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DITS DE MATHIEU - d’abord faire jaillir la source

Novembre 1952

Les pédagogues sont comme ces enfants qui s’amusent à construire un bassin à l’endroit qui leur paraît le plus facile, parce qu’il n’y a là ni roches ni racines enchevêtrées et tenaces, et qu'ils peuvent, même avec des outils primitifs, creuser et remuer la terre complice.

Ce n’est qu’après, quand le bassin est construit, qu’ils se préoccupent d’y amener de l’eau. Ils en trouveront peut-être si peu, elle arrivera si difficilement avec une si faible pente qu’elle coulera en filets languissants que le plus petit brin d’herbe détournera de sa route incertaine.

Pendant ce temps, le bassin, lent à se remplir, se desséchera, fendra, perdra l’eau si chichement amenée. Vous aurez beau boucher et calfeutrer, vous ne remplirez jamais le bassin si ce n’est d’une eau croupissante et sale dont vous n’aurez point l’usage.

Il vous faudra alors déboucher la bonde et décanter les dépôts, à moins que, à force de seaux d’eau que vous amènerez de la source voisine, vous ne remplissiez artificiellement le bassin — ce qui fera un moment illusion, l’eau restant propre et claire tant que vous charrierez des seaux d’eau.

Les paysans de nos montagnes savent, eux, commencer par le commencement. Ils prospectent la source. Pas seulement te filet d’eau qui suinte au creux du vallon, mais l’origine même où, en profondeur, l’eau sort en bouillonnant, fraîche et claire entre les pierres.

Quand la source est trouvée, quand l’eau jaillit intrépide et puissante, il est facile de l’accompagner jusqu’à la conque rustique qui débordera en évacuant les impuretés que le flot aura brassées et rejetées.

Cessons donc de nous laisser hypnotiser par ces bassins capricieux de l’observation, de la mémoire, des théories formelles échafaudées dans la lande désolée de la vieille scolastique. Ne nous fatiguons pas davantage à en boucher les trous suspects, à charrier des seaux d’eau, à agiter cette masse informe et morte, et croupissante. Prospectons nos sources ; cherchons en profondeur le flot qui bouillonne entre les pierres ; accompagnons le courant et laissons-le couler généreusement sur les conques rustiques.

Nous bâtirons alors nos bassins méthodiques pour assagir et domestiquer les richesses dont la vie nous aura généreusement fertilisés.