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L’École Moderne et la C. E. L. continuent

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Février 1962

Pratique et évolution des techniques Freinet

 
L’École Moderne et la C. E. L. continuent
 
Nous voudrions nous taire ici et transcrire seulement l’émouvant élan de solidarité qui donne à notre œuvre sa vraie figure : une grande réalisation collective qui, par-delà les incidences financières, administratives et sociales non négligeables, hélas ! touche chez nos adhérents et nos amis ce qu’il y a de plus haut et de plus éminent en l’homme, l’esprit et le cœur, cette conjonction d’idéal dont nous vivons et pour laquelle nous restons prêts à consentir des sacrifices qui signent et exaltent le sens et la portée de notre commun effort.
 
Il y faudrait - et c’est réconfortant - tout un Educateur. Force nous est donc de résumer cette grande levée de témoignages de fidélité et d’action en nous excusant d’avance de ne pouvoir citer les centaines de lettres reçues, si semblables d’ailleurs dans ce qu’elles expriment d’amitié, de foi en l’avenir, de clairvoyante décision dans le fraternel coude à coude qui est notre force, le geste d’amitié, de filiation, pourrions-nous dire.
 
Les camarades ne s’y sont pas trompés. Ils ont tous bien senti que, par-delà la perte d’argent qui, dit-on, n’est pas mortelle, il y avait d’abord la souffrance morale de voir anéantie en quelques heures une partie de nos vraies richesses, celles qui étaient comme le fruit de nous-mêmes, que nous avions les uns et les autres écrites et mûries ligne à ligne, dont chaque dessin avait son histoire, même si elle était un espoir envolé ou une illusion. Et partout perçait cette crainte que nous nous découragions un jour de cette accumulation de soucis et d’oppositions souvent dramatiques qui lasseraient, il est vrai, une destinée si nous ne sentions autour de nous, réaffirmés aujourd’hui avec une si large unanimité, le soutien et la participation de tous ceux qui gardent leur foi en l’avenir, qui est notre foi en une éducation laïque de liberté et de fraternité.
 
« Nous partageons avec vous la peine que vous avez ressentie au triste spectacle de l’anéantissement d’une partie de votre oeuvre, et de celle des enfants et des camarades ».
 
« Nous ressentons profondément tout ce que cela signifie pour votre travail collectif et pour vous-même ».
 
« Je suis consterné et triste au-delà de toute expression, nous écrit Robert Dottrens. Faudra-t-il donc que toujours les épreuves vous accablent comme elles ont accablé des lutteurs et des pionniers comme vous !... Je pense aux jours sombres d’un Pestalozzi et à cet incendie des Pléiades où Ferrière perdit toute sa bibliothèque et sa documentation ».
 
… « Atténuer votre peine en vous assurant de toute notre sympathie affectueuse ».
 
Nous ne pouvons reproduire ici les centaines de lettres affectueuses et inquiètes. C’est ALZIARY qui les résume toutes, lui qui, dans toutes les réunions dit toujours si éloquemment avec son cœur les paroles définitives :
 
« Ceux de la « vieille garde » sont toujours à côté de vous, et vous ne pouvez douter du réconfort moral qu’ils vous offrent spontanément, foncièrement, chère Elise, cher Freinet. Je vous sens atterrés, abattus, dégoûtés devant tant d’incompréhension et de turpitudes. Nous partageons ces sentiments déprimants, mais nous gardons intacte et inaltérable la sympathie, l’affection, la communion exaltées et cimentées dans l’œuvre accomplie depuis plus de trente ans. Depuis que je vous sais en proie à ce nouvel avatar je ne cesse de penser à vous, à cette oeuvre que vous avez promulguée et qui a ennobli et illuminé ma vie. Sans vous, je n’aurais pas été tout ce que j’ai été.
« Les dommages, la brèche, les dégâts matériels, voire les difficultés financières, tout cela n’est pas mortel, tout cela passe tant que survit l’esprit de ceux qui portent la foi en eux et qui la partagent avec leurs élus.
« Encore plus près de vous si possible ».
 
C’EST NOTRE ŒUVRE QUI EST MENACEE, disent tous les camarades ; IL FAUT LA DEFENDRE ET NOUS LA DEFENDRONS.
 
« Cet attentat nous atteint tous... Je voudrais que beaucoup de lettres vous arrivent et vous apportent la certitude de l’immense chaîne d’amitié que vous avez su tisser autour de vous tous » « N’hésite pas, écrit Dufour, à nous appeler au travail ; donne-nous les besoins immédiats, les actes à accomplir. Nous sommes là, prêts derrière toi pour que revive la C.E.L.
« Nous t’embrassons, mais en serrant les poings pour reprendre l’action, avec toi ».
« Nous pensons aussi à Pons et Bertrand qui, pour leurs premières années de responsabilité coopérative ont, et auront beaucoup de tracas ».
 
LA CHAINE EST FORMÉE
 
Spontanément, avant même la publication de nos informations, des camarades nous écrivaient en nous envoyant des dons de 2 000 à20 000 anciens francs.
 
Selon nos informations ultérieures l’aide s’est orientée davantage sur les formes que nous conseillions : versement d’actions coopératives et abonnements à nos publications et notamment aux B.T.. Nous donnons dans ce numéro une première liste des souscriptions reçues.
 
Cet afflux d’adhésions nous réconforte tout particulièrement : il a l’avantage pour nous de nous apporter un supplément de capital qui diminuera d’autant notre dette flottante toujours dangereuse (caisse de créditeurs associés). Et il incorpore aussi à notre mouvement des éléments neufs qui prendront leurs responsabilités dans la gestion et le succès de la C.E.L. comme nous avons pris les nôtres en des temps plus difficiles.
 
Notre campagne d’abonnements B.T. bénéficie aussi de l’intérêt nouveau que nous portent tant de camarades.
 
La chaîne déborde aussi le groupe compact et important de nos adhésions : les groupes se mobilisent pour toucher un public toujours plus élargi ; ils contactent les sections syndicales, les sections O.C.C.E., les organisations laïques, les parents d’élèves ; des motions sont votées. Les libraires eux-mêmes prennent des abonnements complémentaires ou mettent à notre disposition des B.E.N.P. et des Enfantines qu’ils ont en stock. Les camarades retraités s’offrent à céder une partie de leurs archives pour la documentation des jeunes ; des inspecteurs et directeurs d’Ecole Normale se mettent à notre disposition pour nous aider aussi selon les modalités que nous leur indiquerons ; des normaliens nous envoient leur souscription collective.
 
Des vieux militants se rappellent à notre souvenir et nous disent eux aussi leur indéfectible amitié.
 
Mais le geste le plus émouvant est sans doute celui d’un jeune camarade mobilisé qui nous envoie le montant de sa paye de la quinzaine, soit 6,28 NF : « Je voudrais tant faire plus, nous dit-il, mais cela m’est absolument impossible étant donnée ma situation financière actuelle... Je dispose de pas mal d’heures de loisir ici et je me mets à votre disposition pour faire les travaux que vous pourrez me confier ».
 
L’INCENDIE QUI NOUS A SI DANGEREUSEMENT TOUCHES A INCITE LES CAMARADES A REFLECHIR SUR CE QUE LEUR A APPORTE NOTRE MOUVEMENT ET SUR CE QU’IL A APPORTE A L’EDUCATION ET A LA LAICITE.
 
« A vous qui m’avez montré la bonne route (lors d’une réunion à Arras il y a bien des années de cela), à vous qui m’avez donné le goût du métier, avec un souci constant de recherche et de renouvellement, je dis : Bon courage ! Nous rebâtirons ! ».
« C’est l’indignation qui nous gagne tous ici à la pensée qu’au-delà de la C.E.L. on cherche à menacer la liberté d’expression et la liberté tout court. Mais nous n’avons pas à avoir peur : notre cohésion et notre tranquille volonté prouveront que nous sommes prêts à relever le défi ».
« Je suis un jeune coopérateur mais je sais tout ce que je dois à la C.E.L. ».
« ... l’expression de ma profonde admiration et de mon entière gratitude ».
« En plein XXe siècle on détruit, on brûle... c’est un retour au Moyen Age.
« Que les auteurs le veuillent ou non, ils attestent par leur criminelle bêtise que l’Ecole Moderne a une réelle influence. Ce qu’ils auraient dû comprendre, c’est que, même s’ils avaient réussi à détruire le support matériel, l’esprit Ecole Moderne que vous avez accouché ne peut aller qu’en se développant. On ne revient pas en arrière ».
 
Et c’est notre camarade Fournier, naguère directeur d’Ecole à Berrouaghia, aujourd’hui directeur d’Ecole Normale à Porto Novo qui résume ce sentiment de solidarité et de reconnaissance :
« La flamme, pas plus que le couteau, ne peuvent que fort peu contre l’esprit.
« On ne peut supprimer toutes les idées que vous avez mises en route aux quatre coins du monde. Les bâtiments, les stocks de brochures peuvent flamber, la comptabilité de la C.E.L. peut être détruite, l’esprit coopératif reste.
« Je vous redis aujourd’hui ce que je vous ai écrit maintes fois: grâce à vous, grâce à toute l’équipe C.E.L., je suis à 46 ans toujours jeune, toujours plein d’enthousiasme. Les collègues découvrent avec moi que le travail intelligent est une inépuisable richesse ».
 
CONFIANCE ET ESPOIR
 
« Après tout, nous écrit Mme Audureau, n’est-ce pas un triomphe que, par une si curieuse coïncidence, et en un si cruel moment, surgisse ce « Gardien de Joie » qui porte en lui des échos prodigieux qu’il n’a pas fini d’éveiller dans le temps, l’espace et les civilisations ».
« ... on peut brûler la C.E.L., on ne brûlera pas l’Ecole Moderne ».
 
« ... cela n’empêchera pas notre vaillante Ecole Moderne de faire un beau Congrès à Caen et sa vitalité n’en sera que plus solide ».
 
C’est à notre ami Dottrens que nous emprunterons notre encourageante conclusion :
 
« Je n’ai aucune crainte pour l’avenir. La C.E.L. reprendra son effort et son essor. Il n’est pas pensable que vos idées et vos techniques cessent d’animer le travail de tous ceux qui, ouverts aux besoins et aux possibilités de ce temps, oeuvrent pour une rénovation fondamentale de l’éducation ».
 
BILAN PROVISOIRE :
 
Où en sommes-nous un mois après l’incendie ?
 
Toutes les formalités d’enquête sont terminées, tant avec la justice qu’avec les assurances.
 
Nous ne savons absolument rien de l’enquête judiciaire, mais nous souhaitons qu’elle se poursuive rigoureusement pour aboutir.
 
Le règlement avec les assurances interviendra courant février. Il nous aidera à parer aux éditions les plus urgentes.
 
Nous allons déblayer les vingt tonnes de papier brûlé et détérioré et commencer la réfection des locaux.
 
Les B.E.N.P. et les Enfantines sont perdues. Il ne nous restera que quelques prototypes. Nous tâcherons d’accélérer l’édition des B.E,M. qui remplaceront les B.E.N.P., et nous envisagerons la possibilité de promouvoir comme elle le mérite la littérature d’expression enfantine dont nous avons révélé la fécondité.
 
Nous avons 100 B.T. et 100 S.B.T. à rééditer. C’est une entreprise considérable. Avec votre aide à tous nous saurons reconstituer, en un temps réduit les collections menacées.
 
La C.E.L. continue.
 
C. FREINET.
 
VŒUX ET MESSAGES DIVERS
 
« Le groupe girondin de l’Ecole Moderne, réuni à Artigues, près de Bordeaux le 11 janvier 1962 :
- flétrit l’attentat dont la C.E.L. a été l’objet ;
- lance une campagne de solidarité pour la défense de l’Ecole Moderne ;
- assure Elise et C. Freinet de toute leur affection
Le Président du Groupe : J.-R. Brunet, I.P
Le Délégué départemental : Hourtic.
 
O
 
« Le C.S. de la section de l’Oise du S.N.I. mis au courant de l’incendie criminel qui a dévasté une partie des locaux de la C.E.L. vous assure de sa sympathie et de sa solidarité. Un versement de principe sera effectué pour contribuer à réparer les dégâts ».
 
Le Secrétaire général : R. Samson.
 
O
 
« Je suis navré de cette fâcheuse nouvelle, à la fois pour la perte matérielle que cela représente pour votre organisation et pour la disparition de tant d’archives précieuses pour l’histoire de votre mouvement, c’est-à-dire pour l’histoire de la pédagogie en France ».
 
L. Cros. Directeur de l’Administration Générale au Ministère de l’Éducation Nationale.
 
O
 
« Profondément émus par votre malheur, nous tenons de vous exprimer toute notre sympathie et amitié » Professeur Suchodolki et l’Institut des Sciences Pédagogiques de l’Université de Varsovie.