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DITS DE MATHIEU - Nous avons posé notre pierre

Juillet 1952

Que m importent la pensée et l’esprit de tous les bergers qui sont passés avant moi sur la montagne si aucun d’eux n’a posé sa marque ni sur le sentier qui monte, ni dans les habitudes des brebis qui s’en vont à travers les drailles.

La fumée monte aussi en volutes bleutées entre les toits dës maisons et les arbres de la colline. Et les nuages, dans le ciel, semblent inscrire des hiéroglyphes qui nourrissent le rêve des enfants désœuvrés.

Je me suis baissé en passant. J’ai courbé une branche qui n’encombrera plus le chemin. J’ai posé une pierre comme un repère et un signal ; j’ai, de mon couteau, creusé une gouttière qui recueille l’eau de la source et à laquelle viendront boire les enfants et les brebis.

Vous direz que c’est peu de choses en regard de ce qui pourrait être fait pour simplifier et humaniser la vie du berger. Mais si chaque berger faisait chaque jour cette part d’œuvre pratique au service de la communauté, notre métier en serait, dès à présent, enrichi et facilité.

Que m’importent les théoriciens qui ont bâti, en volutes de fumée, des systèmes que le vent, balaie comme il désagrège les nuages chimériques. D’autres, avant eux, avaient parlé avec intelligence et autorité. Mais ils n’avaient pas, de leur pied obstiné, marqué la trace du sentier ; ils n’avaient pas posé la pierre directrice, ni creusé la gouttière. Ce sont en définitive les imprimeurs de livres, les inventeurs de plumes, les fabricants de machines à écrire et d’imprimeries, les animateurs du cinéma et de la radio qui jalonnent, marche à marche, le lent progrès de la pédagogie.

Pendant trop longtemps, les uns ont parlé sans œuvrer, les autres œuvré sans avoir le droit de parler, comme des travailleurs qui ne se rencontreront jamais dans le tunnel où ils se sont engagés.

Nous avons posé notre pierre. Nous savons qu’elle aidera et guidera ceux qui viendront après nous pour continuer la route.