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Pour une éducation libératrice

Décembre 1949

Nous n’avons jamais caché les véritables buts que nous nous proposions en nous orientant vers une reconsidération profonde de nos techniques éducatives. Nous ne visons pas à avoir des enfants sages, qui savent s’aligner docilement pour entrer en classe, et qui sont capables de rester assis sans bouger un maximum de minutes ou d’heures ; notre but n’est pas forcément de faire recevoir nos enfants aux divers examens, ni d’avoir des petits prodiges dont on admire les travaux hors nature.

Nous voudrions surtout nous hausser à la hauteur de notre tâche et répondre à l’espoir que placent en nous et la société et les parents de nos élèves.

La société demande que soit formé par nos soins un certain type d’hommes capables de la servir et de la continuer. Et nous aurons à préciser ces exigences.

Les parents, eux, veulent que, grâce à l’Ecole, leurs enfants soient en mesure d’affronter la vie, demain, avec le maximum d’atouts et de possibilités techniques, sociales et humaines.

Là aussi, nous aurons à donner notre point de vue, à redresser certaines erreurs, à éviter des déviations graves pour marcher hardiment mais sûrement dans le sens du progrès.

Or, dans l’un et l’autre cas, nous vivons et nous travaillons selon les normes établies par la vieille tradition scolastique qui néglige les vrais rapports actuels entre l’homme travailleur et la société et qui porte toujours au fronton de son programme la trilogie : Lire, écrire, compter... au siècle du cinéma et de la radio qui dépassent ou du moins débordent la lecture ; de la machine à écrire et des machines à calculer automatiques.

Nous ne disons pas que nos enfants ne doivent pas apprendre à lire, à écrire et à compter, mais seulement que nous devons aller bien au-delà, car la vie actuelle a d’autres exigences et que nos enfants ne vivront pas demain dans le milieu calme et paisible de la fin du XIXe siècle, mais dans l’ère mécanique et atomique de 1960.

Ce sont ces exigences que nous devons connaître et mesurer, en accord avec la société et les parents, pour que nous nous appliquions à préparer nos enfants non pour un mode de vie dépassé mais pour le milieu, les normes de travail et d’activité qui seront les leurs quand ils seront des hommes.

C'est tout le problème de la modernisation de notre pédagogie qui est posé. Nous devons en étudier méthodiquement, expérimentalement, scientifiquement, dans toute la mesure du possible, les données et les solutions.

Notre prochain Congrès de Nancy, qui s’annonce comme devant avoir une ampleur et une portée supérieures encore à celui d’Angers, préparera les solutions techniques et humaines à ces diverses questions.

Nous le ferons, comme toujours, sans aucun parti-pris autre que celui de servir l’Ecole du Peuple et les enfants du Peuple.

C’est ensuite, à l’appui pratique que nous apporteront les hommes, les organisations, les partis, les administrations, que nous reconnaîtrons les partisans d’une éducation libératrice.

Nous ouvrons le chantier. Nous y appellerons, nous y accueillerons, nous y éprouverons les vrais ouvriers.

THÈME GÉNÉRAL DU CONGRÈS

Par une éducation libératrice, nous préparons en l’enfant L’HOMME DE DEMAIN

1° Ce que doit être l'homme de demain, celui que, d'un commun accord, nous devons préparer.

Nous devrons au préalable nous mettre d’accord sur ce point, et la chose est possible. Puisque nous sommes éducateurs, nous voulons pour l’enfant et pour l’homme un maximum d’humanité et de dignité, dans une société d’où sera bannie l’exploitation de l’homme par l’homme. Ne seront contre de tels buts que ceux qui, pour quelque raison que ce soit, souhaitent que se survive cette exploitation.

Des solutions multiples sont présentées à ce grave problème si actuel. Leur' discussion ne pourra se faire dans le cadre ni de notre revue, ni de notre Congrès. Nous nous mettrons d’accord, sans aucune arrière-pensée, sur les buts qui nous sont communs. Puis, nous dirons à chacun : « maintenant, va, et œuvre selon ta conscience pour que nous marchions hardiment vers la réalisation de ces buts. »

2° Mais, dans le cadre de l'Ecole, nous passerons tout de suite à l'action pour préparer l'homme dont nous aurons défini le type.

Dans cinq ans, dans dix ans, nos élèves seront des hommes, des travailleurs et des citoyens.

Il nous faudrait savoir dès maintenant, de la façon la plus approchante possible, ce qu’auront besoin de posséder, de connaître, de savoir-faire et de pratiquer des hommes de 1960.

Une grande enquête s’impose et nous voulons la mener. Nous voulons interroger les administrateurs et les hommes politiques, les chefs d’entreprise, les organisations syndicales, les techniciens, les associations culturelles et les écrivains en personne, pour établir avec un maximum de sûreté et d’efficience ce que les uns et les autres attendent des hommes que nous aurons formés, humainement, socialement et techniquement.

De cette vaste enquête, nous pourrons déduire alors notre programme de travail :

a) Socialement : Comportement de l’enfant et, plus tard, de l’homme dans la société dont il sera un élément actif et conscient.

b) Techniquement : Place notamment des acquisitions de connaissances, de maîtrise des techniques de recherche et de travail, d’initiation aux formes modernes d’activité.

C’est toute notre pédagogie qui pourra alors être reconsidérée en fonction de ces nécessités.

c) Humainement : Nous n’oublions pas, en effet que, par-delà la mécanique, par-delà les exigences d’une société à la recherche des solutions souhaitables, il y a le grand destin de l’homme dont l’enfant porte en lui les exaltantes prémisses.

Face à certaines civilisations mécaniciennes, nous mettrons en valeur une éducation française, une civilisation humaine qui a la prétention de se saisir supérieurement des techniques que la science met aujourd’hui à la disposition de l’homme, mais pour les mettre définitivement au service du bien-être, de la culture et de la Paix.

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Autrement dit, et pour nous résumer, nous aurons, au cours de notre Congrès, à étudier les points suivants :

1° Ce que doit être l’homme de demain.

2° Etude des solutions sociales.

3° Etude des solutions pédagogiques et techniques.

4° La culture et l’humanité.

Nous allons, dès les prochains n°s, amorcer l’étude systématique de ces divers points.

Nous demanderons aux responsables de commissions d’axer leurs travaux sur l’étude des divers aspects de ce thème général.

Notre exposition devra matérialiser les efforts que nous avons faits déjà pour réaliser l’éducation préconisée et mettre en valeur les outils de ces techniques susceptibles de former en l’enfant l’homme de demain.

Pour la préparation profonde de ce Congrès, nous allons, dans les jours à venir mobiliser la grande masse de nos camarades. Nous montrerons, pratiquement, expérimentalement, par nos réalisations que, en bons ouvriers, nous savons allier la recherche de la perfection technologique au souci des grandes vertus humaines pour une éducation digne de tous les chercheurs généreux qui en ont obstinément fixé la trame et des destins d’une civilisation au service du peuple libéré.