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Les dits de Mathieu - Jeter en avant les forces vives

Novembre 1957

Dans votre souci valable d'étudier l’homme, vous avez savamment découpé en sections le comportement des individus, comme on partage un gâteau ou délimite un héritage. Vous avez la zone mémoire à côté du rayon intelligence ; plus loin, l'imagination, la sensibilité et la volonté. Comme des canaux creusés à travers champs et qui s'en vont parallèlement, sans que le trop-plein de l’un puisse jamais s’en aller combler le vide de l’autre.

Vous verrez alors au printemps de larges plaques pourries d’humidité à côté de sillons qui sèchent lamentablement aux premiers beaux jours, signes majeurs d’une infertilité peut-être incurable.

La Vie n’est pas ce réseau stérile de facultés dont aucune n'arrive à éclosion. Elle est un torrent généreux aux multiples affluents qui se combinent et se compensent.

Une mémoire fidèle peut entraîner dans son cours une imagination stagnante ; la sensibilité cultivée avec mesure enrichit l'intelligence jusqu’à la faire déborder hors des cadres rituels ; une volonté bien nourrie joue en accélératrice sur tous les courants dynamiques.

Laissez la vie jeter en avant toutes ses forces vives, qu’elles soient fleuve ou torrent. Elle débloquera des barrages conscients ou psychiques ; elle débarrassera de leur vase les canaux ensablés ; elle contournera les obstacles jusqu’à les rendre fragiles et vulnérables ; elle créera des appels de puissance qui libéreront les facultés engourdies.

Rares sont les individus qui peuvent faire progresser en un front uni leurs conquêtes vitales. Mais tous s’efforcent à avancer des brèches qui sont comme les bras inquiets que l'enfant tend obstinément vers l'inconnu. Ce sont ces brèches que nous voulons nourrir et renforcer parce qu'elles seront l'audacieuse avant-garde qui ouvrira les voies fécondes de l’éducation.