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Les dits de Mathieu - Embrayer sur la vie

Octobre 1956

Bien sûr que ça tourne, votre mécanique scolaire, et même mieux que la nôtre, parce que vous avez tout prévu, je ne dis pas plusieurs jours à l’avance, mais plusieurs mois, ou plusieurs années.

Votre répartition mensuelle conforme aux programmes est réglementairement affichée à droite du tableau, avec à gauche, votre emploi du temps auquel vous vous conformez strictement.

Vous n’avez qu’à mettre la mécanique en place et à tourner les pages. L'Inspecteur de passage pourra se faire présenter le cahier de préparation qui est comme le minutage extérieur de cette mécanique, et il partira rassuré ; tout se passe bien selon les normes.

Il n’y a qu'un inconvénient à cette mécanique : l’instituteur, l’inspecteur et l’Etat — disons plutôt : l’Etat, l’inspecteur et l’instituteur — ont tout prévu, en effet, sauf que leur mécanique ne s’engrène pas sur la complexe mécanique humaine. Le moteur tourne bien. Il donne son rendement maximum de tant de fours minute — en l’occurrence de tant de leçons à la matinée — mais on ne parvient que très accidentellement à embrayer. Alors la machine tourne à vide. Elle ronfle ou ronronne selon le rythme, ou s’emballe et s’échauffe. Mais la mécanique humaine non entraînée ne s'accroche que rarement à la minutieuse organisation scolaire. La plupart du temps, elle reste immobile et attend... qu’on sorte. Elle tourne parfois — et souvent même — en sens contraire sous l’impulsion de la vie et cela produit le même effet que lorsque, l’auto étant lancée, on passe malencontreusement en marche arrière au lieu de mettre la troisième qui aurait allégé et harmonisé le roulement. Grincements, grippages, cris, dents sautées et pannes.

Il vous faut tenir compte, certes, des impératifs qui, par tradition, par souci d’organisation, et parfois aussi par bureaucratisme, animent une mécanique qui, du dehors, nous impose des normes et un rythme. Mais vous ne ferez rien de valable, vous ne dépasserez jamais les piétinements et les erreurs de la scolastique si vous ne parvenez pas à l’engrenage indispensable sur l’élément humain qu’on vous donne à former, si vous n'atteignez à une harmonie d'agencements, à une technique de travail et de vie qui vous permette de produire non des monstres mais des hommes.