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DITS DE MATHIEU - termitières et bungalows

Février 1951

Cette bâtisse sombre comme une imposante termitière, avec ses petites fenêtres timidement entr’ouvertes, c’est la demeure des hommes et des enfants. Ils n’y sont pas à l’aise. Ils y sont même tellement entassés qu’ils y souffrent et qu'ils y meurent, non sans avoir payé tribut préalable au médecin, au pharmacien et à l’hôpital.

Les poules n’étaient pas mieux partagées, dans un coin de la termitière : elles ne pondaient plus, les épidémies les décimaient, les poussins mouraient avant que de prendre plumes et le vétérinaire présentait ses notes.

On a pris une décision logique... pour les poules. La termitière est restée avec ses enfants souffreteux et malades, mais on a disséminé dans le pré en fleurs, à l’ombre d’arbustes tout spécialement plantés pour tamiser le soleil, vingt petits pavillons, comme vingt bungalows posés à flanc de coteau, vingt maisons nettes idéales pour poules et poussins. Et on regrette si peu la dépense que l’on installera, l’an prochain, de l’autre côté de la termitière inhumaine, au milieu de ce qui reste de prés en fleurs et d’arbustes au soleil, vingt nouveaux petits bungalows à volaille.

Mais les enfants nouveau-nés continueront à s’entasser, à souffrir et à mourir dans les taudis. Et l’Ecole elle-même ne débordera pas sa petite cour traditionnelle et ne pourra prétendre à sa part de bungalows, d’arbustes et de fleurs pour l’élevage des hommes. Et cela durera tant que les faux idéalistes au service des régimes d’exploitation et de misère nous persuaderont que la plante humaine ne se cultive pas selon les normes qui font les arbres robustes et les poulains vigoureux ; tant qu’on nous laissera croire que les facultés humaines sont des fleurs rares qui supposent l’austérité, les privations et la souffrance ; tant que nous n’aurons pas fait la preuve que, pour devenir un homme l’enfant a besoin d’abord, comme les poules, d’air, de soleil et de fleurs, de nourriture saine et d’exercices loin de la termitière, en une société qui, dans la paix et l’humanité, saura construire, à flancs de coteaux, parmi les prés et le feuillage, les bungalows où s’épanouiront les enfants, ce capital le plus précieux de la société socialiste.