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Les secrets d’une réussite

Octobre 1949

Il est banal — et on le sait bien dans le peuple — de dire qu’on ne fait bien que ce qu’on fait avec goût et plaisir ; qu’il n’y a pas de sot métier mais que sont bien à plaindre ceux qui liquident tant bien que mal leur tâche quotidienne pour l’unique nécessité de gagner leur salaire, sans connaître jamais la majesté et la dignité profonde du travail.

S’il est un métier qui peut devenir un bagne pour quiconque n’a pas su ou n’a pas pu s’y passionner, c’est bien le métier d’instituteur. Et pourtant, quelle plus belle destinée que celle d’enseigner pour les éducateurs qui, dominant la scolastique, ont su atteindre dans leurs classes à la création et à la vie par le contact intime et profond avec les enfants d’aujourd’hui qui seront l’humanité le demain ?

Conclurons-nous hâtivement ce raisonnement en disant que le premier secret de la fonction éducative, c’est d’avoir la foi et d’aimer les enfants ? Tous les jeunes instituteurs ont la foi parce qu’ils croient en la vie et ils aiment les enfants parce qu’ils sont encore à leur image. Mais les conditions de travail, les pratiques éducatives traditionnelles creusent bien vite un fossé entre éducateurs et éduqués... «Le pédagogue n’aime pas les enfants», écrivait Roorda, il y a vingt ans. Nous dirons, nous, pourquoi le pédagogue n’aime pas les enfants et nous apporterons, non des prêches idéalistes mais des propositions et des réalisations pratiques pour préparer dans nos classes le chantier vivant où le maçon monte en sifflant les murs majestueux de sa construction audacieuse.

Je me trouvais, il y a quelques jours, à une Rencontre Pédagogique Internationale, à Berne, où des éducateurs de divers pays confrontaient leurs conceptions éducatives.

L’un de ces éducateurs faisait remarquer que, quels que soient les efforts de propagande de la Ligue Internationale pour l'Education Nouvelle ou, sur le plan national, des diverses associations d’éducation nouvelle, on ne parvenait pas à toucher et à ébranler la grande masse des éducateurs : ils ne viennent pas aux réunions, ne répondent pas aux enquêtes et ne se sont même pas dérangés à l’annonce de la venue à Berne d'une vingtaine de pédagogues étrangers qui discutent, là, dans une salle à moitié vide, privée de l’essentielle résonnance de ceux sans lesquels les théories resteront des théories. Et, parodiant le mot de Barbusse, nous dirions volontiers que les théories qui restent des théories sont des illusions et presque des mensonges.

Il nous était facile de répondre : « Les instituteurs ne vous suivent pas, c’est un fait. Est-ce leur faute ? Faut-il incriminer le peu d’intérêt qu’ils portent à leur classe en particulier et à la pédagogie en général et se contenter de critiquer Leur indifférence ?

Nous prouvons par l’expérience que le corps des instituteurs vaut beaucoup mieux qu’on le prétendait et que, si certaines conditions indispensables sont remplies, ils savent se passionner pour leur noble tâche et y consentir en conséquence des sacrifices qui vous étonneraient.

Vous ne parvenez pas à toucher les instituteurs ? Mais, dans notre mouvement, nous en avons 20.000 qui suivent nos efforts, en profitent et apportent à leur coopérative les millions dont elle a besoin pour réaliser une œuvre qui les honore. Au sein de notre Institut, des milliers d’éducateurs nous offrent généreusement leur collaboration active et efficace. A notre dernier Congrès d’Angers, ils étaient venus au nombre d’un millier, des plus lointains départements de France, à leurs frais, pour discuter pendant quatre jours, des joies d’un métier aux perspectives renouvelées par nos techniques. Quand nous allons dans les départements parler au personnel enseignant, ce n’est pas une douzaine de convaincus que nous touchons, mais la grande masse des éducateurs du peuple.

Et j’ajoutais : je dois, demain soir, sur une invitation hâtive lancée à leurs collègues par deux de nos adhérents, parler à Sonceboz, dans le Jura Bernois.

Je sais d’avance que j’aurai là la majorité sinon la totalité des éducateurs de la vallée.

Et, de fait, soixante camarades se trouvaient réunis à Sonceboz pour une causerie fraternelle qui marquera dans l’évolution pédagogique des éducateurs bernois.

* * *

D’où vient le secret de cette réussite ? Quelles cordes nouvelles avons-nous touchées ? Quelles pourraient être les conséquences pédagogiques, sociales et humaines de la reconsidération que nous préconisons des problèmes éducatifs ?

C’est de cette question essentiellement pratique que nous parlerons dans nos prochains articles.

Nous montrerons aux éducateurs, aux administrateurs, aux parents, aux amis de l’Ecole laïque comment, sur la base des outils et des techniques de travail, des locaux nécessaires et de l’organisation, de la conception nouvelle d’une culture populaire sans verbiage et sans vaine salive, on peut rendre l’Ecole plus efficiente tout en redonnant au beau métier d’éducateur sa place qui devrait être la première : celle des ouvriers généreux qui forgent l’humanité.