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Pour l’organisation rationnelle du travail scolaire

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Janvier 1957

On ne détruit bien que ce qu'on remplace.

Les méthodes traditionnelles disparaîtront peu à peu de nos classes au fur et à mesure que nous organiserons le travail nouveau, et un travail qui montre par lui-même son évidente supériorité sur les pratiques dépassées.

On n’a pas eu à faire de grands discours sur ce que pouvaient avoir de désuet les charrettes et chars-à-bancs, la preuve s'est faite toute seule, par l’usage. La suprématie aujourd'hui incontestée des autos ne signifie nullement que les procédés anciens ont tous les défauts et les techniques nouvelles toutes les qualités. Tous ceux qui ont fait jadis des voyages en voiture à cheval se souviennent avec émotion du tintement des grelots des chevaux, du doux balancement des véhicules, de la grande paix des paysages non encore déformés par la vitesse. Mais, tout compte fait, la technique moderne est supérieure et il ne nous viendra pas à l’idée de reprendre un cheval à l'écurie et de faire les voyages comme autrefois.

Seulement cette substitution ne se fait pas toute seule. Pour ce qui concerne les véhicules, il a fallu la longue et méticuleuse mise au point des mécaniques et la production en série qui a abaissé les prix de revient. Elle suppose de même, en éducation, une longue et méticuleuse mise au point et la production dans des conditions qui rendent les techniques modernes de travail à la portée de l'ensemble des écoles.

Cette mise au point et cette fabrication en série ont été menées à bien par notre effort coopératif. Il nous reste à les parfaire, certes, et nous nous y employons en permanence.

Nous menons cette année, pour le calcul, une expérience qui pourrait être décisive. Pour l’enseignement des sciences, nous commençons la réalisation collective de notre grand fichier d'observation et d'expériences pour lequel nous lançons un nouvel appel aux travailleurs. Pour le français, nous avons gagné la partie, comme nous sommes en train de la gagner en histoire, en musique, en art.

La mise au point de l’étude de chacune des disciplines essentielles nécessite certes, toute notre attention. Mais ce qui est le plus délicat, c’est encore davantage la synthèse de ces disciplines, la conduite de la classe, l'organisation du travail.

D'où l'intérêt majeur des nombreux articles parus ici même sous la rubrique : Comment je travaille dans ma classe, par l'organisation coopérative, l’emploi des fichiers, les conférences, et surtout les Plans de Travail dont je vais rappeler encore les précieux avantages,

***

Pourquoi, dira-t-on, une mécanique si bien montée, techniquement si bien au point, ne se répand-elle pas plus rapidement dans l'ensemble de nos classes ?

Si nous voulons garder intacts notre allant et notre optimisme, il faut que nous prenions toujours conscience, au maximum, des conditions de notre travail, des obstacles que nous rencontrons, des aspects bénéfiques sur lesquels nous pouvons nous appuyer.

Si les autos ont pris une telle place exclusive dans la société actuelle, c'est non seulement parce que la mécanique en a été mise soigneusement au point, mais aussi parce que les conditions de fonctionnement étaient favorables. Que ces conditions cessent d'être favorables et il y aura immédiatement crise, et parfois même recul.

Nous en avons l'exemple avec la pénurie d’essence qui gêne immédiatement la marche normale des mécaniques et en ralentit l’évolution.

L’Ecole supporte les conséquences catastrophiques d'une crise similaire. La surcharge des classes produit en pédagogie le même effet que la surcharge habituelle des véhicules dans les rues de Paris. Les gens préfèrent aller à pied ou prendre le métro.

Dans une classe surchargée, tout travail normal est impossible. La mécanique ne peut pas fonctionner. Et ne laissons pas accréditer le slogan habituel : les techniques modernes ne sont possibles qu’avec un nombre d’élèves réduit : 25 à 30. Ce qui laisserait entendre que d'autres méthodes sont acceptables avec des classes de 40, 50 et 60. Avec une telle surcharge, aucune éducation n’est possible. L’Ecole peut, certes, par des procédés de dressage, obtenir un minimum d'acquisitions scolastiques, mais le rendement, de ces méthodes, même pour ce qui regarde à la pure acquisition n’excède pas 60, 50, 30 et parfois 20 %. Le rendement est nul, donc négatif au point de vue éducation.

Et cela, malgré un surmenage inhumain des éducateurs qui sont les premières victimes de cet état de choses.

Dans le prochain numéro de l’Educateur, nous verserons au dossier de notre thème de la discipline un certain nombre de témoignages qui devraient aider maîtres et parents à réagir contre un état de choses catastrophique. Nous y dirons aussi l’incidence regrettable des locaux scolaires et notamment des écoles-casernes des villes.

Notre mouvement est en mesure de gagner rapidement la majorité des écoles. La masse des instituteurs eux-mêmes s'orienteront vers une méthode de travail qui sauvegarde leur dignité et leur santé. Mais il y faut absolument un rétablissement normal des conditions de travail acceptables. Notre campagne pour 22 enfants par classe qui commence à porter ses fruits doit être intensifiée. Nous l’élargirons encore à l’occasion de notre prochain congrès par l’action hardie — d’autres disent téméraire que nous menons pour une discipline digne de notre démocratie.

A cette occasion, nous demanderons tout spécialement à nos adhérents d’agir auprès des associations de parents pour que ceux-ci comprennent que les leçons et les punitions ne sont pas un moyen efficace de formation et d’éducation. Nous ne devons plus tolérer à l’Ecole des méthodes de travail et des pratiques disciplinaires qui feraient scandale hors de l’école.

Ceci dit, faisons le point de la pratique actuelle des

Plans de travail

Nous sommes, il n’est peut-être pas inutile de le rappeler, pour un maximum d’ordre et de discipline, mais ordres et disciplines non formels mais profonds, ordre et discipline du travail.

La pratique de l'expression libre et de son exploitation pédagogique maximum nous a valu souvent l’accusation d’anarchisme. Il est certain que si un maître expérimenté, dynamique, souple, habile, cultivé peut exploiter un complexe d’intérêt avec un maximum de profit pédagogique et humain, et dans un ordre et une discipline exemplaire, un maître mal entraîné, qui ne sait pas s’engager hardiment dans les pistes, qui hésite à donner à donner à chacun le peu de réussite qui l’emballera, peut aboutir à une impasse caractéristique de désordre et d'inefficience.

Cette exploitation pédagogique reste l'idéal, comme reste idéale une société dans laquelle chacun œuvrerait selon ses goûts ou selon ses besoins.

Dans la pratique, nous soutiendrons notre organisation scolaire par les Plans de travail.

Ces Plans de travail, pas plus que le fichier, le journal ou les conférences, ne sont une invention scolastique. C’est une technique adulte adaptée à l’Ecole mais avec exactement les mêmes motivations et les mêmes buts.

Ce que nous pouvons dire a priori, c’est que le Plan de travail, comme le fichier auto-correctif, est une technique qui emballe les enfants. Pourquoi ? Parce que, comme dans la vie, et compte tenu d’un certain nombre d'impératifs extérieurs, les enfants décident eux-mêmes de ce qu’ils vont faire, et qu'ils peuvent y travailler ensuite à leur rythme et aux heures qui leur conviennent.

Nous ne devons pas laisser croire que notre pédagogie ne sera axée que sur la fantaisie ou l’intérêt immédiat des enfants. Il en sera peut-être ainsi dans unee classe enfantine ou un C-P. Mais dès le C.E., les intérêts profonds sont plus durables et plus permanents. Comme pour les adultes d’ailleurs : des idées nous viennent, des projets naissent qui nous enthousiasment. Nous avons juste le temps de les noter sur notre agenda car la vie a ses exigences, Seulement, la semaine prochaine, nous inscrirons ce projet dans notre Plan de Travail, pour lequel l'Educateur pourra, en temps voulu, prévoir les éléments.

A l’Ecole Freinet, nous n’exploitons que très accidentellement, immédiatement, un complexe d’intérêt. C'est le Plan de Travail qui est vraiment au centre de notre organisation et qui suscite une bonne volonté, une application et une ténacité exceptionnelles, étant donné qu’aucune récompense ne vient sanctionner le travail si ce n'est l’inscription au graphique.

Nous faisons un plan hebdomadaire. Certains camarades ont trouvé le délai un peu court et préfèrent un plan pour la quinzaine. Avec des enfants de 13 à 16 ans, ce délai peut en effet être préférable. Mais avec nos élèves, un trop long délai ferait perdre le bénéfice du stimulant. Nous préférons reporter au plan suivant des travaux trop importants qui n’ont pas pu être terminés.

Cette pratique du Plan de Travail est certainement la technique de l'avenir pour l’organisation méthodique de nos classes vivantes.

Nous venons de lui apporter un complément indispensable : le contrôle.

Un contrôle est nécessaire pour le maître. Contrairement à ce qu’on croit souvent, ce contrôle est non seulement accepté, mais souhaité par les enfants. L’Ecole en fausse et en pervertit souvent les données à cause des notes et du classement qui en sont presque toujours la conséquence. Dépouillons le contrôle de cet attirail scolastique, il nous restera alors le désir, le besoin qu'ont les enfants de se contrôler eux-mêmes, de voir s'ils ont réussi, de comparer leurs travaux actuels aux travaux précédents, de se comparer à leurs camarades. C’est très humain. Mais il faut trouver une formule nouvelle qui permette ce contrôle.

Cette formule, c’est celle des brevets.

Nous avions essayé de présenter à nos élèves le samedi des tests d’histoire, de calcul ou de sciences, tels que nous tâchons de les réaliser cette année dans L'Educateur. Ce contrôle était trop imparfait, trop précipité et nettement insuffisant.

Nous avons alors adopté la formule suivante qui nous paraît presque idéale et que nous recommandons à nos adhérents.

Nous avons quatre semaines dans le mois. Les trois premières semaines seront, axées sur le Plan de Travail. La quatrième semaine est automatiquement une semaine de contrôle par Brevets et chefs-d'œuvre.

Nous affichons la liste de tous nos brevets tels qu’ils sont notés dans la BENP avec Brevets obligatoires, Brevets accessoires et Brevets de spécialités. Chaque enfant doit présenter une proportion à déterminer de Brevets obligatoires.

Pour chacun de ces brevets, il nous faudra établir un plus grand nombre de paliers, quatre à cinq au moins, avec pour chacun épreuves et tests (voir BENP).

Pour chaque brevet, chaque enfant doit réaliser un chef- d'œuvre.

Nous avons assisté pendant la dernière semaine de contrôle à une activité fébrile, gênée seulement par le manque de matériel et de directives pour la réalisation des chefs-d'œuvre. Mais, même techniquement imparfaits, ces Brevets sont un moyen de contrôle nettement supérieur à ce qui a été fait jusqu’à ce jour. Ce sont des marches qui ont été effectivement gravies et qui seront indiquées sur le carnet de l'élève par des mentions correspondant aux degrés affrontés.

Les travaux écrits seront collationnés sur un cahier spécial qui sera pour la technique nouvelle, ce qu'était le cahier de devoirs mensuels pour l’ancienne technique des Devoirs et des Leçons.

En juin, nous n’aurons qu'à récapituler et nous aurons, tout prêts, les brevets de fin d’année.

J'ajoute que, au moment où l'on s'apprête à faire pour l'entrée en sixième un contrôle du travail de chaque élève, nous aurons là, avec nos brevets, notre cahier, nos chefs- d'œuvre et notre carnet de l’élève, les éléments les mieux en mesure de montrer les possibilités vraies et les aptitudes des candidats.

Notre technique des Brevets, que Robert Dottrens a présentée comme une des meilleures solutions techniques du problème du contrôle scolaire, s’intègre ainsi dans tout le processus de notre travail qui peut se résumer ainsi :

— Expression libre sous toutes ses formes comme point de départ en liaison avec le milieu.

Exploitation pédagogique maximum des complexes d intérêts.

— Plans hebdomadaires de travail,

— Conférences.

— Graphique et contrôle tous les samedis dans le cadre coopératif.

Contrôles mensuels avec tests, brevets et chefs-d’œuvre.

— Brevets de fin d’année, avec chefs-d’œuvre.

Nous demandons aux camarades qui pratiquent le Plan de Travail et essaieront le contrôle mensuel, de nous envoyer le résultat de leur expérience.