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Un congrès qui marque d'une façon décisive la grande maturité de notre mouvement d'Ecole Moderne

Avril 1958

« Un des plus beaux Congrès de notre Mouvement, et, en tous cas, un des plus décisifs», écrivions-nous à cette même place, il y a un an, après le Congrès de Nantes. Et nous écrivions la même chose après le Congrès de Bordeaux, et après le Congrès d'Aix,

C’est le propre des organismes vigoureux d’être fiers de leur floraison, et nous dirons seulement, pour ne pas nous répéter, que ce Congrès, comme les précédents, a été préparé de main de maître — et c'était sans doute plus difficile encore qu’en province ; qu’il a été suivi par un nombre très supérieur de camarades (la situation de Paris y prédisposait) ; que, sur plus d'un millier de participants, il y en avait 5 à 600 de nouveaux ce qui est un gros succès ; que, contrairement à notre crainte, les travaux des commissions et les diverses séances plénières ont été suivis avec la même ferveur qu'en province ; que l’exposition artistique, pour laquelle nous étions en souci, a été parfaitement réussie, et que l’exposition technologique y avait une place et une importance réconfortantes, et que l'atmosphère du Congrès — aboutissant de tout cela — y a revêtu le caractère de camaraderie et d’amitié qui est de tradition dans tous nos Congrès.

Une personnalité invitée au Congrès me demandait ;

— Monsieur le Président?... Comment faut-il vous appeler? Directeur, secrétaire...

Je n'avais jamais pensé à cela...

Je suis Freinet... un de l’immense équipe fraternelle dont vous sentez la ferveur. Aucun autre titre ne saurait mieux marquer l'esprit et le sens de notre grande Rencontre,

Si même les nouveaux-venus n'avaient rien appris à ce Congrès, ils en seront marqués à jamais, s'ils ont senti battre le cœur ardent de l’Ecole Moderne.

Mais, cette amitié et cette fraternité ne sont point, chez nous, préétablies par je ne sais quelle vertu supérieure. Elles sont le fruit de l'indéfectible exemple de centaines, de milliers de camarades qui, par leur travail coopératif, par leur soif d’idéal et de progrès, ont rayonné une forme nouvelle de pensée et d’action à base d’humilité, de dévouement, mais aussi de dignité et d’exaltation qui suscitent une nouvelle fraternité — la fraternité du travail créateur et libérateur.

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Nous nous appliquerons plus particulièrement, dans ce premier numéro d’après Congrès, à dire ce que nous avons constaté de nouveau, d'encourageant, les initiatives prises, les projets élaborés. Les prochains numéros apporteront des détails sur le déroulement du Congrès et sur l’importance des travaux effectués, de façon que les camarades qui n’ont pu se rendre à Paris aient, de notre Rencontre annuelle, une image fidèle et constructive.

Le Congrès a apporté une preuve réconfortante de la maturité de notre Mouvement.

Il fut un temps, qui n’est pas très loin, où j'étais obligé de tout surveiller et d'intervenir sans cesse, à l’organisation aussi bien que dans les commissions ou les séances plénières, pour éviter les erreurs ou les déviations toujours menaçantes.

Ce stade est aujourd’hui heureusement dépassé. Dans tous les départements, nous avons des camarades pédagogiquement et humainement sûrs qui peuvent animer leurs groupes avec maîtrise. Et les stages qu'ils organisent sont la preuve flagrante de cette maturité.

Le Congrès de Paris s'est déroulé sans que j'intervienne directement dans les modalités de son évolution.

Le beau numéro spécial sorti à la veille du Congrès, et qui a été si remarqué et si utile, a été en totalité préparé et, mis au point par les camarades parisiens. Je n’ai fait qu’approuver sans réserve.

J’ai été tellement pris et accaparé au cours du Congrès que je n'ai pas pu participer activement au travail des Commissions. Mais celles-ci n’ont pas chômé et vous en lirez le compte rendu.

Je n’étais plus seul pour répondra aux appels de la presse ou de la radio. Il me suffisait de confier les journalistes à un des nombreux adhérents qui étaient en mesure de les accueillir et de les piloter. Et plusieurs camarades ont été appelés à la radio pour des enregistrements de qualité.

Une des séances plénières de l’après-midi, à laquelle je n’avais pu assister, et consacrée à la part du maître, a été particulièrement réussie. Elle devait se terminer à 17 h. Il a fallu que les portiers de la Sorbonne expulsent les camarades à 19 heures.

Ce ne sont là que quelques faits réconfortants parmi tant d’autres. Notre Mouvement a désormais de multiples têtes, une véritable armée d’initiés, d’initiateurs et de guides. Et c’est pourquoi, malgré les faibles moyens financiers dont nous disposons, nous pouvons influencer d'une façon souvent décisive tout notre enseignement primaire, toute la pédagogie de notre pays. Et c'est aussi une des caractéristiques de notre Mouvement, d’ailleurs parfaitement conforme à notre pédagogie, que cette organisation complexe, à la base, cette discipline consentie qui ne vient pas d’en haut mais monte de notre vie et de notre travail, cette vaste réalisation coopérative impulsée par un idéal commun, et qui étend ses racines dans les classes, dans les départements, dans les pays étrangers, avec une somme d’initiatives justes qu'aucune administration un tant soit peu autoritaire ne saurait si magnifiquement mobiliser.

Il est des entreprises qui sont connues par leur chef, ou par l’action coordonnée d’une équipe dirigeante dont les membres se comptent sur les doigts d’une main, il s’agit bien, chez nous, d’un Mouvement d’une profondeur et d’une ampleur qui n’ont peut-être jamais eu d’exemple dans l'histoire de notre pédagogie.

Rien ne pouvait nous donner une plus grande satisfaction que cette bénéfique constatation.

L’Exposition artistique apporte la preuve spectaculaire de cette maturité.

Jamais, peut-être, la participation n’avait été aussi nombreuse et d’une telle qualité. Elise Freinet elle-même regrettait de ne pouvoir disposer, pour une telle richesse, de quelque grande galerie qui aurait, mieux que des expositions séparées, donné cette double impression de richesse et de profusion.

Mais, en définitive, l’arrangement intervenu n'a point trahi notre belle production : une grande salle du Musée Pédagogique était plus particulièrement réservée aux maternelles et à la Maison de l'enfant. Elle était splendide et a été fort remarquée. Elle était à elle seule d'une éloquence définitive.

Elle a été complétée au Lycée Montaigne par une autre grande exposition où voisinaient plusieurs centaines de purs chefs-d'œuvre. Tous les participants, souvent anonymes, peuvent être persuadés que leurs œuvres ont, une fois encore, grandement servi le renom de notre mouvement.

L’Exposition technologique a repris sa naturelle importance.

On se plaignait avec quelque raison dans les Congrès précédents que nos techniques apparaissent comme spécifiquement axées sur la création artistique et que les techniques diverses de travail ne bénéficient pas au même titre de notre sollicitude.

Un très gros effort avait été fait cette année et nous félicitons Fonvieille de n'avoir rien négligé pour celle réussite technologique.

Matériel, outils de travail, réalisations des enfants, panneaux didactiques étaient plus éloquents que les meilleurs discours. Et quand nous avons reçu les responsables de l’UNESCO, il nous a suffi de les accompagner devant nos stands pour leur faire comprendre, à même notre travail, la portée profonde de nos innovations.

Nous dirons, dans un prochain numéro, sur quelles pistes nous pensons nous lancer pour rendre plus efficaces encore nos réalisations dans ce domaine. Un travail passionnant nous attend.

A Paris, nos techniques ont enfin touché le grand public.

Cela a été long et laborieux et il y a fallu la patiente ténacité de noire ami Oury. La grande presse a enfin bougé. La radio (française, Radio-Luxembourg et Radio Monte-Carlo, Europe n° I, Radio arabe, italienne, américaine) a enfin donné de la voix, et une voix qui a porté.

Nous avons aujourd'hui bouclé le premier stade de la diffusion. Nombreux sont certes encore les journalistes, les parents et les éducateurs qui ne connaissent rien à nos techniques. Mais tous font mine, du moins, de les connaître. Il ne faut certes pas regarder de trop près de quelle façon s’écrit l’histoire mais on sait désormais que les Techniques Freinet de l'Ecole Moderne constituent un progrès souhaitable, qu'elles sont la base de la pédagogie de demain.

C'est un fait de taille qui nous donne dans le grand public une fonction éminemment favorable dont nous devons profiter.

Nous nous y emploierons aussi et nous indiquerons prochainement comment.

Les Techniques Freinet de l'Ecole Moderne, la pédagogie Freinet, constituent actuellement la seule méthode existant dans le monde.

Après un foisonnement de méthodes de l914 à 1939, nous nous trouvons actuellement dans une période de vide pédagogique : la méthode Decroly est dépassée, la méthode Montessori, trop formelle, se cristallise autour de quelques expériences spéciales ; l'Amérique cherche — pédagogiquement parlant — tout comme l'Angleterre. Makarenko lui-même a fait des expériences précieuses et a donné aux éducateurs des conseils de valeur, mais il n'est pas à l'origine d’une méthode pédagogique.

L'Ecole Moderne apparaît actuellement dans le monde comme la seule méthode pédagogique psychologiquement, socialement, humainement et techniquement fondée. Elle a ses principes sûrs prouvés par une expérience à très grande échelle, qui lui vaut une résonance sans cesse accrue dans la pédagogie pratiquée à tous les degrés.

Cette position favorable nous impose des devoirs : continuation permanente de nos recherches, travail coopératif toujours plus intense, propagande nationale et internationale. Avec l'aide de nos meilleurs camarades nous devons réussir.

Pour la première fois l’UNESCO s’est intéressée à nos travaux.

Et cela, en partie certes parce que notre œuvre est de plus en plus connue, mais aussi parce que notre présence à Paris nous a permis de faire comprendre, par les faits, la portée possible de nos réalisations.

Nous ne pouvons dire encore quelles seront les conséquences de cette prise de contact. Nous dirons seulement qu’elle est grosse de promesses dont nous tâcherons de hâter la réalisation.

Notre Congrès de Paris a été le premier grand Congrès international de notre mouvement.

Dès sa naissance, on le sait, notre mouvement pédagogique s’est placé, par-dessus les frontières, sur un plan international. Et nos délégués italiens, suisses, belges, hollandais, espagnols sont des familiers de nos Congrès. Ils font partie de notre large famille.

L'an dernier avait été constituée à Nantes notre Fédération internationale des mouvements île l'Ecole Moderne (FIMEM). Cette année, cette Fédération internationale était une réconfortante réalité avec les 20 délégations de pays étrangers, représentées par des camarades. Outre ces 20 délégations présentes, nous avions la participation émouvante de tous les autres pays absents : notre cher ami Redondo nous avait adressé une émouvante bande magnétique de son Ecole Freinet du Mexique et l’Institut Coopératif de l’Ecole Moderne de Montevideo nous avait envoyé en un disque les salutations amicales des éducateurs Sud-Américains.

Le branle est donné. Au cours de l'année qui vient nous resserrerons encore les liens qui nous unissent par-dessus les frontières, La FIMEM est désormais une réalité.

Nous étudierons séparément les moyens d'interconnaissance et d’initiation à nos techniques, et nous n'oublierons pas que rien ne nous unit mieux que le travail.

Un esprit nouveau est né, qui suscite, soutient et anime des modes nouveaux de vie.

On ne travaille chez nous ni pour l'argent ni pour l’honneur, ni pour la conquête de grades administratifs.

Et c’est cela qui étonne et intrigue ceux qui nous voient de l'extérieur, avec un tel enthousiasme et une si émouvante fraternité.

Ce n'est pas assez de dire que nous ne travaillons pas pour de l'argent. Notre entreprise commune d'avant-garde, d’expériences et de création ne peut se nourrir que de sacrifices. Ce sont ces sacrifices que nous demandons sans cesse à nos adhérents.

L’expérience nous a montré que sont les plus dévoués à notre œuvre ceux qui ont le plus sacrifié de temps et d’argent pour la promouvoir et la magnifier. Et c’est à dessein que nous demandons aux jeunes et aux nouveaux venus d'imiter l'exemple de leurs ainés, qui ont su, tout au long de trente années de difficultés financières faire l’effort méritoire dont nous nous enorgueillissons. Nous avons, en conséquence, invité tous nos camarades à verser à la Caisse d’Epargne CEL tous les fonds disponibles - qu’ils récupéreront quand ils en auront besoin. Nous leur demandons aussi de poursuivre activement la campagne BT si bien commencée.

Et c'est, croyons-nous, une émouvante réalité, à la gloire non seulement de notre mouvement, mais aussi de tout ce que l'humanité compte encore de sain et de prometteur, de penser que, dans ce monde où l’argent est roi et d’où semblent de plus en plus exclues toutes idées généreuses, il se trouve encore des milliers d’hommes, des milliers d’éducateurs qui, avec une morale d’un idéal élevé et un sens aigu du service social, savent consentir de très lourds sacrifices pour sauvegarder ces liens que nous croyons essentiels, et qui résume si bien la formule républicaine hélas tant décriée : Liberté - Egalité - Fraternité.

Nous sommes et nous resterons pauvres ; nous nous nourrissons d’efforts généreux et de sacrifices ; nous n’avons pas, et n’aurons jamais pour nous soutenir ni les puissances d'argent ni les organismes à leur service. Mais nous avons la coopération totale de plusieurs milliers de camarades qui savent ce qu’ils veulent et où ils vont, et qui constituent de ce fait dans notre monde, une gestation, un ferment actif de libération, d’humanité et de paix.

C. F.