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A l’aube d’une année nouvelle

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Janvier 1962

 

Pratique et évolution des techniques Freinet
 
A l’aube d’une année nouvelle
 
L’année 1961 a failli se terminer dramatiquement.
 
Le 27 décembre au soir les flammes jaillissaient des locaux de la C.E. L., les plaques en fibrociment du garage crépitaient en volant en éclats. Quand, alertés par les voisins, nous ouvrons la porte, la 403 commerciale au repos dans le garage n’était plus qu’une masse incandescente, et le feu gagnait les dépôts de livres et de B.T.. Les pompiers alertés étaient aussitôt sur les lieux et parvenaient à grands jets d’eau à circonscrire le sinistre. Les machines, le dépôt de B.T. du premier étage étaient sauvés.
 
Quand, au bout de deux heures, la fumée se fut dissipée nous contemplions le désastre : les Enfantines, les BENP, les SBT, les BT, nos albums, nos livres, tout finissait de se consumer dans le brasier.
 
Nous commencions alors, à la clarté des lampes de poche, à faire le tour de la maison. Des visiteurs s’étaient introduits dans les bureaux du premier étage. Ils étaient allés droit à la caisse, mais ô surprise, ils n’avaient pas emporté les 320 NF qui y étaient déposés, mais ils avaient déchiré des chéquiers, des mandats, des talons de chèques et éparpillé des dossiers.
 
Le lendemain, en compagnie de la police, nous faisions les constatations. Le vol n’était pas le mobile du cambriolage ; les auteurs de l’effraction n’étaient pas des professionnels et ils connaissaient la maison. Ils savaient que Pons était absent et ils ont opéré sans se presser.
 
En partant, ils ont sans doute mis le feu à l’auto vraisemblablement en l’arrosant d’essence, car l’auto a fondu véritablement. Le feu se serait ensuite communiqué aux papiers environnants.
 
C’est tout ce que nous savons, et nous n’entrevoyons absolument aucune piste. Souhaitons que la police qui s’occupe de l’affaire activement puisse mieux que nous éclaircir le mystère.
 
Et nous mesurions alors les dégâts : une dizaine de tonnes de papiers brûlés, noircis et mouillés jonchent le sol. La moitié environ de notre dépôt d’imprimés est perdue ou endommagée.
 
Soixante numéros de B.T. ont absolument disparu et il nous faudra envisager de les rééditer sans retard. Chose plus grave : tout notre stock de SBT a été calciné et nous devrons nous hâter de le rééditer, mais cela nous demandera plusieurs mois.
 
Mes livres sont à peu près tous perdus, mais nous pourrons nous réapprovisionner pour ceux qui ne sont pas de notre édition. Il ne reste que quelques exemplaires en mauvais état de mon Essai de Psychologie sensible appliquée à l’éducation et de Naissance d’une pédagogie populaire. Outre diverses autres détériorations, nous avons à regretter la perte d’éditions annexes précieuses, de travaux d’enfants, d’albums de dessins, etc...
 
Une grosse partie au moins de ces pertes sera couverte par nos assurances, mais il n’en reste pas moins que des documents uniques et précieux ont disparu, et qu’il nous faudra plusieurs mois pour reconstituer le stock de base surtout pour les BT et les SBT. Nous demandons à nos camarades de patienter si nous ne pouvons pas servir ponctuellement les commandes et d’intensifier leur effort de propagande pour que nous passions sans grave danger la période difficile de reconstitution des stocks.
 
Nous remercions les nombreux camarades qui, dès l’annonce dans les journaux et la radio de l’incendie de nos locaux nous ont téléphoné ou télégraphié pour nous encourager. Quelques-uns ont même fait des versements supplémentaires à la Caisse de Créditeurs Associés pour nous aider à redémarrer. Tous ont imaginé, outre nos craintes d’un tort qui aurait pu être irrémédiable, la douleur morale qui était la nôtre en voyant ainsi se consumer dans les flammes des œuvres que nous avions créées amoureusement, et qui étaient comme le meilleur de nous-mêmes à tous.
 
Nous surmonterons ce nouveau coup du sort, avec l’espoir, qui ne sera pas illusoire que nos adhérents d’aujourd’hui sauront par leur compréhension, leur amour de l’enfant et leur travail acharné produire des œuvres plus belles encore que celles que le crime a consumées. Un morceau de notre passé s’est évanoui, mais le présent est aujourd’hui assez solide et puissant pour autoriser dans l’avenir des réalisations dignes de notre idéal pédagogique, laïque et social.
 
La C.E.L. continue. Elle compte sur votre aide coopérative, sur votre travail et votre propagande pour colmater la brèche et repartir. Au travail donc !
 
L’injustice de ce sort nous rend plus sensible encore celle qui nous vient d’hommes et de femmes qui, connaissant notre idéal à tous, notre dévouement et nos sacrifices devraient considérer notre oeuvre commune avec plus de compréhension et d’humanité.
 
Je ne veux pas tant parler des officiels qui sont pris, malgré eux parfois, dans un mécanisme qui nous est par nature hostile parce que nous sommes le mouvement et l’action et qu’il est passivité et tradition. Nous regrettons certes qu’au moment où on alloue des fonds importants aux écoles confessionnelles on n’ait pas trouvé la structure possible pour faire de l’Ecole Freinet une école expérimentale qui assurerait la pérennité de nos techniques ; ou que l’Institut Pédagogique National n’ait pu réunir les fonds pour publier la revue internationale dont le principe avait été admis pour la F.I.M.E.M. et l’Association pour la Modernisation de notre Enseignement.
 
Mais c’est des rares inspecteurs qui, outrepassant leurs droits prétendent aujourd’hui interdire des techniques devenues officielles, que nous voudrions aussi dire un mot rapidement. Ils sont rares en effet car la grande masse des inspecteurs sait au contraire encourager les efforts novateurs des jeunes qui se joignent à nous - ce qui ne veut pas dire qu’ils doivent accepter les erreurs et les faiblesses qui sont le lot de qui cherche loyalement.
 
A l’occasion des Conférences Pédagogiques, un I.P. de l’Est, après avoir « assommé Freinet » a interdit aux instituteurs la pratique de nos techniques. Que nos camarades mettent donc sous les yeux de leur inspecteur exagérément autoritaire l’opinion parfaitement claire et définitive exprimée dans son livre « L’explosion scolaire » par M. CROS, directeur de l’Administration générale au Ministère de l’Education Nationale :
 
« Tout a été dit, en France et hors de France, contre la scolastique et pour une pédagogie fondée sur une meilleure utilisation des ressorts de l’activité intellectuelle. Pourtant trop peu nombreux encore, dans les milieux enseignants comme dans les nombreux dirigeants sont ceux qui ont pris conscience, non plus seulement de l’intérêt expérimental ou de l’utilité pratique de certains essais pédagogiques, mais de l’impérieuse nécessité économique et sociale d’une transformation organique et sociale des techniques d’enseignement... Il est d’intérêt national de laisser (aux éducateurs) pleine initiative pédagogique et pour cela, tout au long de la scolarité, de combattre ce qui la paralyse ou la déforme ».
 
Dans un département dont nous aurons l’occasion de reparler - s’il le faut - puisqu’il prépare l’accueil du prochain Congrès des Maternelles, l’inspectrice des Ecoles Maternelles :
 
- refuse à des maîtresses maternelles qui « essaient de travailler dans le sens des Techniques Freinet » l’autorisation de se réunir un jeudi dans une salle de classe. Motif : les enfants sont trop jeunes, l’imprimerie est trop difficile pour eux. Dans la classe des moyens il faut faire des exercices d’attention jusqu’en janvier, ensuite faire lire un mot (par exemple le nom et l’article). On peut alors imprimer ;
- interdit à une maîtresse l’autorisation de faire circuler le journal qui est une « hérésie » ;
- lui refuse l’autorisation de faire une démonstration : « Apprenez le métier d’abord ».
 
En l’occurrence, nous ne laisserons pas entamer des droits acquis par une longue expérience et que l’autorité elle-même a sanctionnée.
 
Notre responsable va demander une nouvelle autorisation. Si elle est refusée, nous saurons nous défendre.
 
Nous nous appuierons encore sur l’opinion toute récente de M. Cros :
 
« La formation pédagogique exige notamment le concours d’un large réseau d’écoles expérimentales qui permettraient le libre essai et la confrontation de tous les procédés pédagogiques...
 
« La pédagogie coopérative dans le premier degré (et notamment le mouvement Freinet), les classes nouvelles du second degré, comme les classes-pilotes qui leur ont succédé, ont montré la voie que nous devons, de toute nécessité, et très vite, creuser et élargir... ».
 
Ce n’est pas la première fois que nous avons affaire soit aux éléments défavorables, soit à l’incompréhension de certains responsables de notre enseignement. C’est le lot, nous le savons, de quiconque essaie d’ouvrir des voies. Mais ces voies existent aujourd’hui. Trop d’éducateurs déjà y sont engagés. Non seulement techniquement, mais de tout leur être intelligent et sensible. Une nouvelle pédagogie devient d’ailleurs une nécessité. Le mouvement que nous avons créé, et qui a des échos considérables à l’étranger est désormais irréversible.
 
En ce début d’année, au moment où, encore une fois, nous rassemblons nos forces pour continuer l’action et la lutte, nous disons aux administrateurs, aux inspecteurs et aux éducateurs de tous degrés, notre souci généreux de contribuer par notre effort coopératif désintéressé, à chercher avec tous les laïques conscients, les solutions psychologiques, pédagogiques, sociales et humaines qui permettront à l’Ecole de jouer son rôle éminent pour la formation en nos enfants des hommes qui, demain, continueront la France.
 
C. FREINET