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DITS DE MATHIEU - C'est en forgeant qu'on devient forgeron

Dans :  Principes pédagogiques › 
Novembre 1956

LES DITS DE MATHIEU

Bréviaire de l'Ecole Moderne

III - C'est en forgeant qu'on devient forgeron

Ce vieux proverbe artisanal disait bien naguère la nécessité primordiale de mettre l'apprenti dans le bain du métier, l’enfant et l’adolescent dans le bain de la vie, pour qu’ils se forment, par l’expérience et la pratique souveraines, aux faits, aux gestes et au comportement qui orienteront et fixeront leur destinée.

Seule, l’Ecole s’est, de tous temps, inscrite en faux contre ces sages conseils. « Il est bien exact, nous dit-elle, qu’en forgeant on devient forgeron. Mais le chemin en est long et lent, et empirique. Prenez des livres et expliquez, démontrez avec logique, parlez, dépensez de la salive. Vous ferez l'économie de l’expérience, et vous irez plus vite et plus loin dans la pratique sûre du métier. »

Nous touchons là au nœud vital de la pédagogie, à la bifurcation dangereuse où elle s’écarte de la vie et se transforme en scolastique. Et c’est à cette bifurcation que nous devons, nous aussi, choisir et nous orienter.

Loin de nous la pensée que les livres, le raisonnement logique et la parole éclairée soient superflus ou inutiles.

Ils sont la condition du progrès. Mais ils ne doivent entrer en action que lorsque l’expérience a jeté ses fondations et enfoncé ses racines dans la vie individuelle et sociale. Et notre rôle, et notre fonction, à ce degré primaire qui conditionne les constructions ultérieures, ce sera justement d'agir, d’éprouver, de comparer, d’essayer, d’ajuster ; d’essayer et d’ajuster non seulement des matériaux bruts ou des pièces plus ou moins usinées, mais des éléments de création et de vie.

Cette philosophie ne nous est point personnelle. Elle est celle de tous les sages dont nous pourrions invoquer tes témoignages. Et ce n’est peut-être bien que la technique qui bifurque, justifiée à posteriori par tous ceux qui, directement ou indirectement, en tirent avantage.

Mais pour forger, il faut au forgeron non point de la salive et de la logique abstraite, mais une enclume, des marteaux, des tenailles et du feu. Et il faut savoir les manier, ce qui est tout aussi délicat que de manier des principes et des hypothèses.

Si, à cette bifurcation, nous voulons substituer à l’Ecole du verbiage, l’Ecole du travail, si nous voulons apprendre à forger en forgeant, il nous faut rechercher, créer et fabriquer les outils de travail à la mesure de nos besoins et de nos possibilités ; il nous faut apprendre ou réapprendre à nous en servir dans les multiples incidences des vies qui nous sont confiées. Et nous n’oublierons point la grande chaleur et l'illumination du foyer à entretenir et à activer parce qu’il rend malléable tout métal et donne aux objets la forme éminente que l’homme a modelée.

Car ni la pensée, ni le sentiment, ni l’exigence sociale, ni la logique, ni l’art ne seront absents de ce chantier généreux où, en forgeant, se prépareront les forgerons conscients de l’avenir.

Transformer, techniquement, l’Ecole de la salive et de l’explication, en intelligent et souple chantier de travail, voilà la besogne urgente des éducateurs.