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DITS DE MATHIEU - ouvrez des pistes

Octobre 1951

As-tu suivi parfois ces sentiers de montagne, tracés et creusés, par la multitude ancestrale des pieds d’hommes et de bêtes et qui sont comme la marque encore vivante d’une humanité qui dépasse l’histoire ?

Il n y a jamais, à travers les prés comme au flanc des pentes, une solution unique, un chemin exclusif, mais de capricieux sentiers plus ou moins parallèles avec, à chaque détour, un éventail d’autres chemins ouvrant vers d’autres horizons.

Si, à un moment donné, l’éventail se resserre, c’est que la passe devient difficile, que le sentier va s’engager dans un défilé, ou aboutir à l’unique pont de rondins qui franchit le torrent. Mais sitôt l’obstacle dépassé, comme une fleur qui s’ouvre, s’étalent à nouveau les sentiers aventureux qui partent à l’assaut de la montagne à conquérir.

Ainsi la vie offre-t-elle sa plénitude à qui veut l’affronter. Ne réduisez pas arbitrairement, d’avance, l’infinité des tâtonnements et la multiplicité des solutions aux problèmes complexes qu’elle nous impose. N’aggravez pas la monotonie d’une vie quotidienne où l’éventail des chemins s’est refermé sur la perspective grise de la rue qui conduit à l’usine. Ne désespérez pas vos enfants en faisant de votre école un défilé à voie unique, soigneusement encadré de barrières, de blocs branlants et de précipices, sans espoir de voir enfin au tournant s’ouvrir l’éventail généreux des sentiers qui montent vers la plénitude de la vie.

Dès octobre, et chaque matin, ouvrez des pistes, même si vous n'êtes pas toujours sûrs qu’elles mènent au col. Qu’il y en ait pour tous les tempéraments et pour tous les goûts : pour la sage brebis qui suivra la voie centrale déjà longuement tracée, pour le bélier orgueilleux qui a besoin de montrer ses cornes de ralliement comme pour les chevreaux capricieux et les chiens infatigables pour qui monter et grimper semble souvent un but fonctionnel.

Je vous donne ma vieille expérience de berger : le troupeau n’est pas plus difficile à mener lorsqu’il s’étale à travers les drailles, calme et satisfait, en marche vers le même horizon, que lorsqu’il s’entasse dans les endroits difficiles, tête contre queue, masse passive qu’une ombre surgissant brusquement peut projeter au précipice, ou qui n’attend que la sortie du défilé pour partir aveuglément par les premiers chemins qui s’ouvrent.