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La solidarité laïque

Février 1949

Le choix d’Angers comme siège de notre Congrès de Pâques a été dicté, à Toulouse, par notre souci spontané de soutenir et d’aider nos camarades de l’Ouest dans la dure lutte qu’ils mènent pour que triomphe l’Ecole laïque, gage de démocratie, de liberté et de paix.

Il ne s’agit point pour nous de geste symbolique, mais de notre désir commun de participer totalement à cette lutte, par tous les moyens en notre pouvoir.

Nous redirons encore dans quelle mesure nos techniques, en replaçant l’Ecole dans le milieu dont elle s’assure la sympathie et le soutien, en intéressant et en passionnant les éducateurs à leur tâche, qu’ils accomplissent de ce fait avec une conscience et une efficience accrues, en formant enfin des enfants actifs, compréhensifs et socialisés, qui seront les bons citoyens de la France libre de demain, comment ces techniques servent de ce fait, et grandement, l’Ecole du Peuple et la laïcité.

Nous voudrions aujourd’hui porter l’accent sur la solidarité laïque qui doit unir la masse des éducateurs, sur ce fonds commun qui, au propre et au figuré, devrait être à la base de nos efforts.

Or, je reçois d’un jeune camarade de l’Ouest un véritable appel de détresse que vous ne lirez pas sans émotion :

« La Défense laïque au Congrès d’Angers ! Je crois qu’il faudra mettre nettement en relief les difficultés et les tracasseries sans nombre que nous créent "les amis de l’Ecole libre.

On les sous-estime si totalement lorsqu’on n’est pas dans la bagarre !... J’ai vu, durant les vacances, des instituteurs d’Aquitaine, heureuse province qui compte trois ou quatre écoles libres par département ! Eh bien, ces collègues m’ont paru non pas indifférents à nos difficultés, mais il faudrait un mot plus fort : supérieurement inaccessibles. Bien sûr, ils nous plaignent, mais au fond n’est-ce pas plutôt parce que nous sommes de pauvres types qui ne savons pas nous débrouiller. Bien sûr, eux, ils ont pour leur cantine, un abondant approvisionnement qu’apportent les enfants. Mais ici, il faudrait bientôt que nous payions la nourriture aux gosses pour qu’ils n’émigrent pas vers des cieux plus chrétiens ! Et combien d’entre nous, devant l’absolue nécessité de donner les fournitures gratuites pour garder leurs élèves, sont obligés de payer de leur poche une partie an moins des notes de librairie ?

Bien sûr, je suis dur peut-être, mais les camarades de nos départements cléricaux diront si j’exagère. Je sais : les parrainages fonctionnent. Notre école en bénéficie et je loue fort les collègues compréhensifs qui animent dans tous les départements ce renflouement de la laïque. Montrons-leur davantage encore tout le besoin que nous en avons — matériel et moral aussi parfois —et ils verront que leur aide arrive à point. Agrandissons- encore le cercle de la solidarité et montrons par des graphiques, par des photos, croquis et explications, pour chaque département comme pour chaque école, ce qu’est la vie par chez nous. Quel est le camarade qui ne peut pas faire un dessin humoristique, avec légende détaillée, de la façon dont se fait la lecture matinale quand, par un jour bien sombre, à 9 h. du matin, .le secrétaire de mairie a malicieusement coupé l’électricité ! »

J’ai tenu à donner, dans toute son émouvante familiarité, l’essentiel de cette lettre d’un jeune de l’ouest, membre de la C.E.L. Elle nous secoue, injustement aurions-nous tendance à dire. Et pourtant, camarades, n'est-il pas vrai que ceux de l’arrière ne comprennent jamais totalement les combattants de première ligne, qu’ils font bien quelques petits gestes de charité ou de solidarité pour libérer leur conscience et soutenir leur quiétude, mais sans se mettre jamais totalement à la place de ceux qui luttent et souffrent pour travailler résolument à faire cesser le conflit... jusqu’au jour où l'armée en retraite découvre votre village que secouent les bombes et que dévastent les envahisseurs.

Une affirmation de solidarité ne suffit pas. Il faut que nous allions au-delà et que nous aidions coopérativement les écoles menacées qui veulent se moderniser pour mieux triompher de la concurrence déloyale dont elles sont victimes. Nous serons à l’avant-garde de cette solidarité laïque dont le Congrès d'Angers devra préciser les modalités.

Nous pourrions demander à toutes nos écoles non menacées de parrainer une école de l’ouest à laquelle :

— on ferait le service régulier, même sans réciprocité, du journal scolaire (cette pratique peut se généraliser) ;

— on enverrait régulièrement des colis, de ces colis qui emballent tellement nos enfants et qui aideront, à maintenir les effectifs de la laïque.

Nous demanderons à tous les camarades qui le peuvent, de verser une 2e part de coopérateurs d’élite, dont le bénéfice sera réservé à une école de l’Ouest (de nombreux camarades ont déjà donné l’exemple).

Nous solliciterons, comme on l’a fait dans l’Yonne, dans la Marne et ailleurs, du S. N. le versement d’un certain nombre de parts de coopérateur d’élite, affectées à des écoles en danger.

La C.E.L. elle-même fera un effort maximum sous une forme qui sera étudiée pratiquement à Angers.

D’autres initiatives se feront jour certainement, qui créeront, à travers la France, un nouveau courant de vie dont nul ne sous-estime la portée dans la guerre sourde qui est menée contre les écoles laïques.

Ces propositions d’action ne prétendent pas se suffire à elles-mêmes et elles n’excluent certes ni l’action syndicale, ni l'action sociale ou politique qui, sur d’autres terrains, coopèrent à cette même lutte. Au contraire, en faisant prendre conscience à nos adhérents des vraies réalités scolaires, nous les préparons à mieux comprendre et à mieux soutenir les réactions salutaires qu’elles nécessitent.

Ce n’est pas la première fois que nous descendons ainsi dans l'arène, à visage découvert, au lieu de nous contenter, comme le suggéreraient certains, de rester dans le domaine idéal de la pédagogie pure.

Nous ne sommes pas des pédagogues « idéalistes », mais des instituteurs plus que jamais mêlés à la vie et qui ne sauraient négliger aucune des exigences des buts que nous nous sommes proposés.

Que l'Ecole religieuse ne vienne pas faire des démonstrations onctueuses de pédagogie nouvelle et de libération de l’enfant. Nous connaissons les élèves qui nous viennent d’écoles religieuses et nous savons ce qu’on en a fait, et le mal que nous avons à libérer leur comportement et leur esprit de l’oppression matérielle et morale dont ils ont souffert. Et nous connaissons la générosité et l'humanité des puissances de réaction qui animent et soutiennent l’opposition scolaire cléricale et nous ne nous faisons aucune illusion sur le sort qui serait fait à nos généreuses initiatives le jour où leur armée fanatisée gagnerait du terrain socialement et politiquement.

Vichy et ses camps de concentration nous ont suffi comme leçon.

En défendant et en aidant les écoles menacées, nous défendons notre Ecole et notre pédagogie. Leur combat c’est notre combat. Nous n'y faillirons pas.

Qu’on ne voie dans cette mise au point aucune attaque d’aucune sorte contre les vrais catholiques et les chrétiens, qui regrettent avec nous des réalités dont nous sommes victimes. Nous demandons aux catholiques qui nous lisent de dire d’ailleurs, ici, très loyalement leur point de vue comme Louis Martin- Chauffier, catholique, a pu donner le sien dans le dernier N° de la Revue Action 49 du mouvement Pour la Paix et la Liberté, qu’anime Yves Farge :

« Ils'agit de se présenter au grand jour, paré de tous ses attributs, et de tirer de nos différences mêmes une preuve supplémentaire que ce qui nous unit est assez fort, un ciment assez bien lié pour que la diversité devienne une richesse et contribue à une plus grande efficience. »

Notre Congrès d’Angers scellera encore une fois cette unanimité dans la diversité, l'efficience et la loyauté.