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Expression pétique en classe de 3°

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Octobre 1978

 

L'EXPRESSION POÉTIQUE EN TROISIÈME
 
Il est banal de dire que les adolescents ont besoin d'affirmer leur personnalité.
Ils ont envie de s'exprimer et de créer. L'école est loin de toujours favoriser l'expression des idées personnelles. Elle les encourage encore moins à jouer avec les mots. En classe de troisième, les élèves hésitent souvent à s'aventurer sur les sentiers inconnus de l'invention verbale et préfèrent demeurer sur les terres plus sûres d'un discours sans couleur ni saveur. Les élèves ont l'impression qu'il convient de se plier à des normes qui sont autant de bornes limitant le travail créateur.
Pour amener mes élèves à utiliser le langage non seulement comme un instrument de communication, mais encore comme un moyen de création, j'ai essayé cette année, de favoriser la production de textes à partir d'un travail sur le surréalisme et de permettre leur. mise en valeur.
 
 
1. LA DÉCOUVERTE DU SURRÉALISME DANS UNE CLASSE DE TROISIÈME
 
La société actuelle, dans son ensemble, - et non seulement l'école - paraît reléguer au second plan tout ce qui échappe à la raison. De ce fait, une présentation de peinture et de textes surréalistes ne peut être menée comme celle de photos et d'articles parus dans la presse. L'initiation doit être progressive.
 
Elle a été conduite en trois étapes :
- jeu du "cadavre exquis"
- analyse de tableaux
- lecture de textes
 
Le jeu du cadavre exquis nous a amenés à produire des phrases surprenantes. Le hasard nous a fait dire par exemple que « à minuit les militaires courent à toute allure pour voler la fleur". Les élèves ont assez facilement découvert la raison de leur étonnement : l'absence des liens logiques entre les termes de la phrase.
Une diapositive nous a permis de voir qu'on pouvait de la même manière composer un dessin. Nous avons analysé un "cadavre exquis" paru dans la revue "La révolution surréaliste" en 1927.
 
Ce premier travail la sans doute aidé les élèves à considérer de manière positive des tableaux surréalistes.
 
Ont été regardées des œuvres de Max Ernst (Oedipus Rex"), Miro ("Objet"), Tanguy ("Pour rompre l'équilibre") et Dali ("La girafe en feu"). Ce dernier tableau a suscité une foule de réflexions intéressantes, sur le thème les couleurs, la composition. Je m'étais bien gardé de dévoiler tout de suite le nom de l'artiste, celui-ci étant associé, dans l'esprit des élèves, à l'image d'un "moustachu qui gagne de l'argent en faisant n'importe quoi". D'une façon générale, les élèves ont trouvé que les divers éléments du tableau apparaissaient comme dans un rêve.
 
Après cette étude d'œuvres picturales, nous avons lu deux textes de poètes surréalistes.
Le premier, un extrait du "Manifeste du surréalisme" d'André Breton nous a permis de voir la méfiance des surréalistes pour la logique, la raison, la volonté, les préoccupations morales et esthétiques, ainsi que leur amour du rêve, de l'étrange, du merveilleux, de tout ce qui déconcerte et dépayse. Cette évocation du surréalisme s'est achevée par la lecture d'un poème de Paul Eluard, extrait de "Capitale de la douleur" intitulé " André Masson". Nous avons regardé un tableau de ce peintre ("Les constellations") et vu que l'on retrouvait dans le texte la plupart des éléments du tableau. Les deux œuvres semblaient s'éclairer mutuellement. Dans le tableau comme dans le poème, l'air, la terre, l'eau et le feu paraissaient intimement liés.
 
Ce n'est qu'au terme de cette longue imprégnation de l'esprit surréaliste que nous nous sommes mis à écrire nos propres textes.
 
 
2. LA PRODUCTION DE TEXTES
 
Partant de notre analyse du tableau d'André Masson, j'ai proposé aux élèves la règle du jeu suivante ; composer un texte en mêlant au moins deux des quatre éléments. On pouvait, par exemple, parler d'un torrent en utilisant le vocabulaire du feu ou de la mer en se servant de celui de la terre.
 
La version définitive de chaque poème n'a été rédigée qu'au terme d'une longue série de tâtonnements. Les élèves disposaient d'une heure pour un premier essai dont j'ai souligné les erreurs grammaticales. Les textes qui respectaient la règle du jeu ont été lus à la classe qui a été invitée à formuler son opinion. Ce n'est qu'après la discussion que j'ai fait part de mes impressions personnelles. Nous avions convenu au départ que chacun était libre d'accepter ou de refuser la lecture de son texte et de tenir compte ou non de l'avis des autres. Les élèves qui n'avaient pas compris la règle du jeu ont vu, grâce à ces quelques exemples, dans quel sens il fallait travailler. Après la discussion, chacun a rédigé chez lui la version définitive. Les uns n'ont rien changé à leur poème, d'autres l'ont repris partiellement ou totalement. Certains des textes remaniés ont fait l'objet d'une nouvelle lecture en classe et d'une nouvelle critique collective.
Alors que les élèves ont beaucoup de mal à analyser le style d'un auteur étudié en classe, ils l'ont fait spontanément à propos de leurs propres créations.
 
Pratiquement tous les élèves ont réussi à rédiger un texte bien plus élaboré que ceux qu'ils produisent d'habitude. Voici quelques-uns des poèmes qu'ils ont composés. Il faut tenir compte en les lisant du niveau très moyen de la classe.
 
 

Le soleil.

 

 
Toi, le soleil aux mille cadences, jaillissant comme un fleuve de flammes, tu es un ciel embrasant la terre.
Tu es vif, blanc et coloré, semblable à la mer touchant de ses longs tentacules violets, la terre verdâtre des temps futurs oubliés.
Tu es la forêt dans sa robe d'automne, tu nous baignes dans un océan de chaleur. La pluie s'est mariée au soleil,
Aussi quand tu crépites, elle frappe à nos carreaux.
Ta fumée est un nuage où l'on ne voit pas passer le temps
Les cendres que tu laisses sont pareilles aux poussières d'un corps abandonné.
Sylvie
 

L'eau, le feu.

 

 
Chaleur aigre douce d'un feu qui ronfle dans l'âtre pendant les jours d'hiver. Fascinante beauté des flammes qui dansent leur ronde folle sur le bûcher immolateur.
Magnificence d'une source qui s'écoule lentement le long de la roche telles des gouttes d'argent qui tombent sous le ciseau de l'orfèvre.
Pierre
 

La mer.

 

 
La mer peut être douce.
Le mouvement des vagues
Est un gigantesque ballet,
Où dansent des milliers de filles en blanc.
L'océan est un désert bleu,
Où les vagues sont des dunes turquoises.
Mais la mer sait être dure.
Combien ont regretté
D'avoir voulu la défier.
La mer est puissante.
Le froissement des vagues contre les rochers
Crée des étincelles.
Mais la mer est si belle,
Lorsque calme, elle se prend pour un champ de bleuets.
Jean-Marc
 
3. LA MISE EN VALEUR DES TEXTES
 
Il m'a paru important que les réalisations des élèves fussent valorisées le plus possible. Ce but fut atteint de quatre façons différentes.
 
La lecture en classe des poèmes constitua une première mise en valeur. Pour une fois n'étaient pas à l'honneur les auteurs du panthéon littéraire traditionnel, ces dieux devant lesquels le commun des mortels ne peut que s'incliner respectueusement en rendant hommage à leur "talent" et à leur "génie".
 
D'habitude aussi, seuls ces êtres désincarnés ont droit aux honneurs d'un montage audiovisuel. Cette fois-ci, ce sont les textes choisis par les élèves qui ont été illustrés par des diapositives abstraites et accompagnés par une musique adéquate. La confection des diapositives a demandé aux élèves de multiples recherches. Ils ont utilisé des matériaux divers (calque, rhodoïd de couleur, fils, plantes séchées,..,) au gré de leur fantaisie. Cette activité, commencée en "français" s'est poursuivie en "travail manuel". La présentation des travaux des équipes a donné lieu à un nouveau et ultime débat.
 
Les textes jugés les meilleurs par les élèves ont été publiés dans le journal du collège. Il me semble bon que les textes produits dans les classes soient communiqués à des personnes de l'extérieur.
 
Enfin, nous avons étudié la comparaison et la métaphore à partir des poèmes composés par les élèves qui ont pu se rendre compte que les écrivains de métier se servaient des mêmes procédés qu'eux.
 
Cette quadruple mise en valeur avait pour but principal de faire découvrir aux élèves qu'il n'y avait pas de différence de nature entre les écrivains professionnels et mes écrivains amateurs.
 
Il me semble qu'une plus grande maîtrise de la langue et la prise de conscience de ses possibilités d'expression et de création favorise la conquête de l'autonomie, Des progrès sont possibles dans ce sens grâce à une évaluation continue et collective du travail accompli. Autrement dit, un développement des attitudes coopératives.
Raymond SCHEU. Kaysersberg Juin 1977