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Vers une modernisation de l’enseignement dans les C. C. et le 2 e degré

Dans :  un niveau scolaire › 
Novembre 1960

Pendant 35 ans nous avons expérimenté patiemment dans notre premier degré, jusqu'à mettre au point un certain nombre de techniques qui, d’aventureuses qu'elles paraissaient à l'origine s'avèrent aujourd'hui comme susceptibles de redonner une vie nouvelle à la pratique normale et journalière de nos classes.

Du coup, un certain nombre de notions jadis sacro-saintes ont été sapées, puis mises en doute. Nos mots d'ordre d'il y a trente ans : Plus de manuels scolaires et Plus de leçons cessent aujourd'hui d'être séditieux. Une transformation peut-être radicale est en marche.

Nous n’avons pas l'outrecuidance de penser que nous sommes les acteurs exclusifs de cette évolution. La démocratisation en cours du second degré, les besoins nouveaux de l'industrie, du commerce et de la technique, l'insuffisance flagrante des méthodes du passé face aux réalités d’aujourd'hui et de demain ont contraint parents et éducateurs à se poser un certain nombre de problèmes jamais abordés jusqu'à ce jour et pour lesquels il faudra bon gré mal gré trouver des solutions.

Nous présentons quelques-unes de ces solutions. Nos techniques aujourd'hui solidement implantées dans des milliers de classes du premier degré tendent à persuader les éducateurs des C.C. et du second degré que des voies sont désormais possibles dans lesquelles nul n'osait jusqu'à ce jour s'aventurer.

Les chercheurs — il y en a à tous les degrés — sont désormais en action.

Dans les C.C. d'abord qui accèdent aujourd'hui à une nouvelle fonction après avoir été longtemps des instruments exclusifs de bourrage pour la réussite aux examens qui étaient leur raison d'être.

La réforme amorcée, la nouvelle structure des C.C. à la limite justement des classes d'orientation incite les éducateurs de ce degré à reconsidérer leurs techniques de travail. Il se trouve justement qu'à l'occasion du recrutement intensif de ces derniers temps, un nombre important de nos adhérents ont accédé aux C.C., Ils y entrent avec le souci évident de ne pas se contenter des anciennes pratiques mais d'expérimenter, de chercher des solutions plus efficientes. Et naturellement ils se réfèrent à nos techniques.

Celles-ci ne sauraient être transposées telles que, pas plus aux C.C. qu’au second degré, II y faut une adaptation, avec adaptation aussi, et s’il le faut création des outils nouveaux qui permettront cette efficience.

Nous avons déjà pris une avance dans ce sens par le travail d'avant-garde de notre Commission C.C. au cours de ces dernières années : le texte libre, le roman scolaire, le journal et la correspondance ont été expérimentés avec succès. Quelques-uns de nos outils : B.T., suppléments B.T., Fichiers sont immédiatement utilisables. Nous sommes en train de réaliser des fichiers auto-correctifs qui seront le pendant de ceux que nous utilisons avec tant de succès au premier degré. Notre Commission de travail, forte d'une trentaine de bons ouvriers est à pied d'œuvre pour les études et les recherches qui s'imposent.

Le second degré bouge aussi.

Lentement. Mais il nous faut considérer aussi les obstacles peut-être plus graves encore que ceux que nous avons rencontrés nous-mêmes, qui gênent, contrarient et parfois annihilent les efforts des chercheurs du second degré.

Il y a eu et il reste contre eux l’organisation spécifique du second degré, avec la pratique des cours spécialisés — peut-être inévitables — qui prennent les étudiants dans un engrenage « parfait et glacé » (1) qui les lamine au lieu de les éduquer et de les cultiver.

Cet état de fait est actuellement dangereusement aggravé par la surcharge des classes et par la hantise d'examens encyclopédiques dont la préparation ne laisse plus de place aux tâches d'éducation et de formation considérées comme superflues.

C'est pourtant dans ce complexe que se font jour de nombreuses initiatives dont les Cahiers Pédagogiques de l'Enseignement du Second Degré se font régulièrement l'écho.

*

Le numéro du 15 septembre, consacré aux manuels va nous permettre justement de donner une idée de l'ampleur de cette évolution. Il est le résultat d’une enquête auprès des professeurs, mais différente des enquêtes permanentes que mènent les éditeurs pour la mise au point et la vente de leurs manuels.

« Le sondage de l’éditeur est fait au niveau des habitudes, celui des Cahiers décèle plutôt des inquiétudes pédagogiques. Raisonner sur les habitudes, c'est le plus sûr, mais les inquiétudes d’aujourd'hui peuvent annoncer les habitudes de demain. Un manuel complémentaire du cours, qu'il se garderait de doubler ; un manuel méritant vraiment son nom : léger, mince portatif, maniable ; un manuel qui suivrait pas à pas, sous le nom actuellement galvaudé de livre du maître, un guide d'utilisation pédagogique ; un manuel composé en commun par le professeur et les élèves à l’aide d'éléments mobiles ; un manuel plus respectueux enfin des textes qu'il se défendrait de couper et de défigurer par des notes, des notices et des questionnaires. Ce sont là autant d'idées minoritaires aujourd’hui, qui pourront un jour intervenir dans un calcul de rentabilité et dans un placard publicitaire ».

Certes la contexture des manuels et leur utilisation diffèrent selon la discipline considérée. Les rédacteurs de ce numéro spécial ont considéré :

1°. Les manuels qui sont des cours, — Ils sont d'ordinaire condamnés sous leur forme actuelle. Ils seraient par contre utilisables si intervenaient un certain nombre de modifications au sujet desquelles nous avons notre mot à dire.

Pour ce qui concerne l'enseignement de la géographie, « dans la pratique, le professeur aurait besoin, non pas du manuel tel qu'il est actuellement conçu, qui redouble son cours, mais d'un complément documentaire... Les livres actuels sont très luxueux. Il faudrait leur conserver ce caractère, mais on pourrait réduire sensiblement leur volume, et partant, leur prix, en supprimant presque complètement l’exposé magistral au profit des éléments documentaires mentionnés ci-dessus ».

Nous avons mis au point deux formules qui répondraient parfaitement à ces besoins : la Bibliothèque de Travail, évidemment réalisée pour le niveau du second degré, et le Fichier Scolaire Coopératif qui serait l'outil idéal.

La même solution serait valable pour un enseignement vivant et efficient de l’histoire. Il suffirait d'en préparer les éléments.

Pour l’enseignement des sciences, un professeur réclame un livre-catalogue dans lequel on trouverait :

— des photos macro et microscopiques ;

— des extraits de cartes-coupes géologiques etc...

— des textes choisis.

Une édition B.T. 2e degré répondrait parfaitement à ces soucis. .

2°. Les manuels qui sont des méthodes, comme les méthodes de lecture ou de solfège, apparemment logiques et scientifiques mais qui de ce fait, sont toujours détachées de la vie, ce qui est pour nous une tare initiale.

*

Un certain nombre de professeurs critiquent d’ailleurs la progression rigoureuse des manuels et sont à la recherche d'autres techniques de travail, notamment pour l'apprentissage des langues. « Les programmes officiels sont la loi, les manuels sont les décrets d'application, et nous savons bien que les décrets d’application peuvent dénaturer la loi qu'ils sont censés faire entrer dans les faits. Les livres renchérissent sur les programmes et constituent pour l'interprétation de ceux-ci une sorte de jurisprudence qui en aggrave la surcharge ».

Enfin, un professeur d'anglais se pose même la question : « En 6e et en 5e ne peut-on se passer de manuels ? ».

3°. Les manuels qui sont des morceaux choisis.

Notre solution supplément B.T. de Textes d'auteurs serait également valable,

4°. Les manuels instruments de travail, valables en principe, mais à reconsidérer dans leur conception.

La conclusion de ces diverses études est : vers un assouplissement des manuels. Pierre Provost, professeur de physique au Lycée Louis le Grand présente alors le manuel composable, qui répond à plusieurs préoccupations qui se font jour dans ce cahier : disposer d’un instrument de travail moins rigide, moins définitif que le manuel ; d'un instrument de travail qui laisse l'élève moins passif puisque le manuel composé par l’un ne serait pas identique au manuel composé par l'autre.

Nous sommes là, très près de nos réalisations, Ce manuel composable, c’est notre livre de vie à feuillets mobiles, dans lequel on place non seulement les textes imprimés, mais les textes d’auteurs, les fiches guides d’histoire et de sciences. Ce livre de vie tend d’ailleurs aujourd'hui à se spécialiser puisque nous venons de réaliser des reliures spéciales à feuillets mobiles avec guides intercalaires, avec lesquels nos camarades réalisent désormais leur livre d'histoire et de sciences.

L'idée est donc lancée au second degré. Mais sa réalisation nécessitera un long travail coopératif, ce même travail que nous poursuivons au premier degré pour la préparation notamment de fiches-guides, de thèmes d'enquêtes ou d’expériences. Mais comment coordonner tout cela au second degré, comment organiser la vente et la distribution des diverses fiches de travail, comment opérer leur mise à jour?

Un travail d’équipe serait indispensable et nous pourrions, nous-mêmes profiter du travail qui y serait réalisé : « Une revue pourrait servir de lien entre éditeur et professeurs. Grâce à cette revue, des chapitres nouveaux pourraient être soumis à l'approbation des collègues avant toute impression. Cette revue recueillerait les suggestions, les projets, elle serait l'organe d'expression de ses propres lecteurs, le creuset de la recherche pédagogique d'où sortiraient les feuillets du manuel composable ».

CONCLUSION DE CETTE ENQUÊTE :

Il faut repenser le livre scolaire.

Il faut penser aussi « à des ouvrages de documentation, qui n'existent actuellement que pour des adultes ; la collection Colin et « Que sais-je ?». Il s’agirait de livres de bonne vulgarisation, de connaissance du monde, dirais-je, si te titre n'était pas déjà pris.

« Le programme de la collection que j'imagine pourrait épouser, par degrés et intelligemment, les vraies curiosités, les légitimes obsessions, parfois les angoisses des élèves de dix à vingt ans. On jurerait, au départ, que tout serait honnêtement fait. Je crois qu'on rencontrerait un succès qui, loin de léser les études, viendrait renforcer extraordinairement l'intérêt offert par le cours de physique, d'astronomie, de mathématique, de littérature. On verrait apparaître là une catégorie de manuels non classiques, échappant peut- être à la classification que vous avez proposée, mais à laquelle un riche avenir serait promis ».

Cette collection, l'auteur l'ignore, c'est, pour les enfants de dix à quatorze ans, la Bibliothèque de Travail qui pourrait se continuer, avec un contenu quelque peu différent, au-delà de cet âge.

L'idée, on le voit, est dans l'air. La réalisation en serait certainement possible à bref délai.

*

Il n’est pas en notre pouvoir de décider dans des réalisations qui ne sont pas de notre ressort. Mais il serait intéressant pour tous que nos techniques, nos outils et nos publications trouvent ainsi dans les C.C. et au second degré un prolongement qui contribuerait à modifier le climat scolaire et renforcerait donc notre patiente campagne pour la modernisation de notre enseignement,

C. F REINET

 

 

(1) Voir Cahier de ! 'Enseignement du second degré, N° du 15/10/ 60.