Raccourci vers le contenu principal de la page
Novembre 1949

C’est de notre propre Plan de Travail qu’il s’agit ici.

Si je travaillais seul, je ferais comme certains journalistes, je garderais jalousement pour moi les sujets originaux d’articles que j'échelonnerais savamment en cours d’année pour soutenir l'intérêt.

Mais nous travaillons en équipe. Mes idées, même quand j’en parle la première fois, ne m’appartiennent déjà plus exclusivement. Elles sont le produit de contacts, d’expériences, de suggestions venues de la masse de nos milliers de correspondants actifs, et que je distille peut-être au feu d’un creuset qui est déjà passablement riche et d’où sortent, quelque peu transformés, les matériaux que nous y avons brassés et refondus.

Mais c’est cette expérience à la base, cette richesse originelle de création et de vie qui est la condition primordiale d’une pédagogie qui peut aussi grandir et se renouveler sans jamais se détacher du travail multiple et complexe qui en fait la richesse et la portée.

Nous aurons ainsi à discuter en cours d’année d’un certain nombre de sujets que nous tenons pour essentiels et qui doivent être inscrits sur notre Plan de travail. Seulement, il faut que nous les y inscrivions dès maintenant pour que nos camarades puissent enquêter et expérimenter, afin que s’expriment ici librement les opinions parfois contradictoires des uns et des autres ; afin aussi qu’on nous écrive sur ces sujets. Nous ne vous demandons pas à tous de nous envoyer des articles soigneusement rédigés et que nous ne pourrions peut-être pas insérer faute de place. Nous n’attendons pas des rapports complets. Mais il est une habitude que vous devez prendre : quand une observation s’impose à vous, si vous vous heurtez à un obstacle anormal, si vous êtes inquiet sur l’orientation de votre expérience, si vous avez eu la joie d’une découverte ou d’une réussite, faites-nous participer à vos doutes, à vos succès ou à votre exaltation en nous écrivant, sans phrase, sans fioriture, en camarade, ce que vous avez à dire.

Vous pouvez être assuré que vous aurez ainsi apporté votre pierre à l’édifice de la C.E.L.

Ces documents, ainsi reçus de milliers de camarades au cours d'une expérience d'une complexité sans précédents, nous les retournons bien souvent vers la base, vers les équipes de travail, vers les commissions qui y prendront leur miel. Ils m’aident en tous cas à mieux voir les problèmes et à mieux traduire vos besoins communs dans cette œuvre collective qu’est notre « Educateur ». Et qu’il soit bien entendu que quand je signe un article, c’est parce que le lecteur a besoin de connaître le rapporteur des diverses questions, mais que cet article n’est que le résultat de la riche expérience de notre groupe distillée et commentée par Freinet.

Au lieu d’attendre que nous ayons la place de traiter longuement ici chacune des questions vitales de notre mouvement, je préfère vous présenter aujourd’hui les sujets à étudier pour que chacun d’entre vous, individuellement, dans la vie de votre classe ou le silence de votre bureau, — collectivement dans les commissions départementales de nos groupes, puisse se mettre immédiatement à la besogne.

L’ordre ci-dessous des questions ne préjuge d’ailleurs pas d’une priorité qu’il dépendra de vous de fixer.

1. — Organisation matérielle, technique et humaine des classes.

Nous avons déjà annoncé et amorcé cette question dans nos précédents numéros. A nos camarades de nous aider maintenant à préciser nos revendications :

a) Dans quelle mesure la construction, la conception et l’aménagement des écoles et des classes gênent-ils le travail normal des éducateurs? Que faire pour adapter les locaux à ce travail : réparation, constructions, ameublement, etc...

b) Nouvelle architecture scolaire.

c) Mobilier scolaire.

d) Outils de travail de l’Ecole.

e) Sauvegarde élémentaire à l’Ecole des principes essentiels qui conditionnent la santé des élèves et des maîtres.

f) Les espaces libres et les cours de récréation.

2. — L'organisation administrative de l'Ecole : Dans quelle mesure le changement de classe des instituteurs dans les écoles à classes nombreuses gêne le travail efficient.

Comment prévoir une autre organisation plus rationnelle

Le problème angoissant des effectifs.

3. — Quelles sont, en définitive, les conditions à remplir pour que l’instituteur puisse s’intéresser, se passionner à sa tâche, aimer, aider et servir ses élèves pour les éduquer ?

4. — La modernisation des examens en général et du Certificat d'études en particulier, question qui est à l’ordre du jour des travaux pédagogiques du S.N.

Brevets et chefs-d'œuvre : L’expérience se poursuit. Nous devons, cette année, en préciser la technique.

Les tests (en liaison avec les brevets).

5. — La question si délicate de la pédagogie dans les classes de perfectionnements. Les psychologues scolaires. (Nous avons là-dessus d’intéressantes communications des psychologues scolaires de l’Isère.)

6. — Notre enquête sur les colonies de vacances. Des camarades nous ont écrit en nous disant : « Le Centre d'entraînement aux M. A. s’occupe de la chose avec une indéniable compétence. Laborde a lui-même rendu compte, dans les derniers n° de Vers l'Education Nouvelle, d’une intéressante enquête sur les colonies. Pourquoi discuter publiquement sur les désaccords possibles ?

Si les réalisations obtenues jusqu’à ce jour et si l’action du C.E.M.E.A. nous donnent, toute satisfaction, nous nous garderons bien de critiquer. Mais si, sur certains points, en fonction de nos principes, et de nos techniques, nous avons des réserves à formuler ou des propositions à faire, nous les ferons.

Sur le plan plus spécialement pédagogique, nous voulons étudier cette année, le plus profondément possible, avec la collaboration active de nos commissions et de nos lecteurs, les questions ci-dessous. (La liste n’est pas limitative.)

7. — Les Complexes d’intérêts, dont nous avons commencé, cette année, la publication sous une forme pratique qui semble enthousiasmer les camarades, si nous en jugeons par le nombre des collaborations que nous recevons.

II nous faut rapidement des centaines de complexes que nous publierons s’il le faut en B.E.N.P. Au travail. Et naturellement critiquez aussi fond et forme des Complexes publiés. Puis, tâchez de faire mieux.

8. — L'organisation des correspondances interscolaires nationales et internationales et l'échange des élèves.

Nous allons sortir en novembre une B.E.N.P. sur une formule moderne des échanges des enfants : la caravane Freinet dans le Finistère. Nous donnerons, en janvier probablement une autre B.E.N.P. sur les échanges de classe en classe en attendant que nos amis Darne et Couvert, du Maroc, rédigent à notre intention la B.E.N.P. et la B.T. qui s’imposent sur leur belle réalisation des constructeurs de l'Atlas, dont le général Juin a récemment inauguré officiellement l’œuvre splendide.

9. — Nous voudrions publier dans l'Educateur l’essentiel du débat amorcé l’an dernier et qui se continuera en commission sur Destins de la projection fixe, et place du cinéma dans l'Education. Il nous sera parfois difficile de retrouver ici le droit chemin parce que pèse d’un côté sur la pédagogie actuelle la masse commerciale d’une production d’appareils et de films fixes qui exploite visiblement un filon — tandis que du côté Cinéma scolaire, c'est encore pratiquement le néant.

10 - Calcul nouveau. Je sais que, par l’exploitation de nos complexes d’intérêt, par la vie nouvelle de nos classes mêlées au milieu, nous avons jeté des bases profondes pour le sens mathématique et, la compréhension du calcul.

Mais nous n’avons pas encore réussi une suffisante liaison entre cette compréhension et les acquisitions techniques, notamment dans le domaine des problèmes. Là, nous n’avons pas encore trouvé le joint et, en conclusion de nos travaux vivants, nous posons encore nos problèmes comme on les posait, il y a 80 ans. Non pas que nous pensions qu’une technique est forcément mauvaise si nous ne l’avons modernisée mais parce que la forme des problèmes et leur formule de résolution restent spécifiquement scolastique. Les problèmes ne se posent pas ainsi, ni ne se résolvent dans la vie.

Nous devons donc faire mieux. Nous avons commencé à l’Ecole Freinet des expériences que nous ferons connaître. Que les camarades nous écrivent.

11. — Le contrôle à l'Ecole moderne. — Rôle des notes, des graphiques, des tests. Nous voudrions notamment reprendre le débat sur l’adaptation peut-être possible pour nos classes de quelques principes du studiomètre.

12. — Digests et condensés. —L'acquisition des mécanismes. — Fiches de résumés.

Ce sera peut-être là une des questions les plus urgentes et qu’il nous faudra aborder dès nos prochains numéros. Nous avons déjà dit à diverses reprises que l’influence américaine — qu’elle s'exerce par l’économie, par le film, la radio ou par la presse — allait poser devant notre effort pédagogique des problèmes d’une extrême gravité, dont dépendent même la vie et l’avenir de notre mouvement.

Nous nous étions appliqués à chasser la scolastique de notre comportement pédagogique et nous n’y avions pas trop mal réussi avec le succès croissant de notre texte libre, du journal scolaire, de l’exploitation pédagogique de nos complexes. Et la voilà qui revient plus agressive que jamais par une autre porte.

On ne peut nier que, par nos techniques, nous cultivons la compréhension des enfants, que nous préparons en eux la vraie culture, celle qui comporte sa bonne part de connaissances, mais de connaissances digérées et intégrées à l’être. Et on sait l’effort que nous avons fait pour faciliter les connaissances et affronter avec succès les examens.

Mais la propagande adverse, tout en nous laissant pour ainsi dire le monopole de la culture profonde, s’applique à persuader les éducateurs que les connaissances et les acquisitions sont d’un autre domaine et s’acquièrent seulement par l’entraînement mécanique inintelligent.

Nous n’avions jamais vu une si redoutable floraison de condensés, de résumés, de comprimés, de digests. Et j’ai le regret de constater que c’est la publicité de l’Ecole Libératrice qui en est le plus abondamment farcie : De l’Encyclopédie au condensé — Collection l’Essentiel — Mémentos — Tous les points essentiels d’Histoire — Médecine 49 (digest) — Principales règles d'orthographe, etc...

J’ai voulu me renseigner et j’ai demandé, en spécimens, quelques-uns de ces ouvrages recommandés. C’est du pur 1900, des mots et des mots, des définitions, des explications intellectuelles incompréhensibles. Je n'appellerais pas cela des Digests mais des Indigestes.

Nous aurons à faire la critique de cette production et à étudier les moyens pratiques de lutter contre leur envahissement. Et nous demanderons amicalement pour commencer, à « l’Ecole Libératrice » de ne pas insérer dans sa publicité les annonces qui pourraient être jugées dangereuses pour une saine éducation laïque libératrice.

La question est posée. Nous en discuterons.

13. — Dans un domaine un peu particulier enfin, nous voudrions, publiquement, préciser et normaliser nos relations avec le Syndicat National, le Groupe d’Ed. Nouvelle, la Ligue de l’Enseignement et surtout l’Office des Coopératives avec lequel s’amorce dans tous les départements une collaboration qui pourrait être éminemment profitable à l’Ecole et à la pédagogie.

14. — Si j’ajoute que nous préparons activement l’édition de nouveaux disques C.E.L. et que nous voulons réaliser pour notre Congrès de Pâques une première bande de notre film technique, on aura alors un aperçu des grandes questions dont nous allons discuter et que nous posons, d’abord, à l’attention de tous nos camarades.

C’est par l’effort de chacun que nous ferons de notre mouvement — et de notre revue — des foyers intenses pour la préparation et le succès de la pédagogie populaire.