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Avril 1946

Pour répondre au désir de nombreux camarades, nous extrayons de notre livre PSYCHOLOGIE SENSIBLE APPLIQUÉE A L'ÉDUCATION (qui sera publié des qu’il y aura du papier) le chapitre suivant sur le PR0FIL VITAL. Un tirage à part de ces notes, avec toutes explications complémentaires sera édité et livré aux camarades qui noua en feront la demande.

La nécessité d’une connaissance profonde de l’enfant est d’autant plus généralement admise que l’Ecole, débordant la besogne morte et passive d’acquisition, s'oriente davantage vers la formation des individus, visant à la tête bien faite plutôt que bien pleine, cherchant obstinément le secret de l'avenir hors des conceptions mécaniques qui ont marqué une irrémédiable et définitive faillite.

Cette connaissance peut certes être instinctive. Bien avant l’avènement d'un embryon de science psychologique et pédagogique, de tous temps peut-on dire, il y a eu des êtres qui ont eu la faculté supérieure de comprendre les enfants, de sentir avec eux et de les orienter d’instinct vers l'élévation et la conquête. Mais cette intuition ne s'acquiert pas, Tout, juste peut-on la conserver, mais encore faudrait-il pour cela introduire dans les instituts de formation professionnelle des méthodes originales, en contradiction parfois avec les données formelles de la science et qu’on remise volontiers de ce fait au rang des empirismes dépassés.

La connaissance de l'enfant par les études psychologiques ? La vie est encore bien trop imparfaitement déblayée pour que nous puissions prétendre par ce biais, préparer effectivement la masse des éducateurs à une compréhension rationnelle de leur fonction.

Les tests ? Ils constituent un incontestable progrès, mais leur emploi n’a été appliqué jusqu’à ce jour qu’à mesurer, pour des fins particulières, certaines catégories d'aptitudes des individus : tests d’intelligence, de mémoire, d’acquisitions dans les écoles; tests moteurs et réactionnels pour les instituts d’orientation professionnelle; tests spéciaux, combinés des précédents, pour classer les recrues d’une armée en formation ou les employés d’une entreprise.

Pratiquement rien n’existe encore pour la compréhension profonde et totale des enfants, pour la détection de leurs tendances vitales essentielles.

Devant ces multiples impuissances, nous avons dû, dans nos écoles, tourner provisoirement la difficulté. Nous nous attachons à permettre aux enfants par nos techniques d’éducation nouvelle de se réaliser, de s'extérioriser, de s'exprimer, par le dessin, la rédaction libre, le modelage, le travail manuel, le chant, la mimique — et aux éducateurs d'offrir à leurs élèves une gamme suffisante d'activités parmi lesquelles chacun choisit celles qui répondent au maximum à ses besoins fonctionnels.

Mais, cette méthode elle-même n’en aurait que plus d’efficacité si nous étions même imparfaitement renseignés sur les tendances des individus, sur l’orientation de leur vie, sur la place donc et le rôle qui sont réservés à notre éducation.

Notre profil vital répond à ce besoin.

Les fondements en ont été précisés dans notre livre: «Psychologie sensible appliquée à l’éducation ». Pour les éducateurs cependant qui croiraient devoir utiliser ce profil avant d'avoir lu notre livre, nous ferons procéder ce mode d'emploi de quelques explications préalables indispensables au maniement de l'outil nouveau dont nous voudrions faire, non plus un instrument compliqué de laboratoire mais une aide efficace et pratique pour la masse des éducateurs.

1° La vie est à la recherche permanente de la puissance. Quand certains obstacles physiologiques, psychiques, naturels ou sociaux viennent entraver la montée de l’être, il se produit comme un remous, un repli, une chute. L'individu réagit naturellement contre cet arrêt pour reconquérir le potentiel de puissance compromis par la chute. Il essaye d’affronter l’obstacle, s’il ne peut en venir à bout il essayera d’autres solutions. C'est la complexité de ces solutions que nous avons étudiée dans notre livre et que nous nous excusons donc de ne pas aborder ici.

Notre graphique va nous permettra d’abord de déceler ces chutes, ces insuffisances; nous avons rétabli la liste des tendances par lesquels l’individu essaye de reconquérir la puissance. Ces tendances pourront être bénéfiques ou maléfiques, de notre point de vue d’adulte éducateur, souhaitables ou regrettables plutôt. Car l'individu qui y a recours les considère toujours comme bénéfiques, comme susceptibles de lui redonner la puissance ; sinon il ne s’y tiendrait pas. Le mensonge, le vol, la fugue eux-mêmes ne sont point recherchés comme on le croit parfois avec le parti-pris de nuire à la famille, aux individus ou à la société. Ce sont les seules solutions que l'être déchu a trouvées, après de multiples et douloureuses expériences, pour reconquérir un semblant au moins de puissance. Il est tout simplement regrettable qu'il n’ait pas trouvé mieux. Mais ce n'est pas toujours de sa faute. Ce n’est peut-être jamais de sa faute.

Importance toute spéciale de la première enfance :

C’est une tendance toute récente que les psychanalystes ont révélée et dont nous avons mis en valeur toute la portée pédagogique et vitale. Nous en tiendrons le plus grand compte pour l’établissement de notre profil.

La physiologie, la force et la santé sont des déterminantes essentielles des réactions et des tendances vitales…

4° Nous rappelons d’un mot la notion de recours barrières, telle que nous l’avons établie dans notre livre.

L’individu qui n’a pu, par ses propres forces, physiologiques, intellectuelles ou psychiques, triompher d'un obstacle qui l’a arrêté, demande naturellement l'aide autour de lui. Il peut la demander : à la famille, à la nature, à la société, où à certaines individualités. Or, ces puissances sont tout à la fois des recours possibles et des barrières qui limitent plus ou moins l’activité des individus.

Ces Recours-barrières sont « aidants » s’ils servent l'individu conçu dans la plénitude de son devenir.

Si le Recours-barrière se sert de l'individu, s'il l'aide peut-être, mais dans un but exclusivement égoïste qui coïncide plus ou moins avec le bien de l’individu, le Recours-barrière est accaparant.

Si, enfin, il ne répond au recours de l’individu inquiet que par une froide, inflexible et peut-être brutale barrière, il est rejetant.

Par exemple, une bonne famille est aidante lorsqu’elle a vraiment et intelligemment en vue le bien de l'enfant, non le plaisir immédiat mais la satisfaction des grandes lois de la vie; elle est accaparante dans le cas de l’enfant gâté qui est sacrifié aux aises, aux craintes ou aux manies ou aux perversions inconscientes du père et de la mère; elle est parfois rejetante lorsque l’enfant malmené, repoussé, martyrisé, ne peut plus y vivre sans danger.

Il en est de même des autres Recours- barrières, La nature est presque toujours aidante, rarement accaparante, exceptionnellement rejetante.

La société est rarement aidante ; elle est plus souvent accaparante et rejetante.

Les individus sont la plupart du temps accaparants, exceptionnellement aidants.

5° Le Refuge ; Si, malgré ses efforts personnels, malgré les recours sollicités, l’individu ne peut reconquérir la puissance, il se jette avec désespoir dans une ultime solution, qui sera son dernier refuge, auquel il se cramponnera et s’habituera pour peu qu'il soit accueillant.

Le refuge le plus ordinaire est la famille pour les enfants faibles et impuissants; il est la nature pour certains individus refoulés par la famille; il est parfois quelque individualité aidante ou accaparante; rarement la société.

Fixation : Lorsque l'individu se sent tellement désemparé qu’il ne peut plus quitter son refuge, nous dirons qu'il s‘y fixe. Il y a aussi, dans certains cas, fixation à la mère, au père, à l'institutrice, et exceptionnellement à des personnalités.

Ces quelques considérations générales, à défaut du livre, donneront aux éducateurs la possibilité d'aborder avec succès l'établissement, d'un profil vital.

Cette opération comporte six phases ;

1° L’établissement du graphique ;

2° L’interprétation du graphique ;

3° La recherche sur notre Tableau de compensations des tendances compensatrices et leur traduction numérique sur notre tableau chiffré;

4° Opérations chiffrées aboutissant au coefficient des tendances ;

5+ Etablissement du profit vital ;

6° Interprétations psychologiques et conseils pédagogiques.

ETABLISSEMENT DU GRAPHIQUE

Prenez, point par point notre questionnaire et affectez une note à chacun des articles. En réunissant les points vous aurez le graphique.

Pour quelques-uns des points de notre questionnaire, nous avons donné des indications précises qui permettent de chiffrer à peu près objectivement. Pour tous les autres ne nous faisons pas d'illusion, l’appréciation ne peut être que très approchée.

Aussi bien en avons-nous pris d'avance notre parti. La prospection que nous faisons par ce graphique ne prétend nullement à donner la physionomie exacte de toutes les tendances de l’individu. Il s’agit surtout de diagnostiquer les déficiences, les accidents, les chutes graves du potentiel de puissance.

Nous verrons ensuite comment l’individu réagit pour essayer de parer à ces insuffisances et de retrouver l'indispensable puissance.

Ne vous tourmentez donc pas outre mesure pour savoir par exemple la note à affecter à l’article : Audace-Témérité : 9 si l’individu se révèle très audacieux... 7 s’il l'est normalement, 7-8-9 alors n’a pas grande importance pour notre véritable projet. Si, par contre, vous sentez une chute, une difficulté, une déficience notable susceptible d'affecter gravement la vie de l’individu, alors appliquez-vous à en mesurer toute l'importance, en interrogeant l'enfant, en comparant son comportement à ce sujet avec le comportement d'autres enfanta. Vous noterez alors 6, 5, 4, 3 peut-être, 2 même selon la gravité.

Pour les articles où vous ne voyez rien à mettre pointez à une moyenne 7 ou 8 et passez. Il n’y a sans doute pas de chute à cet endroit.

Notre premier travail, et le plus délicat, est terminé. Vous pourrez renvoyer le sujet et passer à l’interprétation des renseignements notés.

II

INTERPRETATION DU GRAPHIQUE

Un coup d'œil sur ce graphique va déjà nous permettre quelques observations précieuses :

Nous comparerons ce graphique à celui d’un baromètre enregistreur.

1er Cas : Si le graphique se tient régulièrement à un niveau élevé, 7-8-9 sans hausses brusques ni chutes accidentelles, nous pouvons conclure à l’équilibre, à la puissance d’autant plus parfaits que le niveau approche du maximum.

Nous appelons ce graphique celui de l’Equilibre fixe dans la Puissance.

2° Cas : Mais ce graphique peut être régulier, uni, sans montées ni chutes, mais seulement à un niveau moyen ou inférieur ; celui du brouillard et de la pluie — ce qui n'est certes pas l'idéal. Nous aurons alors : l'Equilibre fixe dans la Moyenne.

3° Cas : l'Equilibre fixe dans l'impuissance qui est le cas de certains anormaux graves qui ne réagissent que faiblement aux insuffisances vitales.

4° Cas : Le graphique peut se tenir au beau fixe avec quelques flèches supérieures. Nous aurons alors :

l’Equilibre fixe dans la Puissance avec possibilités supérieures

5° Cas ; Si le beau fixe est coupé de flèches plongeantes, nous dirons :

Equilibre dans la Puissance avec chutes accidentelles

6° Cas : Si ces chutes sont si nombreuses qu’elles font de notre graphique, non plus une ligne horizontale plus ou moins élevée mais une série de fossés et de pics, nous aurons :

Personnalité déséquilibrée avec, suivant les cas, prédominance des possibilités supérieures ou inférieures

7° Cas : Si ce déséquilibre s'étale au-dessous de la moyenne, nous aurons : le Déséquilibre inférieur.

Comme il arrive que la figure graphique change profondément d’aspect selon les chapitres, on peut, pour plus de précision, lire chapitre par chapitre : par exemple :

« Premier chapitre1': équilibre dans la puissance avec chutes accidentelles.

Déséquilibre digestif, respiratoire et nerveux.

Puissance scolaire: équilibre normal avec chutes... »

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Nous ne publierons pas ici les instructions — 'naturellement un peu plus compliquées — concernant la recherche des compensations vitales et l’établissement du véritable profil vital avec indication des tendances.

Nous ferons un tirage à part de ces instructions que nous pourrons faire parvenir aux camarades qui nous le demanderons.

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INTERPRETATIONS PSYCHOLOGIQUES ET CONSEILS PEDAGOGIQUES

Que signifie au juste notre profil vital ?

Il n’est pas la mesure du développement d'un individu à un moment donné ; il ne constitue point un bilan de possibilités intellectuelles ou manuelles ni des connaissances acquises; il ne nous permet pas d’établir des niveaux standardisés. Toutes opérations d’ailleurs que nous sommes loin de tenir pour superflues, qui sont, au contraire, une préparation méthodique à la perfection significative de notre profil vital.

Le jardinier ne se contente pas de mesurer ses arbres pour en comparer la hauteur, l’épaisseur ou la profondeur du feuillage, le nombre et la grosseur des fruits obtenus. Il écoute la plante vivre et pousser, vigoureuse ou malingre, s'étalant en largeur ou poussant avec obstination vers le ciel une cime improductive. En conséquence de cet examen « vital » il coupera tel rejet, il taillera à ce point précis pour orienter la sève dans la direction qu'il souhaite, il élaguera pour donner aux branches maîtresses le maximum d'air et de lumière.

Nous procédons de même : nus recherchons le sens de la sève, les tendances dominantes par où la vie s’épanouit, s’exprime et se réalise, Nous ne taillons pas brutalement les tendances maléfiques parce que nous savons par expérience que c’est là une besogne inutile et vaine chez les humains. Seulement, nous donnons aux tendances bénéfiques le maximum de possibilités de s'affirmer et de se développer. Si elles permettent à l’individu d’atteindre par ce biais la puissance indispensable, elles draineront peu à peu la vitalité des autres tendances, elles aspireront pour des fins souhaitables, la sève qui est partout aussi généreuse, même lorsqu’elle s'engage dans de dangereuses impasses.

Dans notre examen des tendances maléfiques, nous nous dépouillerons d'ailleurs de cette idée de culpabilité, tant dans la famille qu’à l’école. Nous Interpréterons notre graphique avec une dialectique à base physiologique…

Si nous trouvons : Emotivité, au centre de notre graphique, nous en concluerons que l’individu n’a pas trouvé d’autre solution à la plupart des problèmes graves qui se posaient à lui que de réagir émotivement : timidité, pâleur, rougeur, troubles circulatoires, excitation cardiaque, pleurs, etc... A cette insuffisance de réaction, il y a toujours une double cause : 1° une prédisposition physiologique, une faiblesse pour ainsi dire matérielle congénitale ou acquise qui gêne, inhibe, perturbe et fait échouer les essais plus virils de réaction (troubles circulatoires ou nerveux. Déficience du cœur ou du foie, etc..) 3° une insuffisance du milieu qui a accumulé les obstacles et n’a pas pas su aider les Individus à en triompher. Alors chacun réagit comme il peut.

Nous regarderons donc notre graphique d’un double point de vue curatif et dynamique.

Les tendances maléfiques dominantes peuvent nous révéler des troubles physiologiques plus ou moins graves. Les soigner, les guérir c’est redonner à l’individu le moyen de réagir par des moyens bénéfiques.

Nous aiderons surtout l’enfant à se réaliser dans le sens de ses tendances bénéfiques ; nous l’aiderons à atteindre à la puissance par des procédés pour ainsi dire licites. L’enfant émotif qui aura exprimé son émotion dans une œuvre d’art dont la perfection est une conquête, ne cessera certes pas d’être émotif. Mais cette émotivité cessera d’être pour lui une solution ou même un refuge. Il aura trouvé la voie pour atteindre à la puissance malgré son émotion, par son émotion. Et choc en retour, la satisfaction intense de l’être qui s’est réalisé contribuera à atténuer et peut-être à faire disparaitre l'émotivité.

L’égoïsme lui-même n’est pas sans liaison ordinairement avec une constitution déficiente ou certaines impuissances congénitales qui ont contraint l’enfant, pour peu que le milieu s’y soit malencontreusement prêté, à se replier sur lui et à s’accrocher désespérément à toutes les branches de salut qui s’offrent sans trop regarder à la qualité. Les réprimandes ni les leçons ne risquent pas de modifier un tel comportement. Il n’y a que deux solutions qui peuvent et doivent d'ailleurs être employées conjointement. Une thérapeutique appropriée, une meilleure alimentation, la tonification d'organes malades donneront à l’individu des possibilités accrues d’acquérir la puissance par des voies normales et bénéfiques. L'égoïsme en aéra diminué d’autant.

Mais ce repli sur sol qui est l’égoïsme peut être compensé par certaines tendances bénéfiques, la réussite scolaire par exemple, et la création artistique. L'enfant qui trouvera dans l’étude une compensation efficace à son impuissance physiologique perdra de son égoïsme et s'élèvera peut-être mieux en certaines branches spéculatives jusqu'au plus total oubli de soi. Ou bien il donnera un sens à sa vie par la création artistique et évoluera alors vers une forme Idéalisée de l’égoïsme qui voisine avec le plus généreux altruisme.

La philosophie chrétienne expose, sous une forme mystique, le même souci, il s’agit d'aider les individus à se sauver, non pas tant en éloignant du mal qu’en les entraînant vers le bien, en les aidant à s'élever toujours, parce que quiconque s'élève vers la lumière, par quelque biais que ce soit, refoule en lui le domaine de l’ombre et de la nuit.

L’essentiel pour l’ascensionniste est qu’il atteigne le sommet qu’il ambitionne. Peu importe le chemin qu’il prendra pour y parvenir. Un tel, agile et fort, affrontera les rochers à pic tandis que d’autres, moins sûrs d’eux-mêmes, feront de longs détours par les casses et les cheminées. Le bénéfice est ¡e même.

Il n’y a danger que lorsque l’individu rebuté par les difficultés, s’arrête au pied de la montagne et s’applique à compenser son impuissance physiologique ou psychique par des réactions maléfiques qui marqueront bientôt son comportement. Il faut tout faire pour tirer les êtres vers les sommets, vers la lumière, vers la puissance et la réussite.

Toutes nos techniques pédagogiques sont basées sur ce besoin d’élévation et de conquête. Le Profil vital que nous vous présentons vous aidera encore à vous orienter avec profit vers la conception dynamique des problèmes d'éducation devant lesquels nous placent aujourd’hui les destins nouveaux des peuples. C. FREINET.

PROFIL VITAL

La brochure complète avec graphique sera publiée incessamment.

Prière aux camarades que Ia question intéresse de nous écrire.