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DITS DE MATHIEU - Laissez ici toute espérance

Février 1954

S’ils marchent sur les mains, et s’ils pensent que leur fonction est d’enseigner aux hommes une démarche qui leur est si peu naturelle, ce n’est pas qu’ils y voient une utilité directe. Ils n’ignorent pas que les hommes qu’ils auront ainsi formés n’en partiront pas moins sur leurs pieds pour soigner leurs bêtes ou faire leur marché. Mais il s’agit pour eux d’un rite particulier à « ceux de l’Olympe », comme celui qui veut que les juges s’affublent de leur toge désuète pour siéger et délibérer.

C’est un peu comme ces sectes de croyants qui parcourent pieds nus, ou même sur les genoux, les trajets consacrés. Bien sûr, ils avanceraient plus vite et plus sûrement s’ils marchaient tout simplement sur leurs pieds, mais ils n’en seraient point mortifiés.

Ils marchent sur leurs mains ; ils exigent que nous fassions comme eux, tout simplement pour nous soumettre à une épreuve. D’autres gagnaient le ciel à se traîner sur les genoux. Nous, nous risquons de gagner un parchemin à marcher sur nos mains.

Nous ne nions point la valeur possible de cet exercice en tant qu’épreuve. Il ne fait pas de doute que porter un cilice, jeûner longuement, suivre les pèlerins jusqu’à Saint-Jacques-de-Compostelle, marcher sur les genoux, ou avancer comme le prescrivent nos scoliastres les jambes en l’air, cela marque une personnalité, cela raidit la volonté. A condition que l’individu n’en meure pas, qu’il ne tombe pas en chemin, ou qu’il ne s’en trouve abêti à jamais.

Nous, de la base, nous commençons à nous inquiéter. Nous nous inclinons encore, parce qu’elle est l’expression de la force, devant la toge des juges. Nous sommes parfois impressionnés par le spectacle hallucinant des confréries marchant en cortège sur leurs mains, mais nous voudrions bien qu’on ne nous oblige pas à poser à l’entrée des écoles, comme on pourrait la graver sur la porte des couvents et des prisons, l’inscription que Dante lisait aux portes de l’enfer :
« Laissez ici toute espérance ».