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Octobre 1955

Le C.A. et les camarades réunis à Vence à la mi- septembre ont décidé que les travaux du prochain congrès seraient axés sur « le rendement ». Ils m’ont demandé de délimiter sans tarder le problème, afin que les points essentiels puissent, sous la responsabilité d’un rapporteur, être présentés sans tarder à la discussion des groupes. Ces discussions, dont l'Educateur donnera des échos le plus souvent possible, serviront à l’établissement de rapports qui seront publiés et étudiés au congrès.

Pendant longtemps, nos réunions annuelles ont été exclusivement consacrées à l’éclaircissement des problèmes qui nous étaient particuliers : nos techniques sont parvenues aujourd’hui à un niveau de maturité qui nous engage à élargir nos discussions à l’échelle de la pédagogie de notre époque. Nous allons nous y employer. Nous le ferons d’ailleurs non point théoriquement mais à la lumière de notre permanente expérience, aux divers cours et dans les divers milieux de notre enseignement.

Est-ce que ça rend ?

Un premier cap est en effet franchi.

On ne se contente plus de sourire ou de hausser les épaules à l’examen de nos outils et de nos techniques.

On envisage effectivement leur emploi mais une question vient alors à tous les esprits :

— Est-ce que ça rend ?

On admet déjà que nos méthodes soient particulièrement efficientes pour renseignement du français bien qu’on hésite à donner le pas à. l'exercice vivant, au lieu de compter exclusivement sur l’enseignement du vocabulaire et de la grammaire.

— Nos enfants sauront-ils répondre aux questions de dictée ? Et pour le calcul, comment faudra-t-il procéder ? Et pour l’Histoire et la Géographie ?

Et l’on se pose également les questions essentielles — qui sont les questions que se pose l’industriel qui achète une machine :

— Mais l’imprimerie ou le limographe ne font-ils pas perdre trop de temps ? Et l’installation actuelle de notre classe permettra-t-elle ce travail nouveau ? Et saurons-nous, nous-mêmes, nous y prendre ?

Nous trouvons ces raisons et ces soucis absolument naturels. Nos outils et nos techniques ne peuvent et ne doivent pénétrer dans notre enseignement que s’ils permettent un meilleur rendement.

D’ailleurs, ne nous y trompons pas : c’est toujours le rendement qui décide. La propagande ou la réclame peuvent, un certain moment, orienter et, dans une certaine mesure, forcer la main. Mais l’ouvrier, qu'il soit maçon, paysan ou éducateur, ne se nourrit pas de réclame. Il voit lui-même si « ça rend ». Le métier corrige toujours les erreurs de la réclame et le progrès se nourrit de solide et de définitif.

La mode est au rendement

La mode, d’ailleurs, est au rendement, qui est aujourd’hui chronométré, répertorié, enregistré par statistiques qui utilisent, parfois même, les nouvelles machines électroniques,

Si des machines, une installation, des conditions de travail permettent à une chaîne de sortir 100 autos par jour contre 80 à la chaîne précédente, le rendement est meilleur et les patrons sont satisfaits. Un terrain rapportait 20 hectos à l’ha. Avec de nouvelles façons culturales et des engrais « appropriés », il donne 30 hectos. Le rendement est meilleur. Les pratiques nouvelles seront recommandées.

Nous sommes donc d’accord sur la nécessité de tenir le plus grand compte du rendement.

Mais :

1° Le rendement n’est pas forcément un progrès. La mécanique qui améliore le rendement de la chaîne, brime et mécanise davantage les ouvriers ; l’engrais qu’on donne à la plante pour forcer la production peut être nuisible à la santé. Le meilleur rendement d’une méthode pour une technique séparée : l’orthographe, par exemple, ou le calcul, peut n’être pas souhaitable s’il est obtenu par un bachotage qui nuit à la qualité de l’esprit.

Le rendement ne peut donc se concevoir et se mesurer que dans le cadre d’une conception juste de la production souhaitée.

Pour ce qui concerne la pédagogie, il sera nécessaire de savoir ce qu’on doit acquérir, et pour quels buts. C’est, tout le problème de l’éducation qui est ainsi posé. Sujet immensément vaste, qu’il nous sera cependant difficile de comprimer, mais qu’il est impossible d’éluder.

Un premier thème général pourrait donc être :

Que devons-nous produire dans nos classes ? pour quels buts ?

II ne fait pas de doute que, pour vous promener et faire de la vitesse, vous n’achetez pas un tracteur. L’inverse est également juste. Dans l’un et l’autre cas, vous ne seriez pas satisfaits du rendement qui peut, pourtant, être excellent, en égard du but poursuivi.

2° L'augmentation du rendement est fonction des conditions qui le déterminent. Autrement dit : le rendement n’est qu’un résultat, un produit, qui ne peut, s’atteindre qu’en faisant varier les facteurs :

L’industriel qui veut améliorer le rendement de sa chaîne n’hésite pas à engager des frais très élevés pour l’étude des éléments qui agissent sur le rendement : matière première, élément humain, locaux, matériel, temps de travail, etc.

Une deuxième commission pourrait étudier les conditions d’amélioration du rendement des diverses méthodes pédagogiques : santé du matériau enfants, locaux, ameublement et matériel de travail, outils adaptés et perfectionnés, rythme et conditions du travail lui-même, organisation technique.

Il faudra que nous puissions établir, pour ainsi dire méthodiquement, que, comme dans l’industrie, l'insuffisance, dans un ou plusieurs de ces éléments, retentit sur le rythme de la production et que le rendement s’améliore par le perfectionnement méthodique des processus qui en sont la base.

3° Si nous connaissons les buts de notre enseignement, et en tenant compte des insuffisances techniques qui peuvent influer sur la production, nous pouvons envisager la mesure du rendement qui permet de déterminer les progrès réalisés, par comparaison avec ce qui existe.

La mesure, en ce domaine, est très délicate, car une partie du rendement, celui-là même qui est le plus Important, le rendement humain, sera toujours très difficile à mesurer. Par contre, la mesure des acquisitions techniques sera plus facilement abordable.

Il est nécessaire, cependant, d’étudier expérimentalement ces possibilités de rendement dans les diverses branches de notre activité d’éducateurs. Nous procéderons avec prudence, mais quelque chose doit être fait.

En effet, que nous le voulions ou non, la mesure existe déjà : ce sont les examens. Mais ils sont le type, justement, d'une fausse mesure qui a besoin d’être améliorée et modernisée.

Le Guilde International de Travail des Educateurs (GITE) étudie justement ces diverses possibilités de mesure. A nous de maintenir le plus possible les contacts pour que nous puissions faire avancer le problème.

Sauf suggestions ou critiques à intervenir, nous pourrions alors retenir les trois thèmes suivants, d’ailleurs très vastes :

1° Que devons-nous produire dans nos classes et pour quel but ?

2° Les conditions économiques, sociales, techniques, psychologiques et sociales du rendement.

3° La mesure du rendement.

Les camarades et les groupes qui s’offriraient pour prendre la responsabilité de rapporter sur l’un de ces trois points sont priés de nous écrire.