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Décembre 1957

Le Groupe du Haut-Rhin sera vraisemblablement chargé d'organiser le Congrès de l’Ecole Moderne 1959. C’est dire que les militants de ce département auront, pendant les mois qui viennent, à préparer et à prendre certaines positions sur lesquelles il est indispensable que nous soyons bien d'accord.

C'est pourquoi je crois nécessaire d’apporter ces quelques mises au point à une importante lettre de notre ami Chatton :

«J'ai à le parler, écrit-il, de certains articles parus dans l'Educateur ; je sais bien qu'il s'agit surtout de « jeunes » dans le mouvement, et que, bien, souvent, ils parlent avec fougue et enthousiasme. Ils sont enchantés de voir la nouvelle atmosphère régnant dans leur classe et ils voient la vie en rose. Dans leur enthousiasme, ils rédigent des rapports où tout est bien, où tout va très bien, toujours très bien. Je crois qu'il faudrait les mettre en garde contre un optimisme exagéré, car ils risquent d'induire les autres « jeunes » en erreur. Il faut avoir l'honnêteté de reconnaître nos faiblesses. L’Educateur doit être un organe de travail, une revue où nous échangeons nos idées en vue de mieux faire notre travail. C'est ainsi que je ne crois pas à l'article de Nadeau. L'expérience m'a prouvé qu'il est impossible à un enfant d'étudier ;

Un sujet d'Histoire,

— de sciences,

— de géographie,

dans la semaine, pour une raison bien simple: le temps qui leur est imparti par notre collègue est insuffisant, un enfant ne travaille pas au rythme d'un adulte, et puis, il y a toutes les occupations que j'appellerai accessoires ; travail au texte, gymnastique, sorties. J'ai essayé de longues années, el c'est pourquoi nous avons modifié le plan de travail. Seuls, les élèves de FE 1 et 2 travaillant intégralement sur fiches arrivaient à étudier trois sujets dans la même semaine. Je ne suis pas le seul à avoir fait celle constatation. »

En attendant que Nadeau, informé, apporte ses explications, je crois nécessaire de donner des éclaircissements sur cette question des Plans de Travail - qui n'est pas encore au point, et qui est loin d’avoir pris le développement qu’elle aura certainement dans les années à venir. L'organisation de l'Ecole sur la base des plans de travail est certainement la grande solution d’avenir.

Quelques observations préalables.

Nous comptons plus, pour le développement de nos techniques, sur la fougue d’un certain nombre de nos camarades que sur des solutions de sagesse exagérées qui sont des positions de repli auxquelles on aura toujours le temps de recourir si nécessaire. C'est l'enthousiasme qui est communicatif, plus que la prudence et la raison. II faut que les nouveaux-venus subissent ce choc dont parlé Chatton, qu'ils sentent ce que leur apporte cette nouvelle vie de la classe qui change leur comportement et celui de leurs enfants.

L'essentiel, c’est de donner vie, de découvrir cette vie, d’en illuminer notre pédagogie ; c'est le rayon de soleil qui, le soir, éclaire tout à coup un paysage que l'ombre rendait anonyme. C'est après, quand on aura senti ce choc, que nous aménagerons nos techniques en fonction de nos possibilités, mais sans perdre ce trésor de vie que nous avons découvert.

Nous craignons trop que, en prenant le chemin inverse, nous ne sortions pas de la prudente méthode scolastique et que nous ne découvrions plus la vie.

Nous n'avons jamais masqué aucune de nos difficultés et de nos insuffisances. C’est, effectivement, une condition indispensable de nos progrès. Ce que nous devons dire, surtout, c'est qu'il y a heureusement encore en France un certain nombre d’écoles, surtout à la campagne, où nos camarades peuvent fonctionner dans des conditions normales, et ils nous en disent leur satisfaction. Qu'ils quittent leur poste pour se rendre en ville, nous entendons alors leurs plaintes tragiques dont nous nous faisons souvent l'écho.

Je puis assurer que Nadeau n'exagère rien, et que tous les camarades qui sont dans son cas pourraient l'imiter sans danger.

Nadeau peut-il réaliser le plan de travail qu'il expose? Certainement, sinon, il n'aurait point fait semblable rapport.

Je crois que nous sommes là en présence d'un malentendu que je tiens à dissiper.

Nous n'avons jamais la prétention de penser que des enfants puissent, à raison de une heure ou une heure et demie par jour, traiter à fond, entre autres choses, de trois sujets (Histoire, sciences, géographie). S’il en était ainsi, ce serait que, selon la tradition scolastique, chaque enfant devrait étudier la totalité du chapitre prévu au programme. Mais nous retombons alors dans la pratique scolastique des leçons à étudier. Et nous mettons nos camarades en garde contre un plan de travail qui ne serait, en définitive, qu'un plan de devoirs et d'étude des leçons.

Nous sommes contre tout travail inutile. Nous estimons tout à fait irrationnel que 10 élèves étudient chacun à fond le même problème. Ce problème, c’est la classe qui l'étudie en se partageant le travail. Si notre programme comporte aujourd'hui comme moment historique la Gaule, nous inscrirons au tableau quatre ou cinq sujets complémentaires, prévus d'ailleurs dans nos plans-guides : Comment les gaulois s'habillaient, s'abritaient, se battaient, mangeaient, se gouvernaient. Chaque élève (ou groupe d'élèves) choisit l’étude de son choix qui est déjà assez limitée. Il suffira de prévoir des comptes rendus dont le maître fera la synthèse, cette synthèse étant comme une leçon faite a posteriori et non a priori.

Le sujet lui-même ne sera pas forcément fouillé en totalité. Qui dit Plan de travail dit travail, c'est-à-dire activité constructive de recherches et d’expériences. Il est tout à fait décommandé que l'enfant copie sur son cahier quelques pages de manuels qu’il ne comprend absolument pas. Je préfère de beaucoup qu'il se contente de réaliser une maquette, ou qu'il fasse une expérience. Cette maquette et cette expérience ne seront, certes, qu'une amorce de l’étude complexe ; elles ouvriront l'esprit à la compréhension de l'expérience des camarades et des précisions complémentaires du maître.

J'ajouterai qu’un plan de travail ne saurait être valable si l'enfant ne pouvait pas normalement y satisfaire. Un tel plan de travail, comme dans les entreprises, serait une erreur technique.

Nous avons avantage, pour l’évolution de notre Ecole Moderne, à accorder une place de plus en plus grande au travail du plan, aux dépens des travaux collectifs. Je crois que nous pourrons parvenir à une sorte du formule d’école à mi-temps : la matinée étant consacrée aux travaux plus spécialement collectifs: texte libre, imprimerie, chasse aux mots, grammaire, calcul vivant ; l’après-midi comportant deux heures de travail sur plan, au cours duquel le maître aide et conseille ; et, une heure de comptes rendus et conférences.

Pour arriver à celle conception nouvelle de l’Ecole, il nous faut préparer plus soigneusement encore nos outils de travail, en Histoire, Sciences, Géographie. La plupart du temps, les enfants ne peuvent pas accomplir leur plan parce qu’ils n'en ont pas la possibilité technique et que le verbiage serait leur seul recours. Il nous faut faire un effort particulier en Sciences, faire bien comprendre que, pour toutes ces disciplines, c'est en forgeant qu’on devient forgeron. Mais encore faut-il que nous ayons une forge et l'équipement du forgeron.

Le jour où nous aurons rendu possible le travail effectif de nos élèves, selon un plan réel et réalisable, alors l’Ecole pourra évoluer comme les progrès accélérés des techniques lui en font une nécessité.

Il nous restera à lutter en même temps contre l'incapacité technique d’éducateurs qui ont été entraînés à discuter et à raisonner, mais non il travailler. Ce ne sera pas la partie la moins ardue de notre tâche.