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Octobre 1945

Une revue qui a fait ses preuves

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NOTRE PROGRAMME

Après plus de cinq ans d’interruption, après plus de cinq ans de silence pendant lesquels les meilleurs d’entre nous ont été prisonniers, internés, déportés, martyrisés, fusillés, l’EDUCATEUR reprend sa course commencée il y a vingt ans...

Nous ferons, un jour prochain, l’historique de cette longue lutte qui n’a été finalement un triomphe que parce que nous avons su agréger et mobiliser, autour d’idées essentielles les éducateurs les plus audacieux et aussi les plus téméraires. Mais ces audacieux et ces téméraires, après avoir été regardés pendant longtemps comme des trouble-fêtes importuns, ont été aussi les patriotes les plus dévoués dont l’audace et la témérité nous ont valu l’épopée de la Résistance et le soleil de la Libération.

Des problèmes d’un tragique inconcevable se posent aujourd’hui aux gouvernants, aux éducateurs, au peuple conscient : la génération qui monte a été profondément compromise par cinq ans de guerre, de privations, de dérèglement, d’amoralité, de bombardement, de changement continuel d’instituteurs. Il y a à considérer la déficience physiologique, qui est terrible, mais aussi la déficience psychologique et sociale et la défi-cience scolaire qui en sont la triste et l’inéluctable conséquence.

Par-delà les discussions politiciennes désuètes, par-dessus ces discussions, d’autres citoyens se préoccupent de remettre en marche les usines, de reconstituer le cheptel, d’harmoniser la production agricole. Nous avons, nous, une tâche combien plus sacrée : reconstituer physiologiquement et scolairement les générations compromises par la guerre, les souffrances et l’occupation.

Et là se résume tout notre programme, qui est immense.

Les gouvernants, les parents, les éducateurs ont, sinon la conscience, du moins l’intuition de la gravité du problème qui se pose à eux et à nous. Ils sentent confusément que les solutions du passé sont inopérantes, qu'il faut du nouveau, de la hardiesse et de l’audace pour remonter la pente. Et tous se tournent naturellement vers ceux qui, aux temps de vaches grasses, avaient déjà posé le problème, avaient commencé, seuls et sous les sarcasmes sceptiques, l’ascension difficile, qui avaient tracé des sentiers, déjà dignement fréquentés, des sentiers qui, en maints endroits, étaient devenus des routes solides et définitives qu’on peut suivre aujourd’hui sans hésiter.

Nous n’avons aucunement intrigué, nous n’avons fait et ne ferons de risettes à personne. On vient à nous et à nos techniques, on s’engage dans les chemins que nous avons annoncés et préparés parce que nous avons été de bons ouvriers d’avant-garde, qui ne partent pas à l’aventure, qui ne s’engagent pas au hasard, mais selon les données sûres de la psychologie, de la pédagogie et de la recherche expérimentale non déformée par l’appétit de gain et de réclame.

Nous ne demandons aucun hommage ni aucune récompense. Notre récompense est et sera de voir les éducateurs toujours plus nombreux participer à une œuvre qui nous dépasse mais dont dépend l’avenir de l’enfance française.

« L’EDUCATEUR » EST VOTRE REVUE

Nous mettons seulement en garde les éducateurs.

Ce que nous avons fait, nous l’avons réussi parce que, sans distinctions de tendances ou de partis, nous avons tous, depuis vingt ans, travaillé coopérativement, sans que nos recherches et nos efforts soient hypothéquées par des considérations de prestige et de profit. Chez nous, on ne gagne point d’argent, on n’a pas de droit d’auteur, on laisse tomber toutes les initiatives qui s’avèrent insuffisantes, quel qu’en soit l’auteur ; en pratique la plus parfaite et la plus totale des recherches expérimentales.

L’éducation française a suffisamment été éprouvée par cinquante ans de dictature des grandes maisons d’éditions, qui nous ont imposé la pédagogie d’auteurs officiels, dont le mérite essentiel était d’occuper une place éminente dans la hiérarchie administrative. Nous sommes en train de nous dégager de cette souveraineté. Le Syndicat National avec Sudel a commencé un effort de démocratisation que nous avons systématisé, nous, dans notre mouvement. Nous ne sommes point contre les Inspecteurs. Loin de là. Nous comptons sur eux pour mener à bien notre tâche complexe. Mais c’est toujours à même notre travail, à même l’école, sans autre considération, que l’amélioration pédagogique que doivent être étudiés les grands problèmes qui nous préoccupent.

Et nous assisterons encore à d’autres assauts des grandes maisons d’édition.

Un éditeur parisien se propose de lancer une revue dont vous recevrez sans doute des spécimens et qui emprunte exactement notre programme et notre but. Cet éditeur est libre certes de publier sa revue, et même de copier et de démarquer nos réalisations. Les Inspecteurs, les Instituteurs qui, moyennant une bonne rétribution, en assureront la direction et la rédaction, ont bien le droit de travailler comme ils l’entendent. Mais cette revue ne sera pas votre revue; ce n’est pas vous qui la dirigerez et l’orienterez. Alors que vous avez en L’EDUCATEUR un organe de travail qui est la possession de la Coopérative de l’Enseignement Laïc, qui va et ira où la mène et la mènera la Coopérative. Les Educateurs sont majeurs, que diable. Ils n’ont plus besoin d’être dirigés par une équipe si bien choisie soit-elle, au service d’une maison d’édition. Ces éducateurs doivent former eux-mêmes leurs équipes de travail, au service de l’éducation française.

NOTRE REVUE !!

INSTRUMENT DE TRAVAIL

Nous aurons terminé la présentation pour ainsi dire morale de notre revue quand nous vous aurons dit, qu’elle n’est pas une revue comme celles qui, d’ordinaire, sollicitent votre abonnement. Parce que la formule de ces revues est, à notre avis, incompatible avec les formes de travail scolaire que nous recommandons. Nous offrons des techniques pédagogiques nouvelles: cela suppose des outils de travail nouveau que nous vous présentons, que nous vous offrons et dont nous vous enseignons le maniement.

Les vieilles revues portaient l’accent sur la leçon, sur le devoir; sur la mémorisation, sur la discipline et le silence. Nous le portons, nous, Sur le TRAVAIL DANS TOUS LES DOMAINES, sur l’organisation matérielle et pédagogique qui permet aux enfants de travailler, avec la collaboration des éducateurs, comme ils le souhaitent, selon les grandes lignes fonctionnelles de leurs activités naturelles. Nous vous parlerons imprimerie, dessin, expression libre, Journal d’enfant, enquêtes, fichier, fichier auto-correctif, bibliothèque de travail, cinéma, disques, théâtre. Les éducateurs qui ont mis au point notre matériel, qui ont fait dans leurs classes l’expérience concluante de cette pédagogie nouvelle vous mèneront par la main sur des chemins qui ne vous sont pas encore familiers, mais où vous trouverez, avec l’activité et la vie, l’éternelle jeunesse sans laquelle l’éducateur ne peut plus accomplir sa tâche.

Vous craigniez la routine. Quelques-uns d’entre vous y sont déjà plus ou moins enfoncés. Et la routine c’est l’ennui et la mort. Venez avec nous: Vous connaîtrez la joie du travail nouveau. Vous ne suivrez pas d’ailleurs. Vous participerez immédiatement à des équipes de travail où vous pourrez, vous aussi comme les enfants, donner la mesure de vos possibilités, dans la branche et dans la direction qui correspondent à votre nature et à vos possibilités.

S’il nous était possible de vous donner ici quelques extraits des lettres enthousiastes et émouvantes que nous ont écrites, dès la libération, tous les anciens adhérents, heureux de nous retrouver; si vous pouviez assister à un de nos stages, vivre ne serait-ce que quelques instants avec un groupe de nos adhérents, vous seriez convaincus : notre revue serait votre revue; notre Coopérative serait votre Coopérative.

Réfléchissez, informez-vous, secouez un instant le carcan plus ou moins rivé les habitudes. Nous ne vous offrons pas la facilité passive des classes, traditionnelles; nous ne vous mâcherons pas une besogne qui vous obsède. Nous vous appelons à la vie et au travail. Vous en serez, vous aussi, régénérés.

NOS RUBRIQUES

Le programme de notre revue se confond avec le programme d’activité et de réalisation de notre Coopérative.

Nous nous attacherons, dans nos leaders, à vous faire sentir le sens et la portée de notre pédagogie, à vous apporter les justifications psychologiques et pédagogiques de nos techniques, à animer et à continuer le grand courant que nous avons suscité. Car, nous ne vous donnerons pas ici une série de recettes mécaniques pour l’emploi des méthodes nouvelles; nous ne vous enseignerons pas seulement à imprimer, à graver du lino, à faire du dessin ou à constituer un fichier comme pourraient le faire les revues qui essaieront de nous copier. Il s’agit d’une reconsidération radicale de notre enseignement, qui suppose une attitude nouvelle des éducateurs, un esprit, une formule de vie qui sont le fil d’Ariane grâce auquel vous régénérerez vraiment votre pédagogie.

Quand vous aurez compris profondément, quand vous vibrerez au rythme nouveau que nous vous enseignerons, tout s’éclairera alors. Vous aurez accompli votre nécessaire révolution pédagogique.

Une grande rubrique, la plus importante, sera celle de la PÉDAGOGIE COOPERATIVE. Là, chacun apporte sa contribution, donne le fruit de ses recherches, de ses tâtonnements, de ses expériences. C’est par cette coopération que nous avons mis au point notre matériel et nos techniques, que nous avons perfectionné au maximum notre imprimerie, préparé et lancé nos fichiers, mis au point nos brochures. C’est le grand chantier auquel nous vous convions tous.

Pas de programme établi d’avancé : Tout ce qui concerne l’adaptation et la modernisation de notre enseignement est du domaine de cette rubrique : si vous avez apporté un perfectionnement à notre matériel; si vous avez imaginé un outil qui, dans votre classe a donné des résultats; si vous avez amorcé des recherches pour lesquelles vous désireriez la collaboration d’autres camarades, exposez vos réalisations dans notre PEDAGOGIE COOPÉRATIVE.

Une place permanente sera faite dans cette rubrique à la vie de nos FILIALES DÉPARTEMENTALES.

Les éducateurs de la Coopérative se groupent, en effet, départementalement pour étudier en commun, avec la plus totale liberté dans le cadre de nos statuts coopératifs, tous les problèmes qui se posent à eux. Dans les mois qui vont suivre, nous nous appliquerons même à organiser ces filiales, non seulement pédagogiquement mais aussi techniquement et commercialement, au gré des adhérents eux-mêmes qui, chez nous, font la loi — dans le cadre des décisions de Congrès.

Deux pages seront consacrées en permanence à nos services de correspondances interscolaires nationales et internationales. Ces correspondances sont le complément indispensable de nos techniques; elles sont la condition même de l’humanisation et de la socialisation de notre éducation ; elles ont toujours apporté à tous les éducateurs un maximum de satisfaction.

Notre rubrique CINÉMA, DISQUES, RADIO sera particulièrement soignée et nous sommes en mesure, dans ce domaine, non seulement de vous conseiller, mais d’orienter la production et la technique pour les mettre enfin au service de notre pédagogie.

Une place spéciale sera réservée au travail de nos diverses commissions auxquelles vous vous agrégerez.

Les jeunes auront une rubrique permanente. Non pas que nous ayons une pédagogie spéciale pour les jeunes, mais nous ne saurions méconnaître que les jeunes ont très souvent à examiner sous un angle particulier les problèmes que nous aurions tendance à considérer comme résolus. Que les jeunes n’oublient pas en tous cas que notre revue est une revue essentiellement jeune, parce que active, créatrice, audacieuse, novatrice. Et c’est des jeunes que nous attendrons le plus d’appui parce qu’ils n’ont pas encore été totalement asservis par la routine, ils vibrent encore et réagissent, attaquent et se défendent. Notre Coopérative, notre Revue seront leur maison.

A la demande de très nombreux éducateurs, et quelles que soient parfois les critiques ou les sarcasmes qu’elle suscite, nous maintiendrons notre rubrique « La santé de l’enfant », animée par Elise Freinet. Ah ! certes, nous ne sommes pas conformistes, pas plus pour ce qui concerne cette santé si difficile à reconquérir ou à conserver, que pour les méthodes scolaires que nous avons si audacieusement bousculées. Mais il faut bien bousculer les inerties, secouer les ronds- de-cuir ou les intellectuels qui s’abritent sous les livres et les parchemins pour barrer la route à la vie. En avons-nous suscité déjà des colères, des sarcasmes, des injures, des réactions plus violentes encore. C’est là la raison humaine du succès dont nous pouvons aujourd’hui nous enorgueillir. Et nous continuerons...

Nous consacrerons, enfin, plusieurs pages toutes les quinzaines aux LIVRES ET REVUES, à nos éditions, certes, mais aussi à un aperçu général de tout ce qui s’écrit en France et dans le monde et dont la connaissance peut nous aider dans nos réalisations. Chaque n° contiendra 4 à 8 pages de fiches encartées — selon les stocks de papier disponibles. Là c’est un matériel de travail que nous vous procurons. Vous découperez ces fiches, vous les collerez sur des cartons 13,5x21 que nous pourrons livrer et vous enrichirez ainsi toutes les quinzaines, votre fichier de documents dont la préparation et la mise au point sont notre besogne commune.

*

Notre revue n’a pas de collaborateurs attitrés, de chefs de rubriques, de ces gens qui sont chargés par la direction de vous dire ce que vous devez penser et ce que vous devez faire. Tous nos adhérents tous nos lecteurs sont nos collaborateurs. Nos chefs de rubrique, ce sont les responsables, les animateurs de nos commissions de travail et de nos services coopératifs. Aucun d’eux n’est payé. La Coopérative, aujourd’hui parfaitement organisée commercialement peut les défrayer des dépenses qu’entrainent certains travaux ou recherches, mais c’est tout.

Il se peut qu’au premier abord notre revue paraisse moins brillante, moins policée, moins littéraire, moins aristocratique que les revues pédagogiques habituelles. Notre maison n’est pas la maison du tape à l’oeil mais la maison du travail. Vous verrez à l’usage comme on s’y trouve bien entre camarades, à pouvoir s’exprimer librement; vous verrez comme on se prend à estimer et à aimer les bons camarades qu’on fréquente et qu’on rencontrera au hasard des stages et des congrès.

Nous n’avons pas fondé une revue; nous avons créé un vaste mouvement de rénovation pédagogique auquel nous vous invitons à participer et dont la revue n’est qu’un instrument. Nous sommes partis à 2, puis à 10 pour travailler, à 50, à 100, à 500, à 1.000, à 10.000. C’est tout le personnel enseignant qui, demain, bénéficiera de cette conception nouvelle du travail coopératif auquel nous vous convions.

Votre place est avec nous.