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Novembre 1978
 

ÊTRE RECONNU

 

Réfléchissant à la suite de la lecture de l'article de Gilles VARY : "sont-ils déjà morts?" (Brèche 32 p. 24) Éric MOREL se demande si, pour un élève, voir paraître un de ses textes dans le journal suffit encore à le valoriser, à le motiver et, plus généralement,il cherche comment faire reconnaître les productions, la parole d'enfants issus du milieu populaire.
 
 

Une seule phrase, sur le moment, attire mon attention dans cet article :
« Mais chacun surveille étroitement si son texte se trouve dans le journal de classe ... " et Gilles se demande s'il ne s'agit pas là d'une nouvelle sorte de comtition.
Il me semble normal que des enfants aient envie de voir imprimer ce qu'ils ont fait. Puisque le journal existe pour eux tous. Nous·mêmes, ne questionnons·nous pas, assez sèchement les camarades de la Brèche quand un article envoyé ne paraît pas ? Et pourtant nous essayons d'avoir un esprit coopératif, de faire confiance à ceux à qui nous avons décidé de confier la rédaction.
Le Journal fait connaître à l'exrieur, mais il incite aussi à écrire, parce qu'il est là. Et après comment ne pas vouloir que son travail ne soit pas reconnu ? Maintenant on devrait se poser la question de la capacité du journal à valoriser. Aux temps des débuts de Freinet, faire un journal, c'était, j'imagine, accéder à un moyen d'expression des "grands". A notre époque, il faudrait sans doute pouvoir faire une émission de télévision ou de radio. Combien de parents des élèves de Gilles lisent encore le journal ? Il y a une différence de coût d'accord, mais à combien revenait une presse dans les années 30 ? Et puis il est toujours possible de préparer un enregistrement pour un poste local. Pensons au concours de France Culture pour les "chasseurs de son "? Mais je ferme la parenthèse ; la radio locale qui a existé avant·guerre a disparu; est·ce que nous essaierons d'avoir quelque chose du même genre(télé par câbles ?).
Une observation attentive de ce qui constitue la réalité de la vie des enfants dont nous parle Gilles devrait nous amener à essayer d'imaginer ou de faire connaître d'autres moyens de valorisation que "l'expression graphique, dramatique, orale, écrite ... ".
Le découpage en tranche du secondaire, sa favorisation des activités intellectuelles nous pousse à ne penser que "texte libre" où réussissent mieux ceux qui maîtrisent le langage. Et nous accentuons encore l'impression d'inégalité puisque, en plus, nous faisons élire, plébisciter le meilleur texte. À la limite, avant "un tel avait une bonne note en rédac" c'était le "chouchou du maître" maintenant on est forcé de reconnaître publiquement qu'il est meilleur.
Au Congrès de Bordeaux, à une confrontation entre les écoles parallèles et les enseignants Freinet, un camarade des classes pratiques nous disait ne plus faire de texte libre. Le "texte libre" dans sa classe (à ce moment-là) c'était la mobylette (sa réparation, son entretien). C'était ce qui permettait à l'individu de "parler", de se faire valoir dans le langage qu'il connt. On parle de remettre en question la "culture bourgeoise". Nous sommes·nous interrogés sur les manières de se faire valoir, d'être reconnu dans ce milieu populaire dont un certain nombre d'entre nous sont issus ? Je propose "avoir de la répartie, être facilement prêt à aider, être bricoleur » ; et vous ?
Il y a deux ans j'avais (en anglais) une classe à programme allégé. Je ne me souviens plus comment les dynamos étaient entrées dans la classe, mais chez les garçons ç'avait bientôt été l'escalade dans les tâtonnements en électricité.
Aidés des B.T. empruntées à la documentation, les gars tâtonnaient tandis que je faisais des cours aux filles. Par compromis avec l'institution, j'ai dû m'opposer à l'introduction d'un téviseur. Je pense que maintenant j'ai eu tort. J'ai vu le gosse qui avait proposé cela peu à peu s'éloigner de l'école qui ne lui permettait pas de se réaliser.Ses résultats étant par ailleurs fort médiocres, peu de choses lui permettaient d'exister dans l'école. On m'a dit"tu au rais l'intéresser à l'anglais, tu aurais pu le suivre", peut-être, mais j'avoue qu'apprendre l'anglais pour un gars qui ne sait pas lire sa propre langue, et pour des raisons qui risquent de se retrouver lors de l'apprentissage d'une langue seconde, ne me semble pas ce qu'il y a de mieux. Bricoler en électricité dans un milieu aussi aidant que possible me semblait plus éducatif. Toujours est-il qu'en cinquième il ne venait plus au collège que toutes les deux ou trois semaines quand le chantage aux allocations familiales devenait plus pressant. Il passait ses journées, je le sais car nous étions relativement en bons termes, à bricoler sa mobylette et à fouiller la décharge voisine. Certes il était libre, mais il lui manquait les conseils à mon avis nécessaires pour que ses tâtonnements s'ordonnent. En transition ou pratique, j'aurais été plus libre peut-être de répondre à ses besoins.
En classe, il avait déjà l'air mort, pendant les cours. A l'extérieur, il vivait autant qu'un autre adolescent de 77 en banlieue ouvrière - c'est -à·dire comment déjà ???
Jean-Eric MOREL
19 place des Farineau
59860 BRUAY -sur-ESCAUT