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Textes libres, copie et dictée

Dans :  Français › Techniques pédagogiques › 
Novembre 1959

L'Ecole Freinet, qui fonctionne cette année dans des conditions plus normales, reprend et continue son rôle d'école expérimentale — même si le Ministère rechigne à reconnaître ce rôle et à y aider éventuellement. —

Nous sommes bien placés d'ailleurs pour faire ces expériences, puisque notre effectif est presque exclusivement composé aujourd'hui d'enfants de tous âges, avec notamment un lot important d'enfants de onze à quatorze ans qui sont au moins très normalement intelligents mais qui, pour diverses raisons (et l'Ecole traditionnelle y a sa large responsabilité) sont dégoûtés du travail scolaire, ne veulent plus ni lire ni écrire, et sont parfois même rebelles à toute forme de travail.

 

Nous pouvons dire là, en toute certitude, que les méthodes habituelles de l'Ecole ont échoué. Et il y a même plus grave que le simple échec. Il serait inutile et vain d'essayer de remonter la pente avec les mêmes pratiques. Il nous faut — bon gré mal gré — chercher d'autres solutions.

On peut dans certaines classes « normales » avoir l'illusion que les méthodes traditionnelles n'échouent qu'avec certains enfants difficiles. Chez nous, l'illusion n'est plus possible.

El ce sont justement nos techniques qui redonnent à ces enfants, non seulement goût au travail, mais aussi goût à la vie. Ils se détendent ; leurs yeux deviennent vifs ; leur intelligence s’ouvre.

Alors là, dans un tel milieu, nous voyons d'une façon plus flagrante ce qui convient ou ce qui complique la rééducation. Notre Ecole est comme un banc d'essai probant,

Nous ne dirons pas Ici l'importance et la portée de l'expression libre en général et du texte libre en particulier pour fous ces enfants.

Nous nous attaquerons plus spécialement aujourd'hui au mythe de la copie comme moyen d'éducation.

La copie, c'est, on le sait, la technique souveraine de nos classes à tel point qu'on dit couramment : quand l’enfant est capable de copier, on est sauvé. Sous- entendu : le maître est sauvé car il peut, en toutes circonstances, occuper ses élèves,

Nous-mêmes recommandions la copie, par les élèves, du texte mis au net au tableau, comme s'il était admis chez nous que cette copie est un exercice naturel et profitable.

Or, nous constatons que si nos anciens élèves sont capables de copier le texte sans faute et en un temps record comme le ferait un adulte, il n'en est pas de même avec tous nos handicapés. En face de la copie, ils se retrouvent devant le travail scolaire abhorré — le travail de soldat — ils copient péniblement une ligne pendant que nos anciens écrivent deux pages, Et ils font une proportion de fautes incroyable.

Alors que si nous supprimons cette copie, ces mêmes enfants écrivent dans le même temps un texte libre d’une page, et avec un minimum de fautes (c'est ce que j'ai appelé le travail de fiancé). Il n'y a aucune comparaison possible entre les deux formes de travail

Alors, nous supprimons tout simplement la copie ou nous n'en faisons plus qu’accidentellement comme travail particulier d’écriture. Nous remplaçons par textes libres, exploitation pédagogique et conférences.

Nous supprimons en définitive le travail inutile, le travail que nous ne ferions nous-mêmes qu’à contrecœur, en ne lui prêtant donc qu’un minimum d’attention.

Nous avons supprimé de même la lecture du texte libre mis au net au tableau, qui reste trop souvent un exercice scolastique, donc peu profitable, et que nous remplaçons par : lecture, tous les matins, à toute la classe, d’un texte préparé d'avance — pendant ce temps les élèves dessinent — et surtout conférence et conversation au magnétophone. Les résultats nous paraissent étonnamment supérieurs. Nos élèves lisent tous exactement comme lisent les adultes cultivés, intelligemment et sans hésitation.

Certes la copie est commode. Pendant qu’un groupe ou une division copie, on peut s’occuper d’un autre groupe Mais si vraiment le rendement de la copie est inférieur à celui des textes libres ou d’autres travaux motivés, il nous faudra abandonner la copie et mettre au point la technique de travail qui permettra de remplir le vide laissé par l'abandon de cette pratique.

Nous aimerions que les camarades expérimentent de leur côté et nous disent ce qu'ils pensent d'une expérience qui affecte un des rayons essentiels du montage scolastique ta copie.

Nous proposons tout de suite un travail de remplacement dont nous avons déjà éprouvé les avantages : la dictée.

Eh oui ! la dictée si décriée par certains camarades et que nous replaçons au poste d'honneur.

Nous avions constaté depuis toujours que les enfants aiment faire une dictée, qui leur permet de se comparer à eux-mêmes et aux autres. Ils redoutent seulement la dictée si, comme à l'examen du C.E P., les fautes agissent comme des couperets automatiques, entraînant des sanctions graves, Si on supprime ces sanctions, en partant du principe que dans nos classes nos enfants donnent leur maximum de travail, alors reste seulement l’intérêt certain pour une épreuve qui est bien dans la nature de l’enfant.

Mais i1 faut encore apporter au principe de la dictée un autre accommodement, décisif.

La dictée traditionnelle comporte en effet une autre tare. Elle est faite non pour déceler la quantité de mots que l’enfant comprend et sait écrire, mais ceux qu'il ne sait pas écrire.

Selon le processus de tâtonnement expérimental, l'enfant, dans son expression tant parlée qu’écrite, se sert des mots qu'il connaît pour s'exprimer, et non de ceux qu'il ne connaît pas. La richesse de son expression vient de l'éventail des mots dont il a la maîtrise. Il évite les mots inconnus, ou les contourne, ne les introduisant qu'avec prudence dans son langage, par tâtonnement

Avec la dictée habituelle, on opère comme l’auto-école qui ferait faire à ses débutants un démarrage en côte ou un garage le long d'un trottoir, entre deux autos Il échouerait et on lui mettrait une mauvaise note qui le découragerait Au lieu qu’on commence à l’habituer à la conduite, aux changements de vitesse simples. Et ce n'est que lorsque l'élève sera maître de sa conduite qu’on affrontera les manœuvres décisives.

C'est sur des bases nouvelles que nous concevons nos dictées. Nous prenons un texte courant et compréhensible, sans aucun de ces montages dont les examens ont la spécialité. Nous habituons nos enfants à la conduite normale de la machine. Ils apprendront à écrire sans faute les phrases d'un langage courant — lorsqu'il y a un mot ou un verbe qui leur est inconnu nous l’écrivons au tableau — ou l’enfant demande, comme nous le faisons parfois nous-mêmes inconnu il faut deux n ?

C'est comme le processus exact de l'apprentissage du langage et c’est sans doute la raison qui rend ce travail intéressant pour tous les enfants, à tous les degrés. Au C P. ou C.E nous dictons un texte d'enfant, ou un texte libre qui n'a pas été lu le matin, sur lequel nous brodons quelque peu. Ou nous racontons une aventure de la classe. Exactement, comme si nous parlions. Nous faisons ainsi des dictées d'une demi-page ou d'une page

Avec des élèves plus grands, nous prenons tout simplement les pages d'un livre.

Nous faisons ces temps-ci une dictée semblable presque tous les jours dans chacune de nos classes. Elle remplace avantageusement la copie ; elle est facile à organiser, et les profits nous en semblent exceptionnels

Je ne suis pas loin de penser que nous pourrons être en mesure un jour prochain de reconsidérer totalement le travail de nos classes avec lecture et dessin, lecture des textes libres, choix et mise au point, chasse aux mots et grammaire, dictée et calcul.

Essayez vous-mêmes dans vos classes et dites-nous ce que vous pensez de ces initiatives.