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La technique des brevets

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Novembre 1960

Nous en avons jeté les bases dans noire B.E.N.P. : Les Brevets dont nous pouvons adresser encore quelques exemplaires, avant épuisement, aux lecteurs intéressés qui nous en feront la demande.

Quinze ans après cette publication, nous allons faire le point des très nombreux essais tentés dans des centaines de classes et qui permettront sous peu l'utilisation pratique, dans toutes les classes, de cette nouvelle technique.

1°. Les Brevets se distinguent des examens ordinaires en ce sens qu'ils visent à mesurer moins les connaissances que les aptitudes, moins l'explication que la réalisation. Or, tous les livres scolaires et tous les manuels scolaires sont bourrés d'explications, de démonstrations et de notions à mémoriser, mais rares sont les indications qui permettent aux enfants de faire, de réaliser et de créer.

Il nous a fallu faire ce travail de recherche des éléments de travail, des outils et des techniques qui vont permettre à nos enfants, modernes compagnons, de réaliser des brevets et des chefs-d’œuvre valables.

C'est en ce sens que nos brevets ne sont guère possibles dans une école traditionnelle dominée par les devoirs, les leçons et les manuels scolaires. Ces brevets mesurent et sanctionnent une autre forme de travail, Ils supposent donc les techniques correspondantes.

2°. Théoriquement, ces brevets devraient être standardisés et gradués, ce que nous avons essayé de faire dans notre brochure en prévoyant plusieurs séries. Quelques camarades s’y sont appliqués également, avec un succès partiel pour ce qui concerne le calcul, plus difficilement pour les autres disciplines.

Dans la pratique, cette standardisation et cette gradation des brevets sont extraordinairement délicates à réaliser. Si quand même nous y parvenons, nous craignons que cette perfection technique nuise à l’intérêt des enfants et qu'ils aient en face de ces épreuves les réflexes d’indécision et de crainte qu’ils ont devant des épreuves d’examen.

Pour t'instant, dans la presque totalité des cas, les camarades préfèrent sauvegarder les éléments de vie.

3°. A l’origine nous n’avons prévu ces brevets qu’en fin d'année, pour remplacer éventuellement les examens. Et puis, nous avons été tellement surpris par l'extraordinaire intérêt des enfants, que nous avons étendu la pratique des brevets à toute l'année scolaire.

4°. Il y a aujourd'hui deux tendances vraiment marquées, et qui ne manquent pas d'originalité ni d'avantages autant l’une que l’autre :

a) Il y a des camarades qui, à l'Ecole de Delbasty et de Beaugrand pratiquent les brevets à tous les moments de l'année. Quand l'élève fait un travail qui l'intéresse et qui paraît donner des résultats, on l'encourage à continuer en lui accordant le brevet correspondant avec l’assentiment de l'ensemble des élèves. Nous publions ici même quelques types de brevets de cette collaboration maîtres-élèves. Elle aurait son complément dans le planning, expérimenté par divers camarades et dont le Bohec nous présente une réalisation pratique. Qu’on ne se contente pas de dire : « C’est trop difficile et trop compliqué» comme était difficile et compliqué le projet de Lalanne publié précédemment. Ce ne sont certes encore là que des ébauches, qui prennent forme, et que d'autres camarades vont à nouveau expérimenter pour parvenir un jour prochain à une technique acceptable dans toutes les classes. Car tout se tient : si nous voulons dépasser un jour les notes et classements, il nous faut mettre au point une technique de contrôle plus efficiente. On ne supprime vraiment que ce qu'on remplace, Et il serait oiseux de pester contre les notes et les examens si nous ne présentions pas la possibilité de faire mieux.

b) Cette pratique a incontestablement de grands avantages. Elle serait peut-être plutôt valable au C.P. et au C.E.. Elle nous paraît un peu trop anarchique avec des élèves plus âgés, et nous lui préférons la pratique expérimentale depuis plusieurs années à l'Ecole Freinet : la quatrième semaine de chaque mois est une semaine de brevets. Sur une feuille qui remplace les Plans de travail, nous inscrivons le lundi la liste des brevets obligatoires et celle des brevets facultatifs que l'enfant désire réaliser. Et pendant toute la semaine, avec l'aide des maîtres, on mesure, on pèse, on cloue, on filicoupe, on fait des maquettes, on écrit des poèmes, on chante des chansons, on joue du théâtre, on fait de la gymnastique, de la cuisine, de la pâtisserie. C'est un entrain et un sérieux incroyables. Pendant une semaine nous vivons l’Ecole idéale, celle où le travail intelligent est l'élément déterminant de la discipline.

Seulement nous n'avons pas de brevet standardisé, à peine quelques fiches-guides, avec surtout les éléments actuels de travaux géographiques, historiques et scientifiques.

L'enfant montre son chef-d'œuvre, imprime son poème, fait cuire un plat, repasse la lessive, fait une conférence. Elèves et maîtres jugent de la valeur de ce travail et proposent une note : 1 - 2 - 3 - 4 - 5, correspondant aux très bien, bien, assez bien, passable, mal.

Le samedi, après correction des plans, nous inscrivons sur une page de cahier, à raison d'un carreau par point, une sorte de graphique individuel qui nous permet, d'un coup d'œil de voir les réussites d'un élève, ses intérêts dominants et ses tendances.

Cette semaine de brevets se combine d'ailleurs avec les travaux sur le Cahier de Devoirs Mensuels qui, même à l’ancienne école, était une institution qui encourageait les enfants dans leur travail. Nous faisons faire sur le cahier : un texte libre, une dictée, des tests standardisés de calcul mécanique et les enfants y inscrivent aussi les comptes rendus plus ou moins détaillés de leurs brevets. Une sorte de graphique termine la semaine et sera soumis à la signature des parents.

Ce système nous semble à peu près parfait et vraiment à la portée de toutes les classes. Il permet en effet le déroulement normal du travail pendant tout le mois, avec une halte bénéfique d'une semaine, mais une semaine qui est, en tous points encourageante pour tous.

En fin de semaine, à la séance du samedi de la Coopérative, nous exposons les travaux réalisés, et chaque enfant dit le nombre de brevets obtenus,

Il ne manque à cette pratique que la standardisation et la comparaison des travaux pour les écoles qui voudraient s'orienter vers un classement. Nous nous engageons avec prudence dans cette voie de crainte de voir se substituer une émulation scolaire à cette grande entreprise collective où l'ouvrier est récompensé par ses propres succès.

Nous visons plus en effet à stimuler sans cesse le travail, à passionner les enfants pour une culture qui réponde à leurs besoins qu'à mesurer et à comparer en bureaucrates amateurs de statistiques. Les documents que nous produisons, les listes de brevets prendront place d'ailleurs dans le dossier scolaire qui pourrait bien être une des initiatives les plus prometteuses de notre époque.

Les notes des divers brevets s’ajouteront chaque mois aux précédentes. A la fin de l’année nous aurons trois semaines de brevets annuels qui chapeauteront tous les brevets mensuels. L'ensemble nous donnera un éloquent graphique des tendances et des possibilités de chacun de nos élèves.

Notre tâtonnement expérimental continue. Expérimentez nombreux dans le sens qui vous convient et nous serons bientôt en mesure à mettre à la disposition des éducateurs une technique de travail et de mesure emballante, qui satisfera maîtres et élèves, et aussi inspecteurs et parents.