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Coopérations en éducation et formation

Dans :  Formation et recherche › 

 

L'éducation est actuellement un univers chaotique, au sein duquel se réalisent de multiples expérimentations, parmi lesquelles plusieurs affichent un rôle particulier pour la coopération. Mais la polysémie foisonnante du terme ne permet pas de bien situer ce qu'on appelle coopération dans chaque cas, et cela crée des difficultés pour faire des bilans explicites de certaines innovations en la matière.
A partir de quelques expériences nous avons cherché à préciser les processus et procédures mis en jeu dans ces cas.
 
EDUCATION ET INSTITUTIONS
On parle souvent d'autoformation, rarement d’auto-éducation. C'est que l'éducation est généralement clairement instituée, sous la responsabilité de personnes précisées par la coutume ou la loi, parents par exemple, qui en éduquent d'autres. Or coopérer signifie réaliser une œuvre à plusieurs personnes égales en droits et devoirs : donc pas de coopération en éducation !? La réalité est plus complexe. Les éducateurs ont certaines obligations et certains pouvoirs, mais pas tous ! Ils sont loin de pouvoir disposer du cerveau et du corps des éducables.
Leurs interventions (parmi une foule d'autres facteurs) se limitent à utiliser, plus ou moins bien, divers processus naturels, dans la perspective de finalités pas toujours explicites, avec des notions de causalité-effectivité assez floues. Il s'avère que les éduqués ont aussi des pouvoirs, plus ou moins conscients, sur leur propre éducation - et celle de leurs condisciples- plus importants que certains ne le pensent. C'est ainsi que les sciences humaines et sociales réintroduisent la possibilité de coopération en éducation ! Mais en sortant du seul cadre juridique, et en considérant le contexte global de pouvoirs. 
On peut alors observer trois types de coopération entre élèves, et diverses façons pour l'accompagnateur de s'y insérer.
 
COOPERER PAR PETITS GROUPES COOPTES
Se coopter à deux, ou mieux à cinq, pour réaliser une œuvre (exposé, réception d'un(e) invité(e), préparation d'une sortie ou d'un voyage, etc.), c'est une coopération ponctuelle, avec un objectif bien précisé. Cela se réalise parfois spontanément entre élèves, mais cela se pratique de plus en plus à l’initiative de formateurs, en classes primaires, comme en licence, ou surtout en stages spécialisés.
Les avantages sont ceux de ce qu'on nomme maintenant l'intelligence partagée, où chacun apporte ses savoirs et compétences pour la réalisation de l'objectif commun. Tous ceux qui ont participé à de tels groupes insistent sur le fait qu'ils y ont beaucoup appris des autres, surtout pour ce qu'ils n'avaient pas compris lors des cours scolaires. Mais cela suppose que l'objectif soit clair, et qu'il n'y ait pas d'incompatibilité entre deux personnes, que la cooptation soit réelle.
Pour l'accompagnateur plusieurs attitudes sont possibles. Il peut utiliser une partie de son temps de présence pour des travaux en groupe où les élèves d'un groupe peuvent faire appel à lui comme personne-ressource pendant un temps court. Pour l'évaluation, certains évaluent les travaux de groupe sous des formes différentes des validations des acquis individuels. Nous retrouverons les difficultés que signalent des enseignants dans l'analyse des phénomènes de groupe ci-dessous. On peut constater qu'il est très rare qu'un élève vive en parasite global d'un petit groupe, comme certains au sein d'une classe magistrale.
 
COOPERER DANS UN GROUPE INSTITUE (CLASSE)
Dans ce cas il existe un responsable, chargé d'une mission, précisée par contrat et par la loi, recevant pour cela des compensations financières de diverses natures. Il existe un cadre juridique qui n'est pas négociable par les apprentis. Il n'est donc pas question d'autogestion. Mais, comme tout ce qui est complexe, la tâche de ce responsable peut être mise en œuvre de multiples façons. C'est la notion d'autorité, qui préoccupe tous les articles qu'on peut lire actuellement.
L'autorité regroupe des pouvoirs, des fonctions et des compétences. Les pouvoirs ne peuvent être utilisés qu'exceptionnellement et ne peuvent concerner que des individus. La fonction suppose qu'on la remplit effectivement : pour des éducateurs professionnels, c'est d'aider tous les élèves à progresser dans leurs apprentissages. L'évaluation est formative et constate ces progrès. Les classements ne sont qu'une façon, ponctuelle, de motiver des élèves, l'essentiel est qu'ils se sentent tous encouragés et non humiliés. Mais surtout la compétence concerne principalement la capacité à animer un groupe d'apprentissage, qui n'est pas une agglomération de préceptorats. C'est là où interviennent trois types de coopération.
Celle entre chaque élève et la personne-ressource définissant un contrat d'objectif(s) négocié entre l'élève et l'accompagnateur, et précisant les apports de celui-ci, ce que certains nomment « plan de travail » pour une durée déterminée.
Celle entre l'ensemble des élèves réunis en coopérative de vie de classe, réglant l'emploi du temps et des outils, les procédures de règlement des conflits, les coopérations et entraides éventuelles, et le fonctionnement du conseil coopératif.
Et, enfin, celle entre l'accompagnateur et le groupe-classe, pour constituer celui-ci, valider les mesures qui relèvent de sa fonction, bref, précisant le contrat d'accompagnement pour la bonne marche des apprentissages. Cela suppose que l'accompagnateur sache se servir du groupe pour motiver tous les élèves pour les apprentissages proposés.
 
COOPERER DANS UN ETABLISSEMENT SCOLAIRE
Il faut déjà que les salariés coopèrent entre eux, pour un projet d'établissement éventuellement. Peuvent y être associés des représentants des parents et des élèves, et des personnes cooptées. Les problèmes sont ceux de toute coopérative d'adultes, avec, en plus, les conditions de choix des représentants associés. Pour les apprentis cela représente un apprentissage pour élire leurs représentants et contrôler leur travail ! Personnellement, j'ai vu très peu d'établissements fonctionner ainsi de façon satisfaisante pour tous les coopérateurs. Le problème central est que peu de gens ont appris à coopérer, et encore moins à former des coopérateurs.
J'ai participé à l'animation de telles formations dans le cadre de l'éducation nationale, de diverses associations, de coopératives agricoles, ouvrières ou bancaires. Malgré le nombre important de coopératives en France, la majorité des coopérateurs sont peu formés, peu informés, et « font confiance » à des dirigeants souvent élus à vie, avec un culte de la personnalité marqué, reconnaissant à l'égard de ceux qui se dévouent... et monopolisent en fait l'information par leur participation continue aux organes de décision.
Contrairement à de nombreux autres pays, on peut affirmer que la France a peu de culture coopérative, malgré de multiples tentatives (comme les Collèges Coopératifs). Cela est sans doute dû à la tradition de notre enseignement supérieur pour une culture gratuite, loin des soucis de la gestion (à l'exception, bien sûr de prestigieuses écoles spécialisées). Mais surtout à la primauté donnée aux classements et à la compétition individualiste.
 
APPRENDRE A COOPERER
 
UN INDIVIDU MAITRISANT LUCIDEMENT SES SOLIDARITES
Depuis toujours les humains ont été des individus sociaux, gérant leurs solidarités vitales. Et la société a toujours créé des solidarités imposées (comme le service militaire pendant une période). Mais les individus ont toujours pu partir à l'aventure, à leurs risques, et rompre les solidarités qu'ils avaient eues jusque-là. Pour chaque individu il existe toujours une tension entre les avantages et inconvénients des solidarités, subies ou choisies.
Cette tension a suscité de nombreux textes littéraires ou édifiants (comme les mythes, paraboles ou contes de fées). Mais, aujourd'hui, les sciences humaines et sociales nous proposent des modélisations et des techniques (dont certaines très anciennes mais revisitées) qui nous permettent d'élucider, analyser, choisir ou accepter, et maitriser, la majorité de nos solidarités objectives ou volontairement choisies (en sachant néanmoins que toute prévision des conséquences d'une décision garde une part d’aléas !). Quelle place spécifique peuvent occuper les coopérations pour ce faire ? Et qu'est-ce précisément qu'une solidarité ?
 
QUELQUES TYPES DE SOLIDARITES ET LEURS GESTIONS
Les premières relèvent de la naissance et ont été longtemps gérées hors coopération ou mutualisation. De nos jours les enfants restent encore plus longtemps dépendants des parents, mais ceux-ci sont aidés par la société et peuvent choisir des assurances, éventuellement mutuelles, pour garantir les études de leurs enfants. Néanmoins, la relation parents-enfants reste dissymétrique. Mais, de plus en plus les enfants sont associés aux décisions les concernant ...et peuvent être ainsi initiés à la coopération par leurs éducateurs.
Les autres solidarités concernent généralement des risques à collectiviser, des actions collectives à organiser, pour des avantages (catégoriels ou généraux), des loisirs à partager ou consommer, et la vie quotidienne à faciliter. Plusieurs procédures relationnelles peuvent être utilisées pour ce faire. La loi en prévoit certaines, d'autres sont systématiquement cadrées par des associations, d'autres enfin peuvent prendre diverses formes de coopération. Prenons quelques exemples. Souveraineté et démocratie, mutuelles, coopératives diverses et sociétés par actions, associations, attitudes coopératives.
 
DEMOCRATIE ET COOPERATION
Il s'agit là de la solidarité politique (ou étatique), où la souveraineté est dévolue au peuple, et se manifeste, entre autres, par des lois. Chaque citoyen (et non tous les habitants) dispose d'une voix pour élire ses représentants selon divers modes de scrutin. Les décisions sont prises à une majorité (50% ou plus). Les programmes (ou projets) sont élaborés par des candidats soutenus par des partis. Toutes les analyses constatent des dysfonctionnements, liés à l'insuffisance de l'information, et de la formation aux choix et aux décisions des votants (et de nombreux candidats), à la constitution d'une sorte de caste des élus et au cumul de mandats. Cependant la dynamique démocratique et ses procédures ne relèvent pas de la coopération, mais surtout de la compétition des programmes et des candidats. L’œuvre est celle de la majorité (son bilan), non véritablement celle de tout le collectif.
 
COOPERATIVES ET COOPERATIONS
Qu'y-a-t-il de coopératif dans les coopératives reconnues par la loi ? La liberté d'y entrer et d'en sortir, et le vote par sociétaire et non par action. Mais il y a un patron collectif et des salariés dans cette économie sociale. Et chacun n'en tire pas le même profit. (un gros producteur de lait profite plus du regroupement coopératif pour le vendre qu'un petit producteur) et on reste dans une économie globale compétitive, qui nécessite des capitaux pour se moderniser. Enfin, il existe de grandes différences de compétences gestionnaires entre les coopérateurs et la décision reste majoritaire. Cependant on y cultive souvent un esprit coopératif et solidaire que nous retrouverons par la suite.
Il en est de même pour les associations déclarées, qui ont de plus en plus des salariés non adhérents, des votes par adhérents même si les cotisations diffèrent pour des raisons variées, et qui ont pour buts des services ou actions militantes.
Mais il reste de vraies possibilités de coopération entre individus ou entre associations pour des objectifs ponctuels, jusqu'à la réalisation d'un projet défini (ce qui peut durer longtemps !). Il s'agit alors d'union et non de solidarité objective.
 
L'ATTITUDE COOPERATIVE
Elle consiste à considérer l'autre (ou les autres) comme auteur, décidant de son projet et de ses investissements (en temps, en compétences, en capital, etc.),et s'associant par libre contrat avec d'autres, pour participer à la réalisation de ce qu'il n'aurait pas pu faire seul. Cela suppose donc de ne pas décider à sa place et de ne rien lui imposer... sauf le respect de son contrat, ce qui entrainerait la rupture de celui-ci.
Cela suppose qu'on soit soi-même capable de tenir ses engagements. On retrouve l'éducation à la décision, à l'analyse des conséquences de ses actes, et une maîtrise entretenue des phénomènes de causalité-effectivité. Bref, un humanisme fondée sur les sciences, en lien avec les exigences de la démocratie. On ne peut pas véritablement coopérer si l'on en est réduit à suivre un guide qui pense à sa place, et qu'on est, de fait, irresponsable.
Mais le terme de coopération est très souvent utilisé dans des sens proches, pour traiter d'attitudes, et surtout d'interventions relationnelles, qui présentent deux caractères, recherche de consensus efficace et absence d'agressivité. Ainsi on peut trouver des ouvrages avec coopération dans le titre et entraide dans les développements. Les processus et procédures sont sensiblement différents, par exemple, pour la courtoisie ou la convivialité.
Sans parler de la coopération pour créer l'intelligence collective ou partagée, qui représente une procédure spécifique, plus complexe, et fondamentale pour les apprentissages et la culture de la créativité.
 
CONVIVIALITE ET COOPERATIONS
Ainsi, dans la convivialité, il y a souvent une attitude unilatérale de facilitation de la vie d'autrui, comme aider une personne à traverser une rue. Dans le cas d'une convivialité de la classe cela peut être une attitude de respect des autres, même si, au départ, elle n'est pas réciproque. Par une structure comme un conseil de coopération, cela s'organise pour faciliter l'adoption de règles de conduite (pour éviter la gêne du bruit, par exemple), et éventuellement organiser la disposition des outils dans la classe, ou l'emploi du temps, etc.
Dans la vie quotidienne, cela peut rester une initiative personnelle comme proposer de modifier l'aération dans un car. Mais dans une convivialité qui dure, comme celle d'une classe, mieux vaut passer par un accord contractuel, avec un conseil de coopération pour le modifier éventuellement, et faciliter le règlement des conflits ou malentendus. Et même, comme cela se fait dans de nombreuses classes, transformer un risque de violence en source de coopération. Mais les débats télévisés nous montrent que, dans la pratique, on est encore loin d'une éducation à la simple convivialité !
 
                                                  Jean Roucaute mars 2014

 

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