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DITS DE MATHIEU - L'Ecole sera-t-elle Caserne ou Chantier?

Octobre 1949

Je posais un jour la question : « L’Ecole sera-t-elle temple ou chantier ? »

Pourvu qu’elle ne reste pas caserne !

La caserne : avec ses vastes bâtiments uniformes regardant tous la même cour, lieu commun des corvées et des revues, avec ses escaliers et ses couloirs, avec sa promiscuité et ses servitudes. La caserne : avec son atmosphère particulière qui fait que la caserne, ce n’est pas la vie, qu’on ne s’y conduit point comme dans la vie, qu’on y respecte cette autre loi du milieu tout entière axée sur le souci de tromper l’autorité, d’esquiver et de minimiser les corvées, de tuer le temps en comptant les jours comme l’écolier compte les heures « avant qu’on sorte » !

La caserne ! C’est là qu’on apprend — si l’Ecole ne vous l’a pas déjà enseigné — à tenir une pomme de terre en mains pendant un temps record, en surveillant du coin de l’œil le caporal de service.

C’est là qu’on apprend à manœuvrer pelle et brouette au ralenti, à s’asseoir sur les bras de la brouette, en une position qui permet de redémarrer immédiatement si l’adjudant vous regarde ; à tenir la pelle à demi pleine, mais sans la soulever, geste suspendu prêt à repartir si l’autorité devient menaçante. Le secret n’est point ici de transporter le tas de pierres, il est, au contraire, de ne pas le transporter en faisant semblant de travailler ; il est de faire durer la corvée avec le minimum d’efficience, puisque la corvée elle-même n’a aucun sens : elle est corvée et non travail. L’adjudant vous a dit : « Charriez ce tas de pierres à l’autre bout de la cour ! » Il a dit cela parce qu’il faut bien qu’il occupe ses soldats, même s’il n’y a rien à faire d’utile. Et si, par une impossible inobservance de la loi du milieu, les soldats s’avisaient d’en mettre un coup, pour avoir plus vite fini, l’adjudant saurait bien les en décourager à jamais :

— Vous avez déjà fini ! Vous avez transporté tout le tas de pierres !... Bon ! Bon ! Eh ! bien, écoutez, avant la soupe, vous allez ramener ce tas de pierres à sa place première !...

Cela s’appelle du travail de caserne, dans une atmosphère de caserne et de corvée, avec un rendement parfois négatif, ou de 1 %, parfois, par erreur, de 10 %.

Si l’Ecole, jusqu’à ce jour, a si peu rendu, quand le résultat n’était pas négatif, ne serait-ce pas parce qu’elle est restée caserne et qu’elle n’a pas su accéder à la dignité de chantier ?

Nous ferons notre utile mea-culpa.