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Les conditions matérielles pédagogiques et sociales du renouveau pédagogique

Novembre 1949

Les ouvriers dans une entreprise s’unissent pour défendre, certes, leur salaire vital et leurs conditions de travail. Leur maturité sociale les engage aujourd’hui à ne pas négliger non plus le rendement de leur activité et à réclamer au besoin les mesures d’organisation qui, en augmentant leur efficience, donnent une valeur accrue à leurs efforts.

Les instituteurs ont, plus que les ouvriers encore, de multiples raisons d’élargir le cadre de leurs revendications. Ce sont ces raisons que nous voulons expliquer et préciser pour intégrer la pédagogie dans le processus de lutte des éducateurs.

Les Instituteurs sont trop souvent, aujourd’hui, dans la situation d’un maçon à qui le patron demanderait de monter son mur, mais qui ne lui donnerait ni outils pour creuser les fondations, ni matériaux appropriés, ni échafaudages efficaces, en lui laissant même le soin de fabriquer sa truelle, sous prétexte qu’un outil standard coûte cher et n’est pas parfaitement adapté à la main qui l'emploie.

Mais, par contre, avec quelle générosité il lui dirait l’art et la philosophie de la maçonnerie, la valeur des matériaux, leur rôle dans la maçonnerie, et ta mesure scientifique du cubage effectué... Vous êtes assez intelligent, conclurait-il, pour vous charger du reste.

Le reste, c’est-à-dire tout, tout ce qui ne se construit pas avec la salive et la théorie, les matériaux pour creuser les fondations, les échafaudages pour accompagner l’ascension de l’ouvrage, les outils même, sans lesquels la technique piétinerait dangereusement.

Le maçon, découragé, chercherait bien vite un autre métier, pour lequel on lui offrirait non plus des théories et des exhortations, mais des outils et des possibilités pratiques de travail.

Nous sommes — nous étions — ces ouvriers excédés d’une sollicitude verbale qui nous laisse la décourageante responsabilité de la fragilité de nos constructions irrationnelles.

Nous sommes las de gâcher un mortier trop maigre avec des outils depuis longtemps émoussés, las d’entendre des discours dont le rôle, conscient ou non, est de nous tromper et de tromper le peuple sur le rôle vrai, la portée et les buts de nos efforts ; las de lire des livres qui n’abordent jamais les vrais problèmes.

Ces problèmes que nos vingt ans d’efforts nous ont permis du moins de poser sinon de résoudre. Et un problème bien posé n’est-il pas déjà en partie résolu ? Et n’est-ce pas à la façon sensée et juste dont nous les posons que nous devons l’audience incontestable que nous avons auprès de la masse de nos camarades, cette audience dont s’étonnent et qu’essaient d’enrayer le dernier carré des éducateurs qui, à l’enseigne trompeuse de la pédagogie nouvelle, ergotent sur les mots pendant que nous construisons pierre à pierre, dans l’expérience prudente et obstinée de nos classes, l’école efficiente et humaine de demain.

Les instituteurs groupés au sein de la Coopérative de l’enseignement laïc, en liaison d’une part avec le syndicat national des instituteurs, et d’autre part avec le mouvement ouvrier, ont pris en mains leur propre défense, sur des bases solides et pratiques qui n’excluent cependant pas l’idéalisme, au contraire, mais qui supposent la recherche permanente de solutions justes et vraies et la dénonciation obstinée du faux intellectualisme et de l’erreur.

Ces bases, nous les avons définies à maintes reprises. Nous croyons utile de les condenser ici en un document que nous demanderons à nos adhérents de faire inclure dans la liste des revendications non seulement des instituteurs, mais de la grande masse des travailleurs. 

PRÉAMBULE

1° Les éducateurs, comme tous les travailleurs, ont droit, non seulement à un salaire vital décent, mais aussi à des conditions de travail qui leur permettent de remplir leur tâche dans des conditions normales d’efficience et d’humanité.

2° Quoi qu’en disent les individus ou les classes intéressés au maintien de l’erreur, le métier d'instituteur, comme tous les autres métiers, s'organise sur des bases de travail et de vie et non sur un idéalisme verbal qui justifie tous les anachronismes.

Il a seulement l’éminente particularité de travailler un matériau particulièrement précieux et délicat qui va dominer naturellement ses méthodes de travail

3" La revendication ouvrière a, peu à peu, imposé la recherche et l’installation dans les usines de dispositifs de sécurité, d’éclairage et d’aération. La recherche de l’efficience et du rendement a nécessité le perfectionnement permanent des outils de travail.

Nous demandons que ce souci de sécurité, d’aération, d’air et de lumière, d’organisation et de rendement, s’applique également aux écoles et aux éducateurs.

4° Si on parvient ainsi à arracher l’éducateur à des classes et à des techniques désuètes, où il est en proie aux enfants, soumis à des règlements irrationnels et à une discipline aujourd’hui dépassée, si on lui permet un travail humain, pour des buts humains, il retrouvera alors cette joie au travail cet enthousiasme créateur sans lesquels aucun métier — et celui des instituteurs moins que tout autre — ne saurait être productif.

5° Mais nous mettons les éducateurs en garde contre les pédagogues — plus théoriciens que techniciens — qui voudraient nous lancer à corps perdu dans « l’éducation nouvelle ».

Instituteurs du peuple, nous sommes trop mêlés à la vie du peuple, pour ne pas en connaître tous les besoins et toutes les possibilités. Nous gardons toujours les pieds sur la terre et c’est pratiquement, en partant des nécessités de notre travail que nous procédons, avec une prudence hardie, à l’amélioration méthodiquement de l’école populaire.

REVENDICATIONS

1° Les instituteurs réclament des locaux, un aménagement et une organisation qui leur permettent de remplir la tâche que la démocratie attend de leur science et de leur dévouement.

La C.E.L. a, par ses réalisations, montré pratiquement, dans quel sens doivent se faire constructions, aménagements et organisation. Elle dira de plus comment et pourquoi, la grande majorité de nos écoles, à la ville notamment, sont totalement impropres au travail que doivent y faire maîtres et élèves.

Avec le corps des architectes, dans le cadre des possibilités financières actuelles, les commissions spécialisées de notre institut coopératif de l’école moderne étudient les solutions à envisager et à préparer.

A la veille d’une période où l’accroissement de la population scolaire va poser plus gravement que jamais le problème des locaux et de l’effectif, il faut que les éducateurs sachent dire aux pouvoirs publics et faire comprendre aux parents d’élèves que l’éducation, comme la construction d’une maison ou la culture d’un champ suppose d’abord des conditions de travail acceptables et dignes sans lesquelles l’instituteur n’est qu’un garde-chiourme et non un éducateur, un valet et non un « maître », un saboteur inconscient de la noble tâche qu’on attend de lui et non l’homme qui prépare les hommes pour la société démocratique de demain.

2° Les instituteurs réclament des outils de travail correspondant aux possibilités techniques, économiques et culturelles de 1949.

On modernise le travail des champs comme celui des ateliers, les moyens de transport et de diffusion, l’habillement et l’habitation. Nous n’acceptons pas que seule l’école et ses maîtres soient condamnés à travailler en 1949 avec les outils de 1900.

Cette modernisation des outils de travail est une condition indispensable de l’efficience de notre travail. Nous exigerons cette modernisation.

3° La démocratie de 1949, l'ère des grandes organisations syndicales et des partis déterminant dans la vie sociale et politique du pays, ne peut plus s'accommoder des méthodes autoritaires et passives d’une époque dépassée. A l’école traditionnelle doit faire suite l’école démocratique qui forme les citoyens actifs susceptibles d’asseoir définitivement la démocratie.

La Coopérative de l’Enseignement Laïc a créé le matériel indispensable, reconsidère les méthodes de travail, suscite l’atmosphère nouvelle et les rapports rationnels entre enfants, éducateurs, parents et administrateurs. Il suffirait de généraliser ses innovations.

* * *

Voici trois de nos revendications essentielles, que nous soumettons aux pouvoirs publics, aux responsables des syndicats et aux partis politiques. Nous demandons à nos adhérents d’en faire connaître autour d’eux la nécessité. Il nous faut lutter contre une conception exclusivement intellectualiste de notre fonction, qui part du sommet et considère comme subsidiaires toutes les conditions matérielles, techniques et d’organisation dont nous tenons, nous, à affirmer la primordiale portée.

Nous dirons dans nos prochains articles, par des exemples précis, pourquoi il n’y aura pas d’éducation moderne efficace, servie par des maîtres enthousiastes, tant que ne seront pas réalisées les conditions de base de cette éducation.

Cela coûtera cher. On lésine moins lorsqu’il s’agit de moderniser le matériel de destruction et l’équipement des soldats. Et cette préoccupation contribuera aussi à replacer le processus éducatif dans le cadre de cette lutte pour la paix dont les instituteurs sont et seront les ardents défenseurs.

C’est, parce que nous parlons ce langage rationnel, pratique et de bon sens, parce que nous attaquons les problèmes par la base, que nous enseignons à voir clair et à agir en conséquence, que nous avons suscité en France un mouvement pédagogique d’une ampleur et d’une portée sans précédent.

L’ouvrier, lorsqu’il travaille à son aise avec de bons outils ; le paysan qui voit mûrir la moisson blonde, se donnent, tout entiers au métier qu’ils aiment.

Nous redonnons nous aussi aux éducateurs la joie du travail et l’enthousiasme de la réussite. A la hargne, hélas ! motivée de l’homme en proie aux enfants, nous substituons les voix claires, les chants et la joie du chantier des constructeurs et des créateurs.

Le jour où les éducateurs auront entrevu, ne serait-ce qu’un instant, le bleu du ciel, ils sauront alors lutter pour que se réalise l’école moderne française.