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Inspection (suite et fin)

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Octobre 1979

 

INSPECTION
 

Suite et fin provisoire de la réflexion menée par deux collègues sur leurs rapports d'inspection

 

(cf. Brèche n° 42, octobre 78 et n° 45, janvier 1979)    
    

 
 


8. - INSPECTION

DES MÉTHODES ACTIVES À L'EXPRESSION LIBRE
Les années 1945·1955 marquent sous l'impulsion des "classes nouvelles" (méthodes actives par thèmes) et des Cahiers Pédagogiques, le passage du cours magistral au cours dialogué. Beaucoup d'enseignants y sont hostiles et voient dans le cours dialogué un artifice démagogique. Mais en CPR on apprend à construire des explications de tex te à partir d'une série de questions. Malheureusement cette pratique n'est pas soutenue par une théorie suffisamment nette. On sait vaguement que l'objectif c'est "une classe vivante","des élèves qui parlent". Or en 1968 c'est bien le cours magistral qui sera attaqué, non le cours dialogué ce qui prouve que beaucoup d'enseignants ne savaient pas le pratiquer correctement.
On croit qu'il faut renouveler les textes, mais Boris Vian présenté à contre-pied (en cours faussement dialogué) ennuie autant que Corneille. Seul le texte qui convient exactement aux motivations des élèves peut les intéresser. On est bien obligé d'en passer par l'expression libre pour connaître ces motivations. On obtient alors une "classe vivante", mais l'impératif majeur de l'inspection est alors dépassé "Qu'ils parlent !S'ils disent des bêtises, le professeur est pour rectifier". Mais si les élèves sont vraiment intéressés, ils disent moins de bêtises, ils réfléchissent plus et parlent moins. D'où la surprise d'une collègue recevant une sixième formée dans un CM1-CM2 utilisant des techniques Freinet : elle se plaignait de leur silence alors que les enfants avaient appris à réfléchir avant de parler !
L'expression libre a sa dynamique propre fondée sur le tâtonnement et donc sur d'apparentes pertes de temps. Il faut évidemment en perdre au minimum mais ce sens de l'économie du temps est difficile à acquérir : tantôt le rythme est dur, tantôt il est alangui. Un jour d'inspection on est amené à durcir le rythme, sinon on laisse entendre que le rythme est constamment alangui. Et naturellement, cela fait mauvais effet. Or, laisser tâtonner ce n'est pas nécessairement être négligent ou alangui et cette proposition peut être prise dans deux sens différents : elle peut servir à se défendre devant un inspecteur, mais, inversement, elle peut constituer une règle de conduite personnelle.
On en arrive ainsi à trois idées :
- une classe vivante
- un rythme tâtonné, ni dur, ni alangui
- des techniques stylisées.
 
 


9 - INSPECTION

LE DROIT À L'ERREUR
C'est un droit souvent revendiqué et justifié sous forme d'échange : "Reconnaissez le droit à l'erreur puisque vous ne nous donnez pas de formation permanente".
Pris en lui-même, le droit à l'erreur a quelque chose d'exorbitant : droit à l'erreur du médecin, du pilote de ligne ... On se récriera et on introduira une nuance droit à l'erreur légère, mais non à l'erreur lourde ... Mais qui jugera de la gravité de l'erreur, l'inspecté ? l'inspecteur ? Par ailleurs "le droit à l'erreur" réintroduit subtilement mais définitivement, la notion de norme : si je me suis trompé c'est qu'il y avait quelque chose à faire ou ne pas faire, donc une vérité ... Mais, dans les faits, dans la réalité, il y a bien des actions jus tes et injustes, vraies et fausses. Si je laisse aller ma classe à vau-l'eau, si je n'assume plus ma part du maître, j'ai tort. Puis-je légitimement revendiquer le droit à cette erreur-là ?
Si nous nous enferrons aussi facilement sur cette notion c'est que nous ne la voyons que dans une relation duelle (et de duel) : inspecteur, inspecté. Chacun se réfère à ses propres conceptions sans chercher à les confronter avec celles d'autres enseignants. Et ceci est valable à la fois pour les inspecteurs et pour les inspectés. Mais la situation commence à changer.
La formation permanente évoquée comme monnaie d'échange a quelque chose de suspect, car on peut y voir un complément de formation universitaire, complément théorique et officiel. À cette formule figée et hiérarchisée nous préférons la confrontation coopérative des expériences avec, éventuellement, la participation d'universitaires venus pour échanger c'est-à-dire donner et recevoir. Plus nous multiplions ces réunions au niveau départemental, mieux nous régulons notre pratique. Il n'y a pas d'autre voie.
De leur , les inspecteurs commencent à réunir les enseignants. Ce n'est pas qu'ils sachent forcément bien écouter,mais ce n'est pas non plus que les enseignants sachent bien parler ; que n'entend-on pas sur la "récupération" possible de ce qui se dit et de ce qui se fait ! Si nous voulons que nos idées avancent, il faut pourtant pouvoir les dire, les étayer d'une pratique assez solide, confirmée précisément par l'échange coopératif.
 
PRÉSENTATION DU "DÉBAT OUVERT SUR L'INSPECTION"
(L'Éducateur Février 1979)
Le secteur "Lutte contre la Répression" de I'ICEM a rassemblé divers éléments de réflexion pour un débat sur l'Inspection.
La première partie traite des exemples actuels de résistance individuelle et collective à l'Inspection : d'une tentative de dialogue avec les inspecteurs jusqu'au refus d'inspection, en passant par l'essai d'un contrat avec l'administration pour une inspection collective.
Nous avons ensuite réuni quatre textes officiels du mouvement qui peuvent faire avancer le débat sur le problème de l'Inspection et de la hiérarchie, peu compatible avec la mise en place d'une vie coopérative entre les enfants et les enseignants.
Ce débat est déjà largement engagé : des militants, le comité directeur ont écrit à ce sujet ; aux journées d'été d'Aix une discussion a permis d'approfondir encore quelques aspects du problème. Il reste encore quelques points en suspens (sur l'évaluation, en particulier) sur lesquels, la commission vous livre l'état de ses réflexions.
Pour toute correspondance sur ce sujet, s'adresser à
 

Marie-Noélle BONNISSEAU

 

3, les Dahlias

 

57600 - FORBACH

 
 
9bis DROIT À L'ERREUR
(Remarque de Y.)
 

Oui, à condition que l'inspecteur admette, comme corollaire, son propre droit à l'erreur. Or, actuellement un inspecteur est infaillible. Il est parfaitement informé sur tout, il a lu tous nos dossiers, toutes nos revues ...

En conséquence sa note est intangible.En cas de baisse anormale d'une note, l'inspecté peut certes demander une contre-inspection (ce qu'on n'a pas toujours le courage de faire ... mea culpa). Ou bien le Doyen de l'Inspection Générale peut demander une nouvelle inspection (ce qui s'est passé dans mon cas et m'a été bénéfique).
Mais la note initiale ne sera pas modifiée : on prendra la moyenne des trois dernières notes ...
Et si on se- passait de notes, comme dans la plupart de nos classes ? Et si l'inspecteur admettait que nous avons parfois du nouveau à apporter, qu'il faut juger sur un ensemble et non sur une heure, voire quelques minutes ... ?
Et si on se passait d'inspection ? et si on instaurait une véritable concertation, un véritable travail d'équipe, sans hiérarchie ?

 
10. INSPECTION
ÉMULATION PAR LES NOTES OU LA COOPÉRATION ?
Extrait d'une lettre d'un I.G. sur les notes (fév 76)
 
"La remise en ordre" des notes pédagogiques quand les commissions paritaires de l'enseignement technique ont été fondues avec celles du "second degré traditionnel" a posé pas mal de problèmes. ( ... )
Les notes de l'enseignement technique allaient de 12 à 18, celles du second degré de 12 à 16 (16 étant en général la note des professeurs de classes préparatoires et 17 étant tout à fait exceptionnel).
Dans un premier temps nous avons ramené les 18 à 16 les 16 à 15, les 15 à 14 et la règle est qu'il faut une proposition de deux points en dessus (ou en dessous) pour modifier la note dans un sens ou dans l'autre. ( ... ) C'est une alchimie compliquée et qui n'a .pas été portée à la connaissance des intéressés autrement que verbalement dans les réunions de professeurs - ou par lettre.
 
 

Commentaire

- On resserre l'échec et, comme, malgré tout, on s'améliore au fil des ans, on aboutit à des passages à l'ancienneté, les plus âgés ayant globalement plus de chance de passer au choix que les plus jeunes. Exception : "les maladroits" volontaires ou involontaires, les "maladroits volontaires" (les odieux gauchistes) étant moins nombreux qu'on ne le croit ordinairement.
- Quand les enseignants s'imaginent que leurs efforts sont récompensés par la note, ils se trompent et inventent une motivation. Simplement, en gros, on enseigne mieux en vieillissant, ou du moins c'est ce que pense globalement l'inspecteur (qui juge sur un ensemble).
- On pourrait donc faire passer tout le monde à l'ancienneté, mais alors on manquerait d'un moyen de pression efficace et cette fois rien n'encouragerait l'enseignant à s'améliorer.
- Il faudrait alors recourir à une voie courageuse : la régulation des pratiques par les praticiens eux·mêmes se communiquant entre eux ce que chacun a trouvé de plus intéressant. Les inspecteurs se chargeraient alors de la régulation.
 
11. INSPECTION
LA RÉCUPÉRATION
Récupération et manipulation sont deux lieux communs qui fleurissent depuis 1968. Sur la récupération, on lira une page intéressante d'Anne Leclerc dans "Épousailles". La grande terreur pédagogique de I'I.C.E.M., c'est la récupération. C'est au nom de la récupération que l'on refuse actuellement la confection d'outils simples et accessibles à tous les maîtres, autrement dit que l'on tourne le dos à la pensée de C. Freinet.
Nous ne prétendons pas pratiquer la pédagogie Freinet. Nous utilisons, en les adaptant, quelques techniques de cette pédagogie. Nous en inventons d'autres au besoin,de manière à obtenir un ensemble à peu près cohérent, quelquefois plus ouvert que solide, quelquefois plus solide qu'ouvert, cela dépend des camarades puisque chacun se reconstruit un système personnel tout en étudiant les systèmes des voisins.
Cela veut dire que nous nous empruntons mutuellement des techniques, que nous en "récupérons" dans un vaste système d'échanges et de dons que connaissent bien les anthropologues. Simplement chacun pour soi essaie de respecter deux règles :
- la rigueur pédagogique : comprendre le mieux possible le fonctionnement et la finalité de nos techniques.
- le système pédagogique : une technique renvoie à une autre et aucune n'est alors dissociable de l'ensemble.
Un inspecteur passe, est frappé par une technique qui le séduit, la conseille à d'autres collègues. Où est le mal ? Puisque nous savons qu'une technique en elle-même ne compte pas, surtout si elle est présentée (ou reçue ! ) comme recette. Elle est simplement inopérante.
De quoi se plaint·on au fond ? De n'être pas reconnus dans nos classes comme des militants Freinet ? Le fait qu'une pratique pédagogique soit toujours considérée administrativement comme une pratique individuelle paraît une bonne protection. L'administration n'a pas à anticiper sur l'événement. Quand beaucoup d'enseignants auront affiné leur pratique d'une manière coopérative, l'administration avalisera l'état de fait. Mais voilà, beaucoup d'enseignants sont·ils prêts à affiner leur pratique pédagogique d'une manière coopérative ? Et le faisons-nous, nous-mêmes, suffisamment pour être crédibles à l'extérieur ?
 
12. Anne LECLERC - ÉPOUSAILLES
(Grasset 1976) p. 170·171
Faudrait-il enfin que nous nous abstenions de tout travail, de toute lumière, de toute raison, de toute science,de tout enseignement, de toute musique pour ne jamais risquer d'apporter de l'eau au moulin du pouvoir ou d'être broyé en ses rouages ?
Le pouvoir nous a parfois si bien fait croire que c'était lui qui faisait les bonnes choses que nous suspectons tout bonheur de cacher ce qu'il impliquerait : un consentement, une soumission, un abandon au pouvoir.
J'en vois comme ça autour de moi, je les vois même de très près, ce sont souvent mes copines, mes copains, qui n'ont plus d'autre principe de conduite que celui de l'évitement ; évitement perpétuel de lieux souillés et de discours piégés, navigation triste, où tout élan collectif se brise sur la crainte de la "récupération", où tout accord, où toute adhésion finissent par s'engluer dans les bourbiers indéfinis de la défiance. Ils ont peur, ils n'osent plus : qu'est-ce qu'on pourrait bien faire de bon et dont nous serions assurés que le pouvoir ne pourrait tirer aucun parti ?
Moi, ce qui me fait peur, c'est d'avoir peur, c'est de ne pas oser, c'est de me retenir. Chaque fois que je n'ose pas, chaque fois que je me retiens, c'est qu'il y a du pouvoir dans l'air, qu'il est là tout près à me menacer et que déjà il m'entame ...