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Octobre 1934

Nous l'avons dit bien des fois : notre pédagogie populaire ne naîtra point des circulaires officielles ni des livres divers écrits par des théoriciens inspecteurs et professeurs. Elle naîtra de la collaboration et du travail méthodiques des instituteurs eux-mêmes qui, conscients des nécessités du progrès pédagogique, oeuvreront à même leur classe, avec bonne foi et simplicité, sans mise en scène ni tape à l’œil.

 
Nous sommes persuadés que la plupart des revues pédagogiques font fausse route en présentant à leurs lecteurs des modèles de préparations de classe pour ainsi dire idéales, bien au-dessus de la possibilité de la majorité des maîtres. Nous voulons, nous que chaque camarade dise en toute franchise le peu qu'il a pu réaliser, qu'il dise ses insuccès, mais aussi ses désirs, ses rêves, ses possibilités. Chacun de nous pourra alors puiser chez ses correspondants des idées, des techniques des procédés, applicables pratiquement dans nos classes. Et c'est de ces menus progrès techniques que naîtront nos grandes améliorations pédagogiques.
 
Dans la 1re classe
d'une école à deux classes
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L'ami Freinet nous a demandé d'exposer dans l'Educateur Prolétarien, notre façon de travailler­ en classe. Nous n'avons pas accepté avec beaucoup d'empressement car il y a loin entre, ce que nous voudrions réaliser avec nos élèves et ce que nous parvenons à faire, et nous nous sommes demandés en quoi cet exposé pourrait intéresser les camarades. Puis à la réflexion, comme chacun d'entre nous se heurte plus ou moins aux mêmes difficultés et que nous voulons faire de la pédagogie coopérative, nous demandons à tous les camarades de faire comme nous et à tour de rôle dans cette rubrique comme ils s' y prennent pour adapter aux réalités difficiles l'enseignement qu'ils rêvent. Ainsi nous nous aiderons les uns les autres à désapprendre la belle pédagogie classique de l'Ecole Normale et la routine si confortable, à acquérir l'état d'esprit de l'école vivante ; nous nous aiderons à résoudre les problèmes difficiles (quand ils ne sont pas insolubles) de la surcharge des clas­ses, des programmes et des inspecteurs exigeants, des crédits limités, de la méfiance des parents. 
 
Nous répèterons, après d'autres la joie du travail dans nos classes d'imprimeurs, le plaisir du maître et des élèves. S'il y a encore des moments pénibles, c'est que nous ne savons pas adapter notre enseignement aux besoins de l’enfant ; c'est peut-être aussi que nous nous faisons trop d'illusions sur ce qu'on petit obtenir en régime capitaliste.
 
Personnellement, je n'ai rien innové. J'emploie la technique Freinet telle qu'el­le a été bien souvent exposée. J'ai la première classe d'un groupe rural mixte à deux classes.
 
Voici comment nous passons une journée :
 
En entrant en classe le matin, nous consacrons une demi-heure environ à la lecture des journaux scolaires de nos correspondants (chaque élève reçoit le journal scolaire d'une école correspondante : j'ai assez de correspondants pour satisfaire mes 30 élèves. Cet élève responsable est chargé de lire à ses camarades les passages intéressants du journal qu'il reçoit et de répondre aux questions, aux enquêtes posées). Ces lectures donnent lieu à des remarques, demandes, explications en commun il arrive parfois aussi qu'un élève apporte un article de journal un passage de livre : c'est à ce moment qu'il en donne lecture à ses camarades.
 
Puis nous passons au choix du texte qui sera le centre d'intérêt et d'étude pour la journée.
 
J'ai partagé ma classe en 3 ou 4 groupes de 8 à 10 élèves chacun : groupes correspondant à peu près aux différents âges scolaires de la classe. Les élèves de chaque groupe ont rédigé chez eux ou en classe les récits absolument libres qu'ils lisent à leurs camarades. Ils lisent donc chacun leur texte (ou leurs textes) un jour sur trois ou quatre.
 
Après cette lecture la classe vote pour choisir ce qui sera imprimé. Il y a par­fois discussion, orageuse même ; souvent je ne partage pas l'avis de mes élèves ; parfois aussi se font jour de petites riva­lités personnelles, de petits clans se for­ment pour boycotter un texte, ou au con­traire, pour en faire choisir un. Ces conflits, images des individualismes féroces des adultes, nous navrent. Peut-être des camarades les évitent-ils. Qu'ils nous disent comment ils s'y prennent. Peut-être ne sont-ils pas évitables dans une société qui exalte l'intérêt personnel. Quoi qu'il en soit, quand nous nous sommes mis d'accord, le travail continue.
 
Le texte choisi est écrit au tableau noir, presque toujours par un élève sous la dictée de l'auteur Il m'a semblé préférable de faire écrire le texte par un élève au lieu de l'écrire moi-même. D'abord parce que, c'est un plaisir pour l'enfant – et je n’ai jamais manqué de volontaires pour faire ce travail ‑ et aussi parce que c'est un excellent exercice d'orthographe. Celui qui écrit s'efforce d'écrire sans faute, car ses camarades sont attentifs et le rappellent à l’ordre à la moindre faute.
 
Pendant qu'on écrit le texte au tableau, les élèves dessinent librement : ils illustrent la page de leur cahier de classe sur laquelle ils feront les exercices de la journée ou préparent un dessin qui servira pour illustrer notre page imprimée ou copient une partie du texte. Cela ne les empêche pas de suivre et de profiter des remarques que nous faisons au cours de la transcription du texte au tableau, car si nous respectons toujours la pensée de l'enfant nous corrigeons ensemble les fautes d'orthographe, de ponctuation, les grosses fautes de français ; il nous arrive aussi parfois de corriger la forme du devoir (par exemple de supprimer une répétition, de remplacer un mot par un synonyme plus clair, mieux choisi, d'alléger une phrase). Je répète que nous respectons entièrement le fond, la pensée, de l'enfant que nous faisons le moins possible de retouches et que, le plus possible, nous conservons la forme spontanée de l'expressionenfantine. Mais je crois que c'est un travail extrêmement profitable pour l'enfant que de l'habituer à préciser sa pensée en perfectionnant son expression, ce qui, en même temps, la rend plus claire pour les autres et justement à propos de l'objet, qu'il a vécu, senti, et pour lequel il a déjà volontairement travaillé. D'ailleurs, très souvent ce sont les auteurs eux-mêmes qui proposent les modifications à apporter.
 
Le texte est écrit au tableau ‑ cela nous a pris une demi-heure, souvent plus. Les élèves qui ont lu les textes composent, puis impriment. Ils poursuivent d'ailleurs l'impression à d'autres moments de la journée. Pendant ce temps, les deux autres groupes font un exercice écrit de grammaire, de vocabulaire ou de conjugaison sur le texte lui-même, ou un exercice d'orthographe. L'exercice terminé ils travaillent librement : dessinent, lisent individuellement ou par deux, recherchent dans les manuels de lecture mis à leur disposition des textes d'adultes de même sujet que le leur, consultent dictionnaire, fiches, spécimens de sciences, histoire, géographie, font, en somme, une petite moisson de documents qui nous serviront l’après-midi. Il y a aussi des élèves qui ne trouvent pas d'occupation !...
 
Après la récréation toute la classe fait ensemble ce que nous appelons la « chasse aux mots », toujours en se servant du texte. Par exemple on recherche les mots dans lesquels on trouve ff comme effacer, les mots qui se terminent par aie comme haie etc… On établit des listes de synonymes, des contraires, des familles de mots, etc... Les enfants aiment cet exercice. Il est suivi d'une leçon de grammaire, de vocabulaire, ou de conjugaisons suivant le texte. Si le texte se prête à une leçon sur les pronoms possessifs ou le passé simple   nous faisons cette leçon. Il est bien rare que dans toute l'année scolaire, on n'ait pas eu l'occasion de tout voir.
 
La matinée est ainsi écoulée. En général nous ne trouvons pas de difficultés insurmontables dans cette partie de notre travail scolaire et nous faisons à peu près toujours le travail comme nous venons de l'exposer. Il y a bien sûr des jours où nos causeries de la première heure se prolongent et cela entraîne du retard pour le reste de la journée.
 
Y. GUET,
Gennetines St Plaisir
(Allier)
 
(A suivre)
 
 

 

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