Dès le prochain numéro, nous reprendrons dans nos leaders la discussion des questions essentielles qui nous incitent à analyser sans cesse nos efforts, à étudier sous leurs divers aspects les problèmes tels qu'ils se posent à nous, toujours différents d'une année à l'autre, à nous situer en permanence dans le complexe de notre éducation nationale et internationale, et à progresser donc chaque année en profitant au maximum de la grande expérience collective que représente aujourd’hui notre mouvement de l’Ecole Moderne, le plus fort mouvement pédagogique français, le seul mouvement pédagogique laïque existant à ce jour dans notre pays.
Nous nous contenterons, dans ce numéro de rentrée de présenter ce travail que nous envisageons pour l’année qui commence et de dire aussi ce que nous attendons de l'activité de nos camarades et, de nos groupes pour que nous puissions encore une fois aborder notre prochain Congrès de Bordeaux avec un bilan positif qui témoignera du dynamisme croissant de notre mouvement.
25 ENFANTS PAR CLASSE
Un coup d’œil général d'abord
Nous souffrons depuis quelques années d’une aggravation incontestable des incidences sociales, politiques, matérielles et psychologiques qui conditionnent l'éducation populaire.
Notre Ecole est jésuitiquement mais méthodiquement battue en brèche. Les décisions parlementaires qui, morceau par morceau, entament notre vieille législation laïque, marquent inévitablement les étapes de notre régression. On argumentera que les crédits du ministère n’ont pas diminué, qu’ils s’accroissent même sensiblement. Mais, comme les besoins dus à la montée en flèche des effectifs croissent beaucoup plus vite encore, nous assistons à un recul caractérisé entre ce qui devrait être fait pour maintenir les positions acquises et les crédits accordés. Le problème des effectifs est le baromètre majeur de cette crise. Et c’est pourquoi nous nous sommes attaqués plus directement à cet état de fait en amorçant notre campagne des 25 enfants par classe, que nous allons développer en cours d'année. Cette réduction à 25 des effectifs scolaires suppose le recrutement et donc la préparation des maîtres nécessaires, recrutement qui ne sera, possible qu'avec une amélioration décisive de la condition des instituteurs. Elle suppose aussi la construction et l’équipement des locaux indispensables, tous problèmes auxquels sont sensibles, si on les leur présente sous une forme parlante et directe, non seulement les éducateurs, mais les parents eux-mêmes et les amis de l’Ecole.
Ne laissons pas masquer le tragique de ces problèmes sous la façade démocratiquement généreuse des projets de réforme de l'enseignement et portons l’accent sans cesse sur les revendications incluses dans les buts posés à notre Association 25 enfants par classe et dont nous devons populariser l’urgence.
Ce n’est pas par hasard que nous posons en tête de notre programme de l’année qui commence ces revendications en apparence extra-pédagogiques. Prenons-y garde : si les conditions de hase de notre Ecole devaient encore s’aggraver, c’est tout notre vaste effort pédagogique qui serait compromis. La solution des problèmes n’est pas strictement psychologique et pédagogique ; elle est d’abord matérielle, technologique, sociale et politique.
Il nous faut contribuer à créer, en faveur de l'Ecole laïque, une atmosphère nouvelle pour laquelle nous ne négligerons rien, ni l'action syndicale, ni l’action politique. Mais notre rôle particulier est d'exploiter au maximum les avantages que nous valent nos techniques pour mobiliser autour d’elles la grande masse des parents directement sensibles aux idées nouvelles et pratiques que nous leur présentons :
— Par une pédagogie du travail, dont nous continuerons à montrer l’urgence ;
— Pour un travail efficient, clans lequel intervient, comme à l’usine et aux champs, la notion de rendement ;
— Par une activité qui déborde hardiment la scolastique pour se mettre au service de la culture et de la vie.
Une Pédagogie du Travail
Nous en avons lancé l’idée, en la justifiant, par la publication de notre livre l'Education du Travail et par la campagne que nous avons menée contre toutes les scolastiques, y compris celle du Jeu.
Nous continuerons le procès positif de la pédagogie traditionnelle d’instruction par l’étude formelle, les devoirs et les leçons, sur la base du seul outil : le manuel scolaire.
Et nous tâcherons aussi de saper le prestige qu'avait acquis, à la suite de l’expérience montessorienne, la théorie, du jeu dans la pédagogie de cette première moitié du siècle.
Nous devons dès maintenant affirmer en toute occasion la supériorité de notre Pédagogie du Travail, dont nous avons jeté les bases et que nous rendons aujourd'hui possible par notre matériel de travail et nos techniques. L’idée est désormais dans l’air puisque les hôpitaux psychiatriques eux-mêmes, équipés avec notre matériel et pratiquant nos techniques, préconisent un mode de traitement auquel ils ont donné le nom savant de Ergothérapie, le traitement par le travail.
Nous mènerons nous aussi la campagne pour une ergo-pédagogie, la pédagogie du travail. Nous le ferons pour ainsi dire sur deux fronts :
— Nous continuerons la patiente mise au point de nos outils et des techniques d'emploi de ces outils ;
— Nous organiserons une propagande méthodique pour faire connaître et acclimater nos réalisations pédagogiques et artistiques.
Mise au point de nos outils de travail
C'est notre souci de base, sans lequel aucune pédagogie du travail ne saurait naître et se développer.
Les éducateurs ne s’y trompent d’ailleurs pas : la pédagogie Decroly, c'est la lecture globale pour laquelle on a lancé sur le marché une profusion de matériel qui trahit très souvent l’inspiration et les directives du maître ; Mme Montessori jugeait indispensable l’achat de son matériel spécialisé et breveté ; Cousinet a préconisé le travail par groupes, mais comme il a négligé la mise au point des outils nécessaires au groupe, il n’a pu créer une pédagogie Cousinet. La pédagogie Freinet, c'est l'imprimerie à l'Ecole, le limographe, le journal scolaire, la peinture, les Boites de travail, les Disques. On dira que c’est autre chose aussi, que c'est le texte libre, l'expression de l’enfant, l'Ecole élément du milieu, Mais tout cela c’est déjà la moisson qui est ce que l'ont faite la semence, la, fumure et les façons culturales favorables à la fructification. C'est parce que nous sommes les praticiens que nous ne nous contentons pas des idées générales sur la valeur psychologique ou philosophique de nos productions. Nous soignons notre champ, nous cultivons notre jardin, nous aiguisons nos outils pour que la récolte réponde à notre pensée et à nos espoirs. Nous avons créé, nous créons le matériel et les techniques de l'Ecole Moderne.
Et c’est par ce souci de base, tout à la fois matériel, technique, psychologique, artistique, pédagogique et philosophique que nous marquons la pédagogie de demain. Qu'on le veuille ou non, on ne travaillera plus, dans les écoles équipées d’imprimerie, de limographes, de fichiers et de matériel scientifique, comme on travaillait naguère à l’Ecole des Manuels. Un progrès, une révolution sans précédent sont en train de s’accomplir qui substitueront à la pédagogie du verbiage, la grande, l'humaine, la décisive pédagogie du travail.
Nous avons fait, cette année encore, un très gros effort pour l’amélioration et la mise au point, de notre production, avec :
— une Boite d'imprimerie de 8.000 fr., qui peut prendre place dans toutes les classes et dans les familles ;
— d'une presse automatique 17x22 (format cahier écolier), à 22.000 fr., rapide, simple.
— l'aménagement de nos prix, notamment, pour nos polices de caractères ;
— la production en grande série de nos limographes automatiques tout métal 13,5x21 et 21x27, qui sont parfaits ;
— nos Boites de travail, dont la liste va s’allonger encore au cours des mois à venir ;
— nos couleurs en poudre, livrées désormais en beaux sachets pesés et fermés automatiquement et dont la vente se fait maintenant par tonnes parce qu'elles n’ont pas d’équivalent sur le marché français ;
— nos nouvelles éditions dont, vous verrez la liste.
Il faut qu’on sache autour de nous, et il faut en imposer l’idée, que l’Ecole, comme le chantier, a besoin des outils, de l’installation et de l'aménagement qui lui permettent de produire, parce que c'est à même les exigences complexes de la vie que se forment les bons ouvriers de la construction sociale de demain.
Mise au point de la technologie de l’Ecole Moderne
Mais l’outil, même moderne, ne travaille pas forcément pour le progrès et la libération de l'individu. Nous en trouvons hélas ! les preuves dans les crises actuelles de la science et de la technique et tout spécialement, de ce chef-d’œuvre exemplaire de la recherche humaine, l'énergie nucléaire, dont les inventeurs eux-mêmes se sont effrayés des dangers sans précédent qu’elle fait courir à l'humanité.
Nous mettons au point les outils de l'Ecole Moderne, Mais nous ne voudrions pas être obligés de crier un jour comme Einstein ; cette technique que nous avons voulu mettre au service de l'Ecole peut travailler contre elle !
Nous devons continuer l'étude permanente, les procédés les plus favorables d'utilisation de ce matériel et de ces outils. C’est la raison d’être :
— de nos livres, que nous engageons nos camarades à lire, et notamment, puisqu'ils seront cette année d’une particulière actualité : l’Education du Travail ; l’Essai de Psychologie sensible ; la Santé de l’Enfant.
— de nos brochures d’Education Nouvelle Populaire, qui vous apportent l’ensemble de la méthodologie de l’Ecole Moderne.
— de notre revue l'Educateur que vous devez lire et faire connaître autour de vous.
— de l’activité de nos commissions, de nos équipes et de nos groupes départementaux.
Propagande en faveur de l’Ecole Moderne
Cette propagande est difficile tant qu'elle n’est que théorique et idéale. Mais ce stade est aujourd'hui largement dépassé. Nous avons à montrer le résultat de nos travaux et, nous devons nous y appliquer.
1° Nos éditions et nos revues sont évidemment le meilleur élément de propagande et le plus facile à exploiter. Il n’est pas d'éducateur qui ne puisse s'intéresser au moins à une de nos revues : L'Educateur, La Gerbe, Bibliothèque de Travail, Albums d'enfants, BTT (Bibliothèque de Textes), Films fixes.
Recrutez un abonné à une au moins de ces publications. Vous aurez agrandi le nombre des bons ouvriers de nos techniques.
Des numéros spécimens sont gratuitement à votre disposition. Une remise de 10% à, utiliser en éditions CEL vous sera accordée pour tout abonnement nouveau transmis.
Nous signalons notamment une possibilité dont nos adhérents eux-mêmes nous ont donné l'idée ; des abonnements multiples pour la classe (surtout BT et Album d'Enfants). Souscrivez un ou deux abonnements supplémentaires aux BT et aux Albums. Vous recevrez les numéros dès parution (l'abonnement vous donnant, déjà une remise de 50% sur le prix marqué). Avec la remise supplémentaire de 10%, la série des 40 BT de l'année, qui vous coûtera 1.350 fr., et sera vendue 3.000 fr., laissera un bénéfice net de 1.650 fr. à votre coopérative.
Nous nous engageons à reprendre éventuellement les opuscules non vendus pourvu qu’ils nous parviennent en très bon état.
Faites connaître ces avantages autour de vous et profitez-en.
2° Par les groupes départementaux : nous avons, comme suite à nos décisions de Congrès, prévu des conditions très favorables pour les groupes départementaux qui font de la propagande et nous passent des commandes.
Nous vous conseillons :
a) d’abord de réunir et de grouper tous les camarades qui s’intéressent à nos techniques. Prévoir, à cet effet, une première réunion de travail qui préparera le calendrier des rencontres de l’année ;
b) de vous mettre d’accord sur les formes de propagande et désigner les propagandistes ;
c) de donner de la publicité au Bulletin Départemental et aux journaux laïques ;
d) d'entrer en relations avec tous les organismes et toutes les personnalités qui peuvent nous aider dans notre besogne complexe ;
e) de publier on bulletin régulier tiré au limographe automatique (toutes facilités vous seront données par Cannes).
3° Propagande par expositions, démonstrations et journées pédagogiques.
a) Démonstrations locales, destinées aux instituteurs, surtout à l'occasion des réunions de travail des groupes ;
b) Journées pédagogiques avec grande exposition et démonstration de travail des enfants. A préparer longtemps à l'avance. Cannes vous aidera.
c) Journées Pédagogiques régionales, soigneusement préparées avec le concours de Freinet.
d) Grande exposition nationale circulante, contenant les principaux chefs-d'œuvre de notre mouvement avec peintures d’enfants encadrées, poteries, tapis, etc... Ces expositions devront être reçues soit dans des musées ou salles publiques, soit dans des salles privées. L’entrée en sera payante.
4° Propagande à l’occasion des Conférences Pédagogiques. Il faut profiter de ces C.P. pour montrer notre matériel, distribuer spécimens, catalogues et tarifs. Des colis spéciaux, gratuits ou pour ventes, seront prévus.
***
C’est parce que nous sommes aujourd'hui plusieurs milliers que nous faisons de belles choses à des conditions sans concurrence. Si nous étions deux fois plus nombreux, nous ferions mieux encore. N’oublions pas que le prix de revient des BT ou des albums baisse au fur et à mesure qu’augmente le tirage. Et vous serez toujours les bénéficiaires de cette baisse.
***
Nous abordons l’année avec des conditions matérielles, un allant pédagogique, une richesse de collaboration et une résonance que nous n’avions jamais encore atteints. Nous pouvons faire mieux encore. Mais ce mieux sera, votre œuvre, l’œuvre des milliers, des dizaines de milliers de camarades qui ont enfin compris que c’est à eux, les praticiens, à prendre en mains le sort de leur école, et de modifier, d’améliorer leurs conditions de travail pour mettre leur métier, le plus beau des métiers, toujours mieux au service de l’Ecole laïque.
C. FREINET.
P.-S. — Pendant le mois de novembre, l’Ecole Moderne aura un stand important au Salon de l’Enfance, à Paris. Dès maintenant, préparez-vous à le visiter et y amener des parents d’élèves et des éducateurs.