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L'Institut Coopératif de l'Ecole Moderne (ICEM), expression théorique et pratique de l'organisation des éducateurs partisans et ouvriers des Techniques Freinet de l'Ecole Moderne

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Octobre 1952

L’Institut Coopératif de l’Ecole Moderne (ICEM), expression théorique et pratique de l’organisation des éducateurs partisans et ouvriers des Techniques Freinet de l’Ecole Moderne

Nous avons, en quelques années depuis la Libération, franchi une étape décisive de notre mouvement qui a cessé d’être une expérience pour devenir un des éléments constructifs et progressistes de l’école laïque française.

Les Techniques Freinet de l’Ecole moderne ont désormais une histoire, un long passé d’expérimentations probantes et d’évidentes réussites, des normes d’application. Bien sûr, elles ont encore contre elles, et elles auront longtemps, l’opposition ouverte ou indirecte de ceux qui, pour des raisons rarement avouables, s’appliquent à les dénigrer. Il y a ceci de caractéristique que ce ne sont jamais les usagers qui se plaignent. Nous ne voyons jamais un de nos adhérents prendre la tête de cette opposition systématique et arbitraire. La machine fonctionne bien ; ce sont ceux qui ne s’en servent pas qui lui trouvent des défauts, et qui mettent en garde les usagers conséquents qui la manient. Cette constatation devrait être convaincante et définitive pour nous encourager à continuer dans une voie où nous avons connu de si évidents et de si rapides succès. Non pas que nous devions sous-estimer systématiquement toutes les critiques qui nous sont faites, même lorsqu’elles ne viennent pas des milieux pédagogiques, mais un point reste du moins acquis. Pédagogiquement parlant, les Techniques Freinet de l’Ecole Moderne sont désormais inscrites dans les processus normaux, pratiques et officiels de l’Ecole Française.

Comme nous n’avons consenti, pour y parvenir, aucun sacrifice d'aucune sorte à notre idéal ni à nos principes, nous contentant d’être et de rester de bons travailleurs, humbles et consciencieux qui montrent pratiquement ce que peuvent l’application et le dévouement d’éducateurs appliqués, passionnés à leur métier, nous sommes tout à fait à notre aise pour accepter les conséquences naturelles et normales de cet état de fait : la diffusion à une échelle sans cesse croissante de notre matériel et de nos techniques, diffusion qui est le fruit des efforts faits et des sacrifices consentis pendant 30 ans de travail coopératif.

Cette diffusion n’en pose pas moins certains problèmes nouveaux qu’il nous faut examiner ici pour leur trouver ensemble une solution favorable.

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Techniquement et commercialement parlant, nous avons su, et nous avons pu tenir la tête du peloton.

C’est dans une certaine mesure, un tour de force dans notre régime, et nos adhérents eux-mêmes imaginent mal la somme de soucis, de risques et de sacrifices que représente l’édification, en partant de zéro, d’une firme coopérative qui a aujourd’hui pignon sur rue et qui a su garder le monopole de fait de la production et de la vente du matériel dont nous sommes les initiateurs. Et notre maison CEL possède le monopole de fait parce qu’elle est la seule à pouvoir sortir un matériel répondant parfaitement à nos besoins nouveaux et qu’elle ne cesse d’enrichir et d’améliorer. Des marchands qui ne comprennent rien à notre pédagogie peuvent bien essayer de vendre aux écoles des presses, des caractères ou de l’encre. Leur concurrence ne saurait atteindre une CEL qui, elle, ne fait pas du commerce mais de la pédagogie, le commerce n’étant que fonction de notre pédagogie. Et les éducateurs ne s’y trompent pas : la CEL devient de plus en plus leur maison.

L’année scolaire qui commence doit asseoir définitivement notre grande entreprise coopérative.

II faut que pédagogiquement parlant, nous tenions avec le même succès la tête du peloton.

Tant que ne venaient à nous que les mordus à 100 %, prêts à toutes les expériences et à tous les sacrifices pour réussir, nous avons travaillé dans des conditions évidemment plus favorables au point de vue pédagogique. Nous ne craignions pas les déviations, ou nous les corrigions facilement.

Nous en sommes aujourd’hui à un moment crucial : les éducateurs qui passent commande de matériel d’imprimerie ne sont pas forcément des « mordus ». Ils ont entendu dire du bien de l’imprimerie et des techniques Freinet ; ils ont vu l’Ecole Buissonnière ; ils ont visité une de nos expositions ; leur Inspecteur les a peut-être encouragés, ou ils savent du moins que les officiels n’y sont pas, par principe, défavorables. Peut-être même les parents d’élèves, sensibles au bon sens de nos méthodes, les ont-ils engagés à moderniser leur classe et leur enseignement.

Les collègues qui viennent à nous sont certes décidés à travailler ; ils font incontestablement un premier pas, mais ce premier pas reste parfois exagérément timide. Ils ne pratiqueront pas totalement les Techniques Freinet. Ils rédigeront un journal scolaire ; ils pratiqueront peut-être la correspondance. Mais ils redoutent cette reconsidération profonde de l’enseignement dont nous disons, et prouvons, la nécessité.

Quelques-uns d’entre eux manifestent d’ailleurs cette hésitation en refusant plus ou moins systématiquement de s’intégrer à notre mouvement. Ils ne s’abonnent ni à l'Educateur ni à nos autres publications ; ils se refusent parfois même à adhérer à nos groupes départementaux comme s’ils craignaient que nous les poussions trop vigoureusement dans une direction qui leur reste encore suspecte. Ils redoutent notre élan et notre enthousiasme.

Pourtant, nous ne voulons pas être pessimistes. La grande masse des éducateurs qui achètent notre matériel ont senti au moins quelques velléités de sortir de l’impasse où les a conduits l’enseignement traditionnel. Ils hésitent au seuil de la grande aventure et ma foi, cela est naturel. Ne rebutons pas ces bonnes volontés naissantes ; sachons au contraire les comprendre et les cultiver pour les voir un jour se joindre à nous dans la recherche des voies nouvelles dont l’expérience coopérative leur aura révélé la fécondité.

Voilà donc la situation au point de vue pédagogique. Elle est délicate. Si nous n’accrochons pas, si nous n’entraînons pas ces nouveaux adhérents, si nous ne les intégrons pas à nos techniques il y aura abâtardissement rapide de notre pédagogie. Chaque classe aura bientôt son imprimerie et son limographe, ce qui serait un succès commercial appréciable, mais nous aurions échoué dans ce qui reste notre but essentiel : l’affermissement et la diffusion d’une pédagogie qui réponde mieux aux besoins du peuple de notre époque.

Nous voulons réussir. Nous ferons front. Nous tiendrons la tête du peloton. Nos techniques vivront, se développeront jusqu’à influencer de façon décisive toute la pédagogie populaire.

Notre expérience est d’ailleurs suffisante en ce domaine. Il ne sert de rien d’essayer de toucher, par la parole ou par l’écrit, ces nouveaux acheteurs de matériel et de leur expliquer, théoriquement, ce que nous attendons d’eux et ce que nous leur offrons. Ils n'entendent point de cette oreille.

Ce qu’il faut faire, c’est travailler intensément, coopérativement, pour améliorer en commun nos outils et l’usage pédagogique que nous pouvons en faire. Tous les éducateurs éprouvent le besoin de travailler dans leur classe avec moins de fatigue, avec plus d’intérêt et d’efficience. S’ils sentent, s’ils comprennent, s’ils voient que nous les y aidons vraiment, ils seront avec nous.

L’année écoulée a été trop absorbée par nos soucis d’organisation coopérative. Nous allons maintenant, avec plus de tranquillité d’esprit, et avec des possibilités accrues, nous consacrer à l’organisation du travail pédagogique.

Notre Institut Coopératif de l'Ecole Moderne (ICEM), légalement constitué depuis le Congrès de Dijon, avec ses nombreuses filiales départementales, avec ses publications, ses rencontres et son grand congrès annuel va devenir la grande Guilde de travail des éducateurs de l’Ecole Moderne.

Adhésions à l’ICEM

Il nous faut faire des adhérents. Il nous faut en faire par milliers, par dizaines de milliers. Nous leur demandons d’accepter quelques charges et obligations, mais nous leur réserverons en retour des avantages substantiels d’autant plus importants que sera plus rentable le travail que nous aurons réalisé en commun.

Seront adhérents à l'ICEM tous les éducateurs qui auront signé et retourné la fiche d'adhésion ci-jointe en versant la cotisation de 550 francs.

Cette cotisation donne droit au service gratuit de L’Educateur, organe de l'ICEM.

Une carte d’adhésion sera délivrée.

Groupes départementaux

L’ICEM a une filiale dans chaque département. Les groupes départementaux restent en liaison permanente avec le centre. L’ICEM leur apportera en retour une aide effective.

Commissions, Equipes de travail et Bulletin de travail

Des commissions et des équipes de travail sont constitués au sein de l’ICEM. Peuvent seuls en faire partie les camarades qui travaillent effectivement.

Nous précisons bien : Peuvent et doivent adhérer à l’ICEM tous les éducateurs qui s’intéressent à nos recherches et à nos travaux, même s’ils ne sont pas sûrs de pouvoir, au début surtout, nous donner une aide quelconque. Ils ont le souci de moderniser leur école ; cela suffit pour l’adhésion à l’ICEM.

Mais nous avons absolument besoin de nous retrouver aussi entre travailleurs dans des équipes qui restent toujours ouvertes à toutes les bonnes volontés. Nous ne traiterons pas de questions hermétiques mais des problèmes tels qu’ils se posent à nous tous et dont tout éducateur doit et peut discuter.

Ces travailleurs seront, au sein de l’ICEM, organisés en Guilde de Travail. En plus des avantages normalement réservés aux membres de l’I.C.E.M., ils recevront gratuitement notre publication hebdomadaire ronéographiée Coopération Pédagogique, qui va, cette année, prendre une grande importance avec :

— une partie de documentation et d’information destinées aux DDx et aux responsables de commissions.

— une partie de documentation sur les travaux en cours au sein de l’ICEM, afin que chaque travailleur puisse situer sans cesse son effort personnel dans le cadre de notre activité coopérative.

— des travaux, plans, projets, discussions, sur les sujets à l’étude. Certains de ces travaux seront même parfois publiés en brochures provisoires qui pourront être mises, à prix de revient, à la disposition des adhérents.

Grâce à cette organisation unique en France, qui va coordonner l’effort de plusieurs milliers d’éducateurs, nous ferons cette année de notre ICEM le plus grand laboratoire pédagogique de notre pays.

Le papier est le pain de nos techniques.

Nos techniques supposent une forte consommation de papier. Et le papier est cher. Lorsque nous devons l’inscrire sur notre tarif avec toutes les marges de frais généraux, de taxes et de remises, le prix en devient prohibitif.

L’ICEM va faire un gros effort pour permettre aux écoles, même pauvres, d’éditer un journal scolaire et de pratiquer l’échange.

Vous trouverez ci-joint un bon valable pour 10.000 feuilles 13,5x21 cédées au prix coûtant de 180 francs le kilo et 320 francs le mille, port en sus, l’ICEM prenant à sa charge les frais de massicotage et de manutention.

Vous pouvez passer commande de ce papier soit globalement, soit par paquets de mille, à votre convenance, de préférence cependant à l’occasion d’autres commandes pour diminuer les frais de port en groupant vos commandes. Afin que les adhérents qui se sont déjà approvisionnés ne soient pas lésés, le présent bon sera valable pour la prochaine année scolaire (le prix du papier pouvant varier selon les cours).

Nous fournirons également, aux groupes qui nous le demanderont, et aux mêmes conditions, du papier pour l’édition de leur Gerbe Départementale.

Deux seules conditions à cette prime exceptionnelle. Les bénéficiaires doivent:

— Etre adhérents à l’ICEM ou abonnés à l'Educateur.

— Faire à l’ICEM le service régulier de leur journal scolaire.

Notre revue l'Educateur bénéficiera de cette réorganisation de notre travail pédagogique. Faites-le connaître autour de vous. Recrutez-lui des abonnés. Cet appel n’est pas un S.O.S. Notre revue a aujourd’hui un nombre d’abonnés qui lui garantit une édition confortable. Mais plus nous serons nombreux, moins le prix de revient sera élevé, plus nous pourrons vous réserver des avantages dans le genre de l’offre ci-dessus qui vous feront sentir sans cesse les bienfaits évidents de la coopération.

Mais rappelons que le premier numéro du mois sera un numéro simple d’informations sur 16 pages. Le deuxième numéro sera par contre une solide brochure de quatre-vingt pages avec des études nourries, des enquêtes, des documents originaux, une activité pédagogique que vous ne trouverez nulle part ailleurs.

La discussion stérile nous aigrit et nous divise. Le travail loyal et fécond nous unit parce qu’il sépare comme l’ivraie du bon grain, les verbeux toujours prêts à tirer la couverture à eux des bons ouvriers qui sauront défendre le fruit de leur labeur.

Au travail donc, sans aucun parti pris, dans le seul souci de servir l’enfance populaire, l’école laïque et ses éducateurs ! Au travail dans ce large esprit de compréhension et de fraternité que nous avons su créer au sein d'un mouvement qui saura surmonter les attaques sectaires et partisanes pour contribuer à l’établissement d’une école du peuple digne et efficiente et en redonnant au noble métier d’éducateur la valeur sociale et humaine que méritent les constructeurs d’hommes.

C. FREINET.