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DITS DE MATHIEU - Monstre de râteau !

Décembre 1951

J’ai l’histoire dans sa version provençale ; je l’ai, exactement semblable, dans sa version vosgienne. Ce qui nous est une preuve d’une universalité du bon sens dont nous devrions faire notre profit.

Ernest, donc, retournait au village. Depuis que, d’avoir vécu à la ville toute proche, il a souliers fins, cravate soignée, pli au pantalon et ventre bedonnant, il ne sait vraiment plus parler le patois savoureux de son village.

C’était au temps des foins et tout le village était au travail, manches retroussées, sous le grand soleil. Nicolas, jambes écartées, maniait sa faux luisante. Il se redressa pour souffler, tira sa pierre à faux de la « bano » qu’il portait à la ceinture. Il vit alors Ernest arrêté dans les buissons à la lisière des chemins, et qui lui cria, en un français volontairement « pointu » ;

— Nicolas, quels sont donc ces arbustes ?...

Nicolas, tout surpris, répondit dans son patois :

— Mais tu ne reconnais donc pas nos « ginestes » ?

Ernest descendit alors, délicatement, vers les andains tout fumants de rosée. Il avait l’air gêné par les odeurs chaudes qui montaient du pré en fenaison.

Et comme il arrivait près de Nicolas, il posa distraitement son pied sur les dents d’un râteau oublié là par les faneuses.

— Oh ! Nicolas, quel est donc cet outil ?

Nicolas n’eut pas le temps de répondre. Ernest avait imprudemment appuyé sur le râteau dont le manche se releva brusquement en lui donnant une gifle magistrale.

Le mot sortit alors, spontané, du plus profond de l’être :

— Mounstré dé rasteou !

— Ah ! ah ! rit Nicolas, il te dit bonjour, notre râteau !...

La leçon, pour nous, de cette aventure :

Creusez profond, accrochez votre éducation à la vie, habillez vos mots de leur splendeur originelle, intégrez votre savoir aux joies et aux soucis du travail.

Alors même que vous les croirez éteints, à jamais enfouis dans un passé défunt, vous les verrez ressortir, comme malgré vous, vivants et dynamiques, parce que vous les aurez nourris de sensibilité et d’expérience, et que vous aurez alors bâti sur le roc.