Mars 1962
Les petits du Cours Préparatoire ont depuis longtemps l’habitude de réserver un ou plusieurs de leurs journaux, chaque mois, pour un Aérium, ou une Maison d’enfants.
Nous faisons d’habitude cet envoi par l’intermédiaire de la Croix Rouge Jeunesse parce qu’à Marseille, la directrice est dévouée et compréhensive à l’égard de nos techniques - et aussi parce que nous n’avons aucune adresse permettant de faire autrement : ce service me paraît à créer au sein de l’Ecole Moderne. Naturellement, nous n’en attendons aucun retour, mais les enfants de mon CP le font volontiers.
De plus, depuis plusieurs années, nous nous faisons donner une ou deux adresses de petits infirmes moteurs cérébraux, tenus éloignés de l’école, donc, de la société normale des autres enfants. C’est donc tout naturellement que nous nous sommes adressés cette année au Centre Régional Pédagogique, service de Prospection des Malades et d’Enseignement par correspondance.
Mlle Affre, responsable, nous a très volontiers fourni l’adresse de Jean-Pierre M. afin de créer pour lui un parrainage plus complet.
Nous avons envoyé un Journal à Jean-Pierre, accompagné d’un mot pour ses parents (certains parents ne se rendent pas compte de la valeur humaine de tels apports extérieurs pour leurs petits malades) et d’une lettre aussi pour l’instituteur chargé des répétitions à domicile, auprès de lui.
Nous avons reçu les réponses : ma classe est enthousiasmée : on écrira à Jean-Pierre, on dessinera pour Jean-Pierre !
Alors je propose une idée qui me tient à cœur : « Pourquoi ne pas faire entrer Jean-Pierre dans l’activité de notre Journal ? » On lui écrit : « Envoie-nous un dessin au crayon, format 13,5 x 21 et nous te ferons une surprise... », et le dessin on le tire au limographe. On lui envoie même une dizaine de feuilles pour qu’il les distribue à qui bon lui semble.
Nous avons même tiré une page « Notre filleul », pour expliquer ce qui se passe aux correspondants, en mettant l’adresse de Jean-Pierre, et l’équipe de quinze camarades qui nous envoient leur Journal commencent à lui envoyer le leur. Le maître nous écrit : « Nous continuons à recevoir des journaux scolaires... et pour tous ces liens qui se tissent autour de Jean-Pierre, et tentent de le rattacher à une vie normale, nous vous adressons, ainsi que ses parents, nos remerciements ».
Je crois que l’élan est donné, et que le Mouvement d’Ecole Moderne pourrait organiser cette prospection à travers la France, afin que les petits isolés soient reliés par des liens d’amitié à nos écoles.
Lucienne Alibert a pu inviter un petit paralysé dans sa classe de perfectionnement pour Noël !
Dès à présent, je tiens à la disposition des camarades des Bouches-du-Rhône la liste des petits paralysés susceptibles de recevoir un journal (voir Bulletin du Sud-Est). Si chaque correspondant éventuel alerte son équipe, cela fera une vaste toile d’araignée de l’amitié qui se tissera entre les petits de nos classes et ces pauvres gosses : nous avons déjà reçu pour Jean-Pierre une demande personnelle de correspondance : bien sûr, il y a encore des difficultés.
Et puis, ces petits isolés n’ont pas tout de suite des dessins « Ecole Moderne » comme les nôtres. Mais il faudrait voir aussi les exercices que leur proposent les Centres d’enseignement par correspondance ! « Conjuguez le verbe : courir à toutes jambes et avoir les joues rouges » ou quelque chose de ce genre ! C’est là qu’il faudrait avoir de l’influence !
Pourtant il paraît y avoir, dans cette initiative un intérêt double : la solidarité et l’amitié avec nos petits, d’abord, et encore le désir de ne pas laisser ce parrainage à des organismes plus ou moins purs vis-à-vis des consciences enfantines.
Enfin, faire entrer les petits déshérités dans la Ronde des Copains de l’Ecole Moderne, n’est-ce pas, selon le mot de Freinet, « faire en sorte qu’aucun être humain ne reste sur le quai » ?
P. QUARANTE.
Auteur :