Les éducateurs sont un peu, par fonction et par tradition, comme ces grands seigneurs qui, habitués à commander souverainement, se croyaient d'une autre nature que le peuple sous leurs ordres. Et il y avait déjà sûrement, à 1'époque, des intellectuels et des savants pour prouver, peut-être même expérimentalement, qu’existait effectivement, entre les maîtres et les serfs, une différence fondamentale de psychologie, de philosophie, et pourquoi pas même, de physiologie.
Ces temps sont révolus. L’organisation politique et syndicale, les normes nouvelles d’économie, ont incontestablement donné aux travailleurs des divers échelons, cette conscience élémentaire de leur valeur d’humanité. Et le chauffeur de taxi peut aujourd'hui se payer le luxe de dire son fait, par la portière, au financier milliardaire qui, avec sa Cadillac, le double effrontément.
Les temps sont révolus, sauf en éducation.
Le père de famille qui vient, dans son syndicat ou dans les assemblées politiques, de défendre farouchement ses droits de travailleur, d' homme et de citoyen, s'assied et commande à sa femme et à ses enfants :
- Va me chercher les pantoufles !
- Sers-Moi la soupe !
- Tais-toi quand je parle !
Toutes formules de politesse exclues, naturellement.
Et l'instituteur distribue les tâches et les corvées comme le seigneur les servitudes. D’indispensables sanctions sont prévues envers les contrevenants.
Il se trouve toujours des théoriciens pour expliquer la légitimité d'une si totale autorité, comme les seigneurs avaient leurs juristes pour justifier leurs us et contîntes, Que n’a-t-on pas dit, et écrit, contre l'accession des noirs à la liberté, contre la promotion politique des femmes et l’aptitude du peuple à se gouverner démocratiquement ? Et comment contredire aujourd'hui encore les savants écrits de psychologues et de pédagogues qui prouvent de même par enquêtes et tests que les enfants sont mineurs et que ne sauraient jouer, dans leurs rapports avec les adultes, les règles de respect et d’humanité qui sont les seules vraies conquêtes d'une civilisation.
Il nous faut avoir la clairvoyance et le courage de réagir contre des pratiques éducatives - à 1'Ecole, à la maison et dans la vie - qui sont d'un autre âge. Il nous faut avoir la loyauté d'admettre et de comprendre que l'enfant est de la race d'homme. Il fait son apprentissage expérimental, plus ou moins logique, plus ou moins maladroit, dans un monde où nous adultes, avons déjà fixé la primauté de notre comportement, pas toujours bénéfique. Les lois et les règles de ce comportement sont identiques dans leur essence et leurs principes, qu'il s'agisse d'enfants ou d'adultes. Il n'y a point, comme on nous le fait croire, une pédagogie pour les enfants et une conduite de la vie pour les adultes. Il y a la pédagogie - un ensemble de règles qui devraient guider nos communes réactions individuelles et sociales.
L'Evangile recommandait cette formule morale qui fut longtemps l'A B C de nos leçons de morale: Ne faites pas aux autres ce que vous ne voudriez pas qu'on vous fit, et que nous traduisons, à l’intention des parents et des éducateurs, par ces quelques invitations élémentaires ;
- Ne faites pas aux enfants ce que vous ne voudriez pas qu'on vous fasse à vous-mêmes„
- Ne leur imposez pas la discipline ou les travaux que vous n'accepteriez pas vous-mêmes,
- Admettez que, humainement, l’enfant a le droit et le devoir, croyons-nous, de protester comme vous protestez lorsqu' on attente à ce qu’il croit être son irremplaçable ligne de vie;
- Recherchez, pour vos enfants, et avec eux, comme vous les recherchez pour vous, les modes de vie et les techniques de travail qui répondent le mieux à tout ce que les jeunes êtres portent en eux de généreux et d'exaltant, pour des buts dont vous devez les aider à distinguer la permanence.
Il en coûte toujours aux seigneurs d'abandonner leurs privilèges. Sachez faire votre nuit du 4 août. Dès aujourd’hui reconsidérez votre comportement de parents et d'éducateurs.