Journée stage établissement à Saint-Varent : démarrer en pédagogie Freinet au collège

Etaient présents à cette journée au collège :

- 20 enseignants composant cette petite équipe presque au complet

- la CPE et la Principale du collège

- trois intervenants Laetitia Conseillère pédagogique en élémentaire à mi-temps et tout de même en charge d'une classe de cycle 3 à temps partiel; Cathy, professeur de SVT au collège de Champdeniers où la pédagogie Freinet progresse depuis 2 ans et demie; Xavier professeur à l'ESPE de Poitiers et membre de l'ICEM.

 

Le petit collège de Saint Varent dans le Thouarsais avait formulé une demande de formation auprès du Rectorat pour permettre à 20 de ses enseignants de s'approprier le cas échéant des outils et méthodes de la "pédagogie Freinet et Montessori".

La demande a été transmise par la Principale du collège de Champdeniers à Xavier Lerner, qui a sollicité en premier Catherine Mazurie, responsable ICEM de la liste Freinet second degré et professeur de Français, en vue d'une intervention coopérative ICEM. Catherine n'étant pas disponible, l'intervention a été prise en charge par Cathy, qui témoignait de l'évolution de ses pratiques dans le cadre de l'expérience du collège de Champdeniers, Laetitia et Xavier.

Cathy pouvait également proposer un bilan détaillé des modifications de pratiques et d'organisation, notamment de l'emploi du temps dans un collège introduisant à titre expérimental des éléments de pédagogie Freinet dans une filière "sixième autrement, cinquième autrement, quatrième autrement"

 

La commande portait sur les outils et la pratique principalement, les enseignants s'étant déjà documentés sur la pédagogie Freinet. Cependant, la dernière demi-heure de la journée a viré sur l'esprit et les finalités de la pédagogie Freinet et de l'enseignement en France, et sur la théorie de l'évaluation.

 

Les intervenants ont annoncé qu'ils exposeraient fort peu sur les méthodes Montessori, étant donné son caractère privé, la protection juridique de ses outils davantage centrés sur l'école primaire; n'ont été évoqués, brièvement, que des moyens spécifiques d'aborder les décimaux et certains problèmes de lecture écriture et orthographe avec des enfants en difficulté dans ces domaines.

Cathy a exposé quelques aspects du programme "enseigner autrement" en cours à Champdeniers, non sans succès depuis deux ans et demi:

- 15 minutes de quoi de neuf en chaque début de journée

- Conseil hebdomadaire de vie de classe précédé d'une minute de silence et comportant un tour d'humeur, un bilan des activités qui ont bien marché et les autres...

- aménagements du temps et de l'espace classe en vue de favoriser l'autonomie des élèves en leur confiant des responsabilités: la classe reste à l'entière disposition des élèves, un temps, sous réserve du respect de règles débattues en Conseil.

- aménagements de l'emploi du temps, réajusté chaque semaine pour permettre un tiers temps de travail en projets interdisciplinaires ou non; la Principale et la CPE interviennent dans l'équipe des professeurs et auprès des élèves pour ces réajustements[1].

- pas de professeur principal mais chaque professeur a six élèves en tutorat auxquels il "doit" une heure hebdomadaire de rendez-vous, qui figure dans son emploi du temps.

- l'emploi du temps des enseignants est annualisé.

- l'emploi du temps des élèves prévoit quelques créneaux pour du travail libre, ce qui n'exclut pas des devoirs à la maison.

- les élèves n'ont pas de notes mais des brevets de compétences.

Cathy et Xavier rapportent que la CPE s'est fortement investie auprès des élèves de la "quatrième autrement" par exemple, mais que passé un trimestre de responsabilisation, elle a pu au contraire se tourner vers les élèves des autres classes, la violence ayant fortement reculé dans le groupe "autrement".

Cathy expose le recrutement de la classe "autrement".

Au départ, le recrutement s'est effectué de manière tout à fait hétérogène (trois tiers de niveaux de notes) mais sur intervention de la CPE espérant une sorte de prise en charge comportementale, on a introduit dans les classes "autrement" deux élèves les plus perturbés et perturbateurs du collège. Or ce n'était pas la finalité de l'expérience qui devait surtout développer l'autonomie de travail et en particulier l'autonomie documentaire des élèves, augmenter leurs capacités à l'oral, donner du sens au travail scolaire.

- Cathy signale qu'il n'y a pas de "troisième autrement": après la répartition des élèves de la 4A dans les autres classes, on constate que presque tous les délégués en sont issus.

Plus de 30 parents avaient postulé à chaque fois pour 24 places[2]. On avait ainsi une certaine marge de choix. Il était entendu avec les parents que les élèves n'auraient aucune note chiffrée de toute l'année, mais seulement une évaluation par compétences, les enseignants se faisant leur idée des lacunes et faiblesses temporaires des élèves, et une évaluation bilan par les élèves eux-mêmes en autocorrection.

Il serait intéressant de recruter en priorité des élèves pas spécialement grands parleurs ni perturbateurs mais stressés par les notes et risquant de perdre de vue les finalités du travail scolaire.

Xavier présente les principaux outils de la pédagogie Freinet en insistant sur certains que le Décret sur le socle permet d'introduire sans trop de critiques institutionnelles: le débat ouvert sur les valeurs, les commentaires d'actualités reliés à des données scientifiques, économiques, historiques, civiques, la construction d'exposés utilisant des extraits de documentaires, le marché des compétences, inconnu jusqu'alors de l'équipe.

Laetitia présente ensuite ce qui, dans sa pratique de cycle 3, lui semble personnellement le plus adapté: le tutorat, les ceintures de compétences, les travaux de groupe, le plan de travail hebdomadaire signé par l'enfant et les parents, et renvoyant explicitement à des compétences du programme et du socle.

On débat du "cahier de vie de la classe", qui selon Xavier ne devrait jamais sortir de l'établissement et n'aurait rien à faire dans les familles.

Cathy revient sur le décloisonnement dans la cinquième "autrement": après identification de besoins spécifiques d'environ la moitié des élèves, l'autre moitié est prise en charge par un collègue de maths qui aborde une nouvelle notion. Ce genre de pratiques est souvent mise en accusation de creuser les écarts alors qu'en fait il s'agit que tout le monde progresse et c'est bien ce qui se passe, selon Cathy et Laetitia.

 

Xavier propose après la pause déjeuner des idées de séances interdisciplinaires englobant un moment de débat ouvert sur images fixes ou animées, un moment d'apports magistraux, un temps de recherche documentaire et d'étude de textes, des exposés et un débat final sur un total de une heure cinquante. L'alternance entre différentes phases parmi lesquelles l'élève est parfois autonome et actif, permettrait de renforcer significativement la mémorisation des contenus par les élèves. Des tests ont pu être effectués à Champdeniers un mois après ce genre de séance et se sont avérés très positifs, sauf pour quatre élèves.

Xavier insiste sur l'importance de finaliser le travail des élèves en enregistrant leurs exposés et leurs débats de manière à en faire profiter d'autres classes du collège, actuelles et futures et constituer un bibliothèque et une vidéothèque de bulletins de travails sur des thèmes comme la laïcité, l'esclavage, la révolte d'Haïti, les grandes découvertes, des défis sciences recoupant des concepts précis.

 

Le commentaire d'actualités introduit par Freinet en son temps peut aujourd'hui prendre des formes nouvelles: il s'agit sur des extraits de documentaires libres sur le Net, de susciter l'intérêt des élèves et de relier l'actualité à des thèmes historiques, culturels ou scientifiques. Les collègues d'Allemand et d'Anglais pourraient exploiter BBC news et Spiegel TV en coopération avec les collègues concernés par le thème du commentaire (biotechnologies, histoire de l'Europe, génocides, bouclier magnétique de la Terre, publicités mensongères). Après les apports des professeurs et les discussions des élèves, il reste à composer éventuellement un petit exposé résumant ce qu'on a appris. Cette pratique est également utile pour développer l'esprit critique et l'aptitude à différencier le possible et le virtuel du réel.

 

Les intervenants proposent en fin de journée à l'équipe des professeurs d'échanger leurs rêves de travail interdisciplinaire: une expérience d'introduction de PF en secondaire nécessite des ponts entre disciplines un tiers d'activités de projets environ.

Un tour de table prometteur permet d'imaginer des pistes de travail entre svt et maths, Anglais et Histoire, EPS et Français, Anglais, EPS et Musique...

Un collègue fait remarquer cependant que le travail interdisciplinaire n'est pas possible dans l'indifférence et nécessite une sympathie mutuelle entre collègues. Cathy répond qu'on demande précisément aux élèves de surmonter ce point de vue pour se découvrir mutuellement en coopérant.

 

En fin de journée, un collègue de Lettres déclare "En tant que syndicaliste, je m'oppose à toute expérience comportant l'annualisation des services et je me méfie de toute expérience qui conduirait à charger encore notre barque trop chargée. Mais à titre personnel je suis tenté par cette expérience-là."

La discussion s'oriente alors sur le sens de notre action d'enseignant et le problème de la mesure de la performance des élèves et des enseignants, voire même avec le PISA de nos systèmes éducatifs.

Les évaluations PISA sont-elles pertinentes? Quelles performances d'enseignants sont vraiment essentielles?

A quelles attentes institutionnelles ou autres correspondrait l'introduction de la pédagogie Freinet au collège?

On voit bien que les systèmes éducatifs et les établissements choisissent des évaluations qui dépendent d'une vision des finalités de l'enseignement. La pédagogie Freinet tend à développer le potentiel de vie et d'apprentissage de chaque élève en fonction de ses besoins de liberté et de son environnement. Il s'agit de le rendre curieux et autonome. Au contraire le système américain instauré en 2002 par la loi NCLB ne portait ne sur les fondamentaux et en même temps introduisait des évaluations nationales (AYP) totalement à côté des enseignements culturels et artistiques, de l'intelligence créative et de l'esprit critique et logique. Ainsi se développait une nouvelle génération d'élèves et de maîtres de l'enseignement public américain qui entamait - selon 70 pour cent des parents d'élèves - une véritable descente aux enfers: les élèves étaient jugés sur leur aptitude mécanique à déchiffrer des mots et résoudre des problèmes, le plus souvent par coeur sans réflexion. Le courant "Direct Instruction" triomphait en formant non plus des enseignants mais des répétiteurs en charge de suivre des manuels standard. On apprenait à lire en se dégoûtant à vie de la lecture....Mais la "performance" était là, mesurable. Les évaluations du Pisa récompensent le réalisme et la débrouillardise des élèves qui auraient appris à appliquer des connaissances basiques, simples et sûres. Et il ne faut pas oublier non plus la variable de satisfaction des parents, dont le rejet ou la participation influent sur nos résultats. Par exemple, si tous les parents exigent des notes de 0 à 20, on va y regarder à deux fois avant de passer outre et d'évaluer par compétences.

 

L'équipe entend démarrer une expérience au plus vite. Dès Mardi Xavier conduira bénévolement des débats ouverts à visée réflexive en 6ème, et une équipe se met en place dans une cinquième.

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