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Les conditions d’amélioration dn rendement scolaire II

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Novembre 1956

Pour le prochain congrès de Bordeaux

II

Les conditions d’amélioration du rendement scolaire

Si nous voulons discuter utilement du rendement scolaire, ii faut que nous soyons d'accord, à l’origine, sur la qualité du produit désiré. Cette notion est nécessairement, primordiale et la première Commission devra en discuter longuement avant le Congrès dans les Groupes.

Les conditions de semis, les engrais, l'humidité et les façons culturales ne seront pas les mêmes selon que nous voulons produire dans notre champ de la paille ou du grain. Nos soucis, nos outils et nos méthodes différeront en classe selon que nous voulons seulement enseigner des techniques — la paille du blé — on former l'homme et le citoyen — le grain qui nourrira puis lèvera.

Nous avons Tracé les grandes lignes de ce que nous croyons devoir être le programme de rendement de l'Ecole Moderne.

Il nous faut maintenant, en fonction de ce rendement, aborder l’étude de la deuxième question : les conditions d’amélioration de ce rendement.

Lorsque le Directeur de l'Usine veut améliorer le rendement de sa chaîne, il ne part jamais de considérations à priori, mais il s'applique à résoudre le problème, objectivement, techniquement, méthodiquement, sans négliger ni même sous-estimer un quelconque des éléments.

a) Il lui faut la matière première, répondant parfaitement à l'article qu'il veut produire. Il sait, par expérience, qu’une matière première défectueuse ne peut que susciter des malfaçons, des retards dans la production, des accidents, donc un prix de revient plus élevé, et en définitive le mécontentement des clients qui n’ont pas le produit parfait souhaité.

On serait étonné — et cette constatation devrait, nous être un enseignement — des soins permanents que les chefs d’entreprise portent à la matière première qu'ils travaillent. Ils préfèrent parfois suspendre leur production que d’usiner des matériaux impropres aux opérations qu'on devra leur faire subir.

b) Autre souci primordial : les locaux :

L'industriel a fait ou fait faire les études sur les outils et les machines dont il aura besoin. Il peut en déterminer l’importance selon le chiffre d'affaires qu’il se propose d'atteindre et les capitaux dont il dispose. Tout cela déterminé, il recherche un local convenable permettant l’installation rationnelle des machines et l’organisation méthodique du travail.

Tant qu'il ne trouve pas de local convenable, il ne commande pas son matériel. Il ne commettra jamais l'hérésie technique de s’installer à la hâte dans des constructions où ne seront remplies aucune des conditions indispensables d’une bonne activité. Il sait que le manque de place, la mauvaise disposition de l’installation, l’entassement des machines et des ouvriers, un mauvais éclairage, le froid excessif et la chaleur anormale influent directement d'une façon décisive sur le rendement, et sont causes d’insuffisances et d'échecs.

Et, dans la pratique, les installations rationnelles récentes se distinguent toujours des vieilles entreprises par ce souci majeur de prévoir des locaux facteurs d’installations favorables au travail productif.

c) Quand il a le local, l'industriel achète les machines, les plus perfectionnées et les plus adéquates au travail qu’il veut réaliser.

Entre deux machines, il choisira toujours celle qui produit le plus rapidement et aux moindres frais, le meilleur article.

d) En même temps que des machines, l'industriel se préoccupe du personnel de direction, de maîtrise ou subalterne qu’il aura à employer. Il soigne leur spécialisation, il forme, si nécessaire, les spécialistes indispensables, il tend à éliminer les tâcherons interchangeables dont la machine fait bien souvent l’économie, mais ne craint pas d'accorder des avantages substantiels à tous les employés, à quelque échelon qu’ils soient, qui savent apporter, eux aussi, la part du maître et tirer des matériaux et des machines dans les locaux adéquats, le maximum de profit.

e) Mais le même industriel ne se contente pas de produire dans les meilleures conditions. Il veut assurer à ses articles le maximum de vente et, à cet effet, il est obligé :

— de ce tenir au courant de toutes les entreprises et de toutes les techniques connexes qui sont susceptibles d’influer en bien, mais souvent en mal aussi, sur son travail :

— de se préoccuper des articles qu'il livre au marché et qu’il doit suivre jusque chez l’usager.

f) Il ne pense d’ailleurs pas que les conditions optimum ainsi réalisées puissent être éternellement valables et qu’il suffise de faire tourner les machines.

Il sait par expérience que la vie moderne évolue à un rythme accéléré, que, d’une part, les besoins des hommes sont mobiles et capricieux et que, d’autre part, les inventions nouvelles sont susceptibles de rompre à tout instant l’équilibre technique et commercial auquel il s’était appliqué d’atteindre.

Alors le chef d’entreprise reste aux aguets, améliorant sans cesse machines et installations, profitant des réalisations nouvelles pour produire à chaque moment l’article désiré par la clientèle et en évitant comme le pire danger le décalage qui condamne irrémédiablement les plus belles réalisations.

***

Nous allons tâcher d’être de bons chefs d’entreprises, soucieux du rendement optimum tel que nous l’avons prévu et défini, et bien décidés à dépasser comme désuètes et dangereuses les considérations particulières qui voudraient faire croire que l’entreprise Education est régie selon des normes intellectuelles et sociales différentes de celles que nous venons de rechercher.

Nous serons, là aussi, impitoyablement objectifs et, rationnels.

***

La qualité des matériaux : elle peut nous valoir à elle seule un rapport spécial de la plus haute importance,

Nous aurons à dénoncer d’abord le sophisme courant dont les parents eux-mêmes sont souvent les victimes. « L’intelligence, nous dira-t-on, n’est pas unee question de classe, ni de santé ; de bonnes méthodes sont valables pour tous ; la, qualité du matériau apparaît ici comme secondaire. »

Cela est faux, et nous devons, nous, éducateurs, apporter des exemples nombreux montrant au contraire, lumineusement ;

— que l’enfant malingre, mal alimenté, dans un milieu qui ne lui est pas propice, est handicapé à l’Ecole et, plus tard, dans la vie ;

— que le sommeil, le repos, les conditions de logement se répercutent sur l'aptitude à profiter de notre enseignement :

— que la santé est également primordiale, la santé physiologique et aussi la santé psychique et morale.

A tel point que, tout comme l’industriel, nous augmentons automatiquement le rendement de notre école, nous nous évitons des déboires et des malentendus en améliorant la qualité du matériau enfant qu’on nous livre.

Il nous faudra étudier de très près les conditions de cette amélioration :

— condition des parents, salaires et vie normaux ;

— Logement ;

— Alimentation ;

— Soins ;

— repos ;

— Formation affective, familiale, sociale, coopérative.

Des revendications très nettes devraient clore ce rapport, susceptibles de poser d’une façon claire le problème devant :

— les éducateurs, qui ne s’en rendent pas toujours compte ;

— les parents, qui l’ignorent davantage encore ;

— les pouvoirs publics qui, comme toute bureaucratie, sont insensibles à ces questions de rendement et sont hostiles à tout changement des normes de travail.

Les locaux :

On croit encore trop qu’un bon instituteur, eu possession d'une bonne méthode peut enseigner à n’importe quel nombre d'enfants, dans n’importe quels locaux.

Si les parents et les éducateurs étaient un tant soit peu conscients de l’interdépendance dont se préoccupe, en premier lieu, l’industriel, ils ne toléreraient pas l’indigence, pour ne pas dire plus, où tant d’écoles sont condamnées aujourd’hui à fonctionner.

Il nous faut là aussi, par des exemples, qui ne manquent pas, hélas ! populariser cette notion, familière aux industriels, qu’aucun travail rentable ne peut être effectué dans des locaux qui ne permettent ni l'installation du matériel et des outils, ni le travail effectif des enfants, ni même la santé des élèves et des maîtres.

Les normes, au-dessous desquelles les locaux ne sauraient être occupés, seront définies objectivement, après enquête dans les milieux autorisés.

Nous avions, à Cannes, lui grand dépôt d’éditions dans une maison qui se lézarde et que les services municipaux ont jugé inhabitable, On a évacué les locataires, et on nous a mis en demeure, nous aussi, de nous installer ailleurs.

Le danger physiologique, moral et social est aussi grand, il est aussi imminent pour une large proportion des locaux scolaires. Il faut les faire évacuer et, pour cela, construire d’urgence les locaux nécessaires.

Problème de budget, problème de gouvernement. Mais l’Education tout entière n’est-elle pas problème de budget et de gouvernement ? On résoudra ces problèmes dans la mesure où les usagers eux-mêmes, parents et éducateurs, l’exigeront.

Le travail que nous ferons devra préparer des solutions radicales sans lesquelles, il ne faudra jamais nous lasser de le dire, il sera toujours vain et trompeur de parler de réforme scolaire et d’avenir culturel démocratique.

3° Dans ces locaux, il nous faut des outils, des machines, le matériel de travail dont nous aurons à faire l'inventaire très précis, selon 1es classes et les degrés.

Et c’est même, comme pour l’industriel, en fonction de l'équipement qui sera jugé indispensable que devront être calculées les normes de construction et d'organisation des locaux scolaires.

Et nous aurons à populariser ensuite cette réalité :

Pour que enfants et maîtres puissent travailler normalement, avec un rendement optimum, il faut tel et tel outillage et équipement. En conséquence, les locaux doivent nécessairement présenter les normes que nous aurons jugées indispensables.

4° L'Ecole travaille, non pas du matériau inerte, mais de la matière vivante que nous ne pourrons jamais confier à une machine, si parfaite soit-elle.

La part du maître restera toujours, chez nous, prépondérante.

Raison de plus pour accorder à la préparation des maîtres, en fonction des nécessités nouvelles, le maximum d’attention.

Cette préoccupation inclut les questions si brûlantes :

— de traitement suffisant pour attirer l'élite de maîtrise ;

— de logement convenable pour parvenir à un maximum de stabilisation dans la fonction ;

— de santé, fonction elle-même des conditions de travail dont nous demandons la reconsidération urgente ;

— de formation professionnelle méthodique et non empirique, menée techniquement et pratiquement, non seulement chez les jeunes, dans les EN et dans les stages — mais également avec les instituteurs qui auront à s'adapter à des normes nouvelles de travail ;

— A cette occasion devra être posée la question de la recherche coopérative des instituteurs eux-mêmes, des expositions, des classes expérimentales, de l'ICEM et de son école expérimentale : l’École Freinet.

Eviter le décalage de l'Ecole et, pour cela, faire disparaître l’isolement systématique que les règlements eux-mêmes prévoyaient pour notre fonction.

L’Ecole n’est qu'un élément, de la formation el de la culture. Nous devons la replacer dans son cadre normal : la vie.

6° Nous resterons, nous aussi, aux aguets, en évitant la cristallisation de nos efforts et en menant en permanence la besogne d’adaptation que nécessite le monde nouveau de notre époque.

La question, ou les questions, à débattre au sein de cette commission sont on le voit, profondes et vastes, comme la vie. Elles débordent évidemment nos techniques qui y sont incluses et qui nous enseignent à regarder en face les situations, si difficiles soient-elles.

Et qu'on ne nous dise pas que nous demandons trop pour l’Ecole et pour notre fonction éducatrice, que nul gouvernement ne nous accordera les locaux et l’équipement dont nous disons l’urgence, que la formation du personnel pour le travail nouveau est une entreprise formidable dont nous ne verrons pas même l'aube.

Il est toujours utile de poser les problèmes avec lucidité et bon sens. Instituteurs et parents sont plus sensibles qu'on ne croit à ces qualités majeures de notre entreprise.

Nous avons à défendre ce qu'il y a de meilleur dans les enfants qui nous sont confiés : leur intelligence, leur allant, leur désir de créer et de vivre. Perdons notre habitude néfaste de quémander une petite aumône au lieu de revendiquer le droit évident de la fonction enseignante,

D’autant plus que ce que nous demandons n'est nullement hypothétique. Les entreprises privées, à grand renfort d’explosifs el de bulldozers, déplacent des montagnes, ferment des vallées, dévient les rivières, installent des ateliers longs de plusieurs kilomètres, produisent des machines merveilleuses pour lesquelles on ne lésine sur aucun frais d'installation, pourvu que le rendement justifie l’audace de nos constructions modernes.

Si nous parvenons à persuader parents, éducateurs et pouvoirs publics que le rendement de l’Ecole peut et doit être décuplé pour le grand bénéfice de notre organisation sociale, alors nos plans seraient susceptibles de devenir réalité.

Nous, qui pouvons mesurer les progrès réalisés dans ce domaine depuis quelque trente ans, pouvons assurer que notre entreprise vaut de mobiliser tous ceux qui ont espoir dans la valeur et la portée de l'Ecole laïque française.