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DITS DE MATHIEU - Evitez l'épreuve de force

Dans :  Techniques pédagogiques › organisation de la classe › 
Janvier 1956

L’éducation scolaire a toujours été une épreuve de force.

On dit que les gendarmes voient un délinquant en puissance dans toute personne qu’ils approchent. Les pédagogues voient d'abord en l’enfant l’ennemi qui les dominera s’ils ne le dominent.

Et ma foi, comme nous avons tous été formés à cette épreuve de force, nous la supposons naturelle et inévitable. D'ailleurs, n'est-elle pas officielle, et les règlements qui excluent les châtiments corporels n’autorisent-ils pas une variété infinie de pratiques disciplinaires dont le moins qu'on puisse dire est qu'elles ne rehaussent pas notre prestige et que nous n'en sommes pas fiers.

Nous ne prétendrons pas que la discipline ne soit pas une nécessité, surtout dans les classes surchargées de plus en plus nombreuses, hélas ! Nous posons seulement la question : l’épreuve de force en éducation est- elle une solution valable, ou même seulement acceptable? Ou bien est- elle regrettable, donc à remplacer le plus tôt possible ?...

Et par quelle discipline ?

Sachez bien d'abord que, si vous engagez l'épreuve de force avec les enfants, vous avez perdu d'avance. Vous sauverez la face et obtiendrez le silence et l'obéissance, à condition encore de rester sans cesse sur vos gardes pour éviter les pieds de nez et les crocs-en-jambe. En profondeur, vous n'aurez fait aucun travail constructif parce que, au mieux, vous aurez seulement donné des habitudes de passivité et de servitude, toujours doublées d’hypocrisie et de rancœur. L'enfant y échappe heureusement, par toutes les ressources de sa vie débordante et par son habileté à franchir les obstacles qu’il rencontre sur sa route.

Je n'exagère pas. Vous n'avez qu'à puiser, tous, comme je le fais, dans les souvenirs loyaux et sincères de l’Ecole que vous avez subie. Et vous étiez les têtes de classe !

Non, l'épreuve de force ne saurait être qu'un pis-aller. Et il est à plaindre, l'éducateur qui est condamné à y faire face pendant les quarante ans de sa carrière.

Nous entrevoyons, heureusement, une solution : la discipline coopérative du travail.

Avez-vous remarqué combien vos enfants, en famille ou à l'Ecole, sont sages et faciles à supporter quand ils sont occupés, en totalité, à une activité qui les passionne ? Le problème de la discipline ne se pose plus : il suffit d’organiser le travail enthousiasmant.

Regardez des enfants composer ou imprimer leur texte journalier, décorer leur classe, faire de la poterie, terminer leur plan de travail, effectuer des découpages ou des montages électriques. Vous sentez bien alors comment et combien la notion de la discipline change de sens. Il y aura peut-être encore du désordre excessif, trop de bruit, de petites batailles. Elles ont toujours une cause technique ; l'appareil ne fonctionne pas, ou bien on a mis trop d'encre, il manque telle et telle pièce. Plus souvent encore, mal entraînés à notre nouveau rôle d'aide technique, nous manquons de fiches de travail et de modes d'emploi. Nous assistons au désordre accidentel de l'atelier qui n'est pas encore suffisamment organisé. Mais les réussites dont nous nous enorgueillissons nous prouvent que, dans nos classes, l'épreuve de force est désormais dépassée. Nous accédons à la discipline démocratique, celle qui prépare l'enfant à forger la société démocratique qui sera ce qu'il la fera.