : au C.P., Patrice le « réalisateur manuel » fabrique dans un trop épais carton une vague boîte. Il en réussit mieux une deuxième, puis une troisième, (Ce qui déclenche une crise de solides dans la classe) Puis il continue beaucoup, sur sa ligne d'expériences, et un peu sur celle des autres en cherchant toujours à trouver dans le réel, une confirmation ou une application pratique des idées ou des « théories » émises. Et puis, il découvre avec joie la cage à fils. Il s'y investit immédiatement avec l'aide de Rémi. Il est dans le concret-abstrait, réalisant avec les fils, non pas des objets, mais des formes d’objet, comme ces squelettes de voiture de la création assistée par ordinateur. Par la suite, il fait un bac technique, puis devient chef de travaux dans le bâtiment en profitant à fond de sa merveilleuse possibilité de se représenter immédiatement en trois dimensions ce qui ne l'est qu'en deux sur les bleus d'architecte. A son point de vue, c'est le travail avec la cage à fils qui l'avait doté de ce sens de l'espace. Dans son métier, il retrouve également sa créativité d'autrefois et sa capacité à diriger des groupes comme il le faisait avec les autres élèves, heureux de l'aider à réaliser les « machines à plusieurs » et les chorégraphies qu'il imaginait. Une trajectoire aussi homogène est certainement rare mais, dans certains domaines, on peut cependant en avoir un petit aperçu ; en dessin, par exemple: 19 enfants = 19 parcours.

En méthode naturelle de maths, chacun pourrait aller loin si on lui en donnait la possibilité. Et comme je l'ai déjà signalé par ailleurs, sans avoir à craindre que des domaines importants et même nécessaires ne soient abordés. « Tout est contingent » Mais il ne faut pas trop rêver : cela n'est possible que dans les classes à plusieurs cours et, peut-être même, seulement dans les classes uniques, lorsque l'on a su y installer les structures adéquates, comme Bernard Collot l'avait fait.

Chers copains où en êtes-vous ?

Paul Le Bohec