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DITS DE MATHIEU - Le cheval n'a pas soif : CHANGEZ DONC L'EAU DU BASSIN !

Février 1951

Nous avons oublié un chapitre dans l'histoire du cheval-qui-n'a-pas-soif.

Au moment même où le jeune fermier enfonçait dans l'eau du bassin le museau du cheval-qui-n’a-pas-soif et que, brrr ! le souffle obstiné de la bête éclaboussait l'eau en cascade autour de la fontaine, un homme apparaît qui déclare sentencieusement :

— Mais changez donc le contenu du bassin !

Ce qu'on fait sur-le-champ car il fallait — ordre des autorités — faire boire ce cheval-qui-n’a-pas-soif.

Peine perdue. Le cheval n’avait soif ni d’eau trouble ni d'eau claire. II... n’avait... pas... soif ! Et il le fit bien voir en arrachant sa longe des mains du jeune fermier et en partant au trot vers le champ de luzerne.

Comme quoi le problème essentiel de notre éducation reste non point, comme on voudrait nous le faire croire aujourd’hui, le « contenu » de l’enseignement, mais le souci essentiel que nous devons avoir de donner soif à l'enfant.

La qualité du contenu serait-elle alors indifférente ?

Elle n’est indifférente qu’aux élèves qui, à l’ancienne école, ont été dressés à boire sans soif n’importe quel breuvage. Nous avons habitué les nôtres à tenir d’abord toute boisson pour suspecte, à l’éprouver et à la vérifier, à construire eux-mêmes leur propre jugement et à exiger partout une vérité qui n’est point dans les mots mais dans la conscience de justes rapports entre les faits, les individus et les événements.

Nous ne préparons pas les hommes qui accepteront passivement un contenu — orthodoxe ou non — mais les citoyens qui, demain, sauront aborder la vie avec efficience et héroïsme et qui pourront exiger que coule dans le bassin l’eau claire et pure de la vérité.