Raccourci vers le contenu principal de la page

Dits de Mathieu - Dans la combe stérile

Février 1958

Nous sommes, les instituteurs, clans la situation peu enviable d'un berger qui serait condamné à garder son troupeau dans la même combe stérile où paissent depuis cent ans des générations de brebis : défense de laisser les bêtes s’aventurer vers la montagne, dans la réserve du reboisement que surveillent les gardes. A gauche, un champ de seigle que les brebis ne doivent pas piétiner. A droite, la lande nue où elles ne feraient que passer pour se perdre dans la forêt proche.

C'est là que le berger a besoin de garder l'œil vif et d’avoir de bons chiens. On entend bêler sans arrêt les brebis inquiètes. Et les sonnailles s’agitent... Et Labri par-ci ! Labri par là !... Ce n’est plus un noble métier mais une inhumaine charge.

Et le berger pense, avec nostalgie, au bétail qu'il conduit l’été vers l’herbe choisie de la haute montagne. Pas un bruit, pas un appel, les clochettes elles-mêmes sont muettes. La sécurité et la paix !

Vous prétendez confiner nos enfants dans une salle de classe stérile où ils ne trouvent rien que d’autres générations d’enfants n’aient perverti et banalisé, rien qui apaise leur faim de connaissance et leur soif d’amour.

Alors, les individus désaxés s'agitent sans répit ; ils se déplacent et se battent, ou reniflent vers l’extérieur, les promesses de vie et de liberté. Et l’instituteur s’épuise à maintenir, par tous les moyens, le silence et la discipline ; par tous les moyens, par la parole ou le fouet, en attendant que la science adapte à nos écoles ces systèmes de fil électrisé qui réussissent si parfaitement dans les pâtures.