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Comment déceler et éviter la Scolastique

Dans :  Mouvements › mouvement Freinet › 
Novembre 1948

Ne cherchez pas sur le Larousse. Vous ne le trouverez peut-être pas sous cette graphie et le sens, en tous cas, qu'on lui attribuera, ne répond nullement à nos préoccupations majeures. Il nous fallait un mot pour exprimer une idée nouvelle. L’essentiel est que nous nous entendions bien sur ce qu’il exprime.

J'entends par scolastique toutes techniques, tous comportements, tous travaux qui sont spécifiquement scolaires, qu'on fait à l’Ecole, parce que l’Ecole a cru parfois avoir des fins propres, isolées de la vie, et qui nécessitaient donc des formes particulières d’étude et de travail.

Scolastique, la discipline lorsque l'enfant vit à l’école selon un rythme différent que dans la rue ou à l’Ecole, avec des règles et des habitudes particulières. Il s’agit d’un autre monde que nous appellerons scolastique.

Scolastiques les leçons de morale qu'on y donne, qu’on ne trouve qu’à l’Ecole, dont on ne subit jamais le pendant dans la vie.

Scolastique l'histoire qu’on y enseigne et dont l’enfant n'a que faire à cet âge. Scolastique une géographie de définitions sans rapport avec la vraie géographie que la vie nous offre. Scolastiques les devoirs et les récitations de leçons. Vous n’aurez plus jamais ça dans la vie. Scolastique le comportement de l'éducateur qui devient le grand prêtre, et qui prend parfois au sérieux son rôle de démiurge qui voudrait bien régenter, selon les mêmes principes, le monde capricieux.

Il ne fait pas de doute que nous pouvons donner aujourd’hui à ce mot de scolastique un sens très précis, qui n'est d’ailleurs péjoratif que dans la mesure où nous condamnons les principes qu’il définit.

Donc la scolastique existe. C’est un point sur lequel il semble inutile de discuter.

La discussion portera alors sur ce point précis : la scolastique est-elle un bien, une nécessité, un mal nécessaire ? Vous trouverez, parmi ses défenseurs, toute la gamme d'interprétation. Nous n’insisterons pas puisque, selon nous, la scolastique est toujours un mal.

Nous marchons à grands pas vers l’unité de l’éducation.

Entendons-nous : on était persuadé naguère que l’enfant était un être totalement différent de l’adulte, qui ne réagissait pas selon les mêmes processus, et à qui il fallait un traitement différent qui était la fonction de l'Ecole. L’expérience nous donne aujourd’hui une autre certitude de l’unité de la vie : il n’y a pas une psychologie de l'enfant et une psychologie de l’adulte. Nous agissons tous et nous réagissons selon les mêmes principes fondamentaux. Une pierre roule sur une pente de façon diverse selon son poids, sa forme, sa densité, la pente et l’état du terrain, mais le principe qui l’entraîne est unique et général : c’est la pesanteur.

Il n’y a pas line pédagogie de l'enfant de 3 ans, une pédagogie de l’enfant de 12 ans, une pédagogie de l'anormal, une pédagogie de l'adolescent et une pédagogie de l'adulte. La pédagogie est une. Elle variera dans sa forme, certes, selon les individus et selon les milieux, mais les principes en sont toujours les mêmes.

Et le travail ? On a cru qu’il fallait à l’enfant exclusivement le jeu sans fatigue et sans but. Nous avons montré que le travail est un besoin pour tout individu, à tous les âges, et que l'enfant ne joue que lorsqu’il ne peut pas travailler. Dans ce domaine, c’est justement chez les enfants que nous trouverons dans sa puissance originelle ce principe du travail que l'adulte a tellement déformé et déconsidéré.

La conception sociale ? Faites vivre vos enfants en coopérative et vous verrez à quel point leur petite société est l'image presque idéale du milieu économique et social que rêvent pour les adultes les réformateurs politiques ou philosophiques.

Je sais que cette conception, notamment au point de vue psychologique, est loin d’être universellement admise. Nous demandons à nos camarades d’y réfléchir avec un maximum de bon sens, en se dépouillant de leur esprit maître d’école, pour essayer de voir les choses comme elles sont.

Il n’y a qu’une difficulté quand nous disons que les réactions des enfants sont les mêmes, dans leurs principes, que les réactions des adultes. C'est que la vie contemporaine déforme et complique à tel point toutes choses que, parfois, nous ne retrouvons plus, dans notre propre vie, les lignes directrices essentielles auxquelles nous référer. Si nous savons nous examiner nous-mêmes très loyalement, retrouver en nous les tendances majeures, maléfiques et bénéfiques, nous aurons du même coup Un critère sûr pour démasquer la scolastique.

Alors, je vous donne mon secret : quand j’imagine un travail, que j’essaie ma technique, que je prévois une organisation de mon école, je me pose à tout instant cette question : Est-ce que moi, adulte, j’accepterais cette discipline, je ferais tel devoir, je comprendrais telle réglementation ? Et que ferais-je, moi, adulte, si je me trouvais devant les problèmes majeurs qui s’imposent à mes enfants ? :

Tout ce que je n’accepterais pas de faire, tout ce qui n’est pas conçu selon les normes ordinaires de la vie, ce qui n’a de justification que dans les destinées spécifiques de l’Ecole, tout cela c’est la scolastique à rejeter parce qu’elle ne mobilisera jamais en profondeur les efforts des individus.

Appliquez ce principe à nos réalisations et vous comprendrez que nous vous en conseillions la généralisation : l’imprimerie a un succès général parce que enfants comme adultes veulent diffuser, divulguer, imprimer leurs œuvres. L’échange interscolaire est, de même, un besoin général. Le système des fiches répond de même à une nécessité de libération qui nous est commun. Enfants et adultes font des conférences, etc...

Mais alors, me dira-t-on peut-être, tu veux extirper radicalement de l'Ecole tout ce qui est scolastique. Il ne restera bientôt plus rien, ni pupitre, ni estrade, ni vitre dépolie, ni obligation de marcher en rangs (la chose que les adultes français ont le plus en horreur), ni manuels.

Doucement !

Nous avons surabondamment montré que nous gardons solidement les pieds sur terre et que nous ne détruisons que ce que nous avons, au préalable, remplacé. Nous ne vous dirons pas : dès demain bannissez de votre Ecole tout ce qui est scolastique. Comme nous, vous ferez comme vous pourrez, compte tenu des instructions officielles, des Inspecteurs, des parents, des examens, du milieu. Seulement, vous ne serez plus dupe : vous saurez que ce ne sont là que des sacrifices que la logique et la vérité font à la tradition et à l’erreur, et vous marcherez le plus possible vers la logique et la vérité. Et quand vos pratiques scolastiques ne susciteront pas l'enthousiasme de vos élèves, quand vous les verrez réticents et passifs, vous ne les accuserez pas eux ; vous vous accuserez vous. Vous gagnerez à cette pratique, même lorsqu’elle n’est pas dépouillée de scolastique, comportement progressiste, plus calme et plus humain, qui sera une étape favorable sur la voie de l’Ecole Moderne débarrassée à jamais de toute SCOLASTIQUE.