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A propos d’une récente circulaire ministérielle

Novembre 1960

 

DERNIERE HEURE

 

A propos d’une récente circulaire ministérielle

 
C. FREINET
 
Nous avons été émus par un Communiqué de Presse, certainement inspiré, sinon dicté par la Direction du premier degré et donnant l’essentiel d’une circulaire de M. Lebettre, dont nous devions prendre connaissance quelques jours après.
 
« Cette décision, dit le Communiqué, amorce un virage important dans l’enseignement du premier degré où, depuis une dizaine d’années, les expériences et les innovations pédagogiques s’étaient développées, s’efforçant d’une part d’enlever leur caractère d’austérité aux études, et, d’autre part, mettant à la mode des procédés pédagogiques comme l’étude du milieu, la visite des musées, l’extension considérable des moyens audiovisuels, ce qui avait pour effet de diminuer d’autant les horaires impartis aux exercices numeriques, à la dictée et à l’analyse ».
 
Nous analyserons la circulaire elle-même dans le prochain numéro de L’Educateur et nous verrons notamment si M. Lebettre peut contredire aussi radicalement Montaigne, en renversant les termes de son axiome : « Savoir par cœur n’est pas savoir », ce qui se traduirait dorénavant dans la pédagogie française par : « Le par cœur est la forme la plus authentique et la plus durable du savoir ».
 
Dans une interview parue dans L’Education Nationale du 3 novembre, M. Lebettre aggrave encore la circulaire, en affirmant qu’elle est un retour au passé, c’est-à-dire un aspect dangereux de la réaction pédagogique.
 
Nous nous contenterons aujourd’hui de noter que :
 
1°. M. Lebettre pense « qu’il est plus sage de revenir à des méthodes qui ont fait leurs preuves ». Or, ces méthodes n’ont point changé. Dans 90 % des classes, elles sont exactement ce qu’elles étaient au début du siècle, le secteur plus ou moins modernisé n’affectant que 10 % des classes.
 
La situation catastrophique à laquelle M Lebettre prétend remédier est donc bel et bien le résultat de la pédagogie officielle souveraine. L’Ecole française n’a pas hélas ! à y retourner. Elle n’a qu’à y rester en annihilant si possible le noyau de chercheurs modernes qui travaillent plus ou moins clandestinement. Mais on voit mal comment alors quelque chose pourrait changer,
 
2°. Les décisions ministérielles entraînent nécessairement un retour aux anciennes pratiques de discipline autoritaire. Obliger l’enfant, le contraindre aux devoirs et aux leçons suppose le recours aux sanctions, aux punitions plus ou moins barbares encore en usage dans la majorité des classes de notre pays, le retour à la fessée, le retour à une pédagogie en harmonie avec les passages à tabac policiers et les tortures de l’armée.
 
Tous les laïques, tous les démocrates se doivent de protester vigoureusement. La France mérite mieux que cela.
 
Dans le même numéro de L’Education Nationale, Michel Debré nous montre le chemin de la protestation et de la résistance. Dans le discours prononcé le 10 octobre 1960 sur la Promotion supérieure du travail, M. Debré s’exprime ainsi :
 
« Je pense ne choquer personne en disant que les mécanismes anciens, et ceux de l’Education nationale en particulier, ne sont pas adaptés... On incline à penser que notre système d’éducation est empreint de traditionalisme et témoigne d’une incompréhension technique, politique et humaine de la promotion sociale ».
 
Et en protestant, nous ne faisons en somme que suivre les conseils de Michel Debré : « C’est un effort constant, et le refus de se plier à l’orthodoxie qui permettront de développer, dans le cadre de ce qui existe, la promotion sociale ».
 
C. FREINET.