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Pour la modernisation des techniques d’inspection scolaire

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Octobre 1947

Modernisation des locaux et du matériel, modernisation des outils de travail, modernisation des techniques, — tels sont les problèmes auxquels nous nous sommes plus particulièrement attaqués au cours de ces années passées.

Nous sommes loin encore d'avoir mené à bien toutes ces tâches. La besogne est amorcée ; des milliers, et bientôt des dizaines de milliers d'éducateurs sont à pied d’œuvre. Et surtout l’idée a fait son chemin, le branle est donné. Nous avons fait luire la lumière, et l’on s’aperçoit alors de la vétusté de notre demeure et de l’anachronisme de nos techniques de travail. Les revues pédagogiques elles-mêmes ont été secouées et emboîtent le pas, — oh, certes, en se gardant bien de dire qu’elles emboîtent le pas, — en affirmant plutôt qu’elles ouvrent des voies, avec une exemplaire prudence qui préservera leurs lecteurs des aventuriers que nous sommes.

Savourez, sur ce thème, l’avis que donne à ses lecteurs le n° 1 du centenaire Manuel Général :

« Le Manuel Général ne saurait rester étranger au mouvement de rénovation qui tend aujourd'hui à une transformation complète de notre enseignement dans son organisation comme dans son esprit et dans ses méthodes. Ouvert à toutes les nouveautés, le Manuel Général se réserve cependant de distinguer entre celles dont la réalisation paraît souhaitable, et possible dans un proche avenir, compte tenu des conditions matérielles et morales dans lesquelles l’école exerce son action, et celles qu’une inspiration originale et généreuse, mais pour une part utopique, peut faire bénéficier d’une flambée d’engouement que risque de suivre une déprimante déception. »

L’utopie d’il y a quinze ans est devenue l’enthousiasmante réalité d’aujourd’hui, et nos adhérents d’alors ont heureusement prouvé que la flambée d’engouement devient bel et bien une flamme inaltérable.

Mais passons sur ces remarques pour constater donc que l’idée de modernisation est aujourd’hui dans l’air. A nous de répondre au mieux aux besoins qu’elle suscite, et dans tous les domaines.

Dans tous les domaines, disons-nous.

Il en est deux que nous voulons aborder maintenant, quelles que soient les difficultés de tous ordres que nous allons rencontrer et les susceptibilités que nous allons, malgré nous, taquiner. Il s’agit de la MODERNISATION DES TECHNIQUES D'INSPECTION SCOLAIRE, et de la MODERNISATION DES EXAMENS

Attaquons donc courageusement le premier sujet.

* * *

Nous prions d'abord MM. les Inspecteurs de ne voir dans l’analyse que nous allons présenter et dans les propositions d’action que nous formulerons, aucune critique particulière à leur égard. Pas plus que nous nous en prenons aux instituteurs encore traditionnalistes quand nous faisons le procès véhément d’un état de choses dépassé. .

Inspecteurs comme instituteurs, avec conscience et dévouement, remplissent leurs fonctions dans un mécanisme dont ils sont les premières victimes. Les instituteurs, même s’ils manifestent des velléités de libération, sont souvent dominés par les conditions de milieu, d’organisation scolaire, de matériel, de programmes et d’examens dont il n’est pas sans danger de se dégager hardiment, — et nous en parlons par expérience. Ce n’est pas par hasard si notre mouvement s'est développé si puissamment d’abord dans les écoles rurales où l'éducateur garde malgré tout les coudées plus franches dans le cadre familier de la communauté paysanne. Nous ne croyons pas exagérer en affirmant que les Inspecteurs tout comme les instituteurs et les directeurs de villes sont autrement dominés par un appareil dont il n’est pas simple de se libérer.

Nous ne nous en prenons ni aux uns ni aux autres, mais seulement à la mécanique dont nous sommes tous plus ou moins victimes et qu’il nous faut, d’un commun effort, faire tourner à un rythme, et dans un sens, plus conformes aux besoins de notre école populaire.

* * *

Modernisation des techniques d’inspection scolaire ?

La question n’aurait même pas à être posée. L’Inspection se pratique aujourd’hui comme elle se pratiquait 'il y a quarante ans, — et l’on pourrait peut-être remonter plus loin encore ; mais parlons seulement de ce que nous connaissons bien.

Je me souviens des inspections faites dans la petite école de village où je commençais mes classes il y a quarante ans. Un petit monsieur en redingote, faux-col et chapeau melon, regardait avec suspicion nos cahiers, nous posait d'une façon inhabituelle des questions qui nous laissaient bouche bée, peut-être parce qu’effectivement nous n’aurions sans doute pas su que répondre, mais peut-être bien aussi à cause de la redingote, du faux-col et du chapeau melon dont nous voyions des spécimens pour la première fois.

Puis M. l'Inspecteur se mettait en devoir de montrer à notre instituteur paysan comment, selon les méthodes nouvelles d’alors, devait se pratiquer une leçon de choses habilement menée.

Nous étions en rond devant le tableau, autour de M. l’Inspecteur qui sortait de sa poche un petit outil dont il manœuvrait les lames en nous interrogeant :

— Qu’est-ce que cela, mes petits ?...

(Nous étions aussi ahuris que s'il nous avait demandé le nom de sa redingote, de son faux-col et de son chapeau melon.)

— Allons... c’est un... ca... !

— Un couteau... hasardait le plus déluré de la bande.

— Non... C’est un... un... canif !.

Jugez de notre ahurissement, à nous qui n'avions jamais manœuvré que les gros couteaux à manche de corne que nous enviions aux étalages des foires et avec lesquels on fait tant de choses quand on garde bœufs ou moutons !...

En 1933, près de 30 ans après, l’Inspecteur me contrôlait selon une identique technique.... Et je pourrais en dire sur ce thème ! Mais l’Inspecteur n’avait plus ni redingote ni chapeau melon. C'était sans douté le changement technique le plus important. Il avait encore le faux-col.

L’Inspecteur qui nous visite en 1947 a abandonné jusqu’à son faux-col. Il descend, essoufflé, de sa bicyclette, — en attendant de retrouver son auto —. Il entre à l'école en s'épongeant. C’est, sans nul doute, moins impressionnant et plus humain. Il est d'ailleurs en chemise Lacoste, peut-être même en short.

Mais nos camarades diront ici si, en 1947, la technique de l’Inspection a changé dans sa nature et dans son esprit. Les Inspecteurs diront s’ils ne sont pas astreints aux mêmes rapports, selon les mêmes formes, peut-être avec les mêmes imprimés qu’au début du siècle. Et si tout ne reste pas à faire dans ce domaine.

Ces simples constatations posent l’essentiel du problème.

N'est-il pas anormal que la technique de l’Inspection soit la même en 1947 qu’en 1907, alors que la vie autour de l’école a évolué à un rythme accéléré, de la redingote-et du faux-col, à la chemise Lacoste et au short ?

Mais l’école, nous objectera-t-on, cet asile de paix et de tradition, n’évolue pas forcément au rythme de la vie ambiante, et le décalage que vous critiquez est, en réalité, beaucoup moins marqué !

Hélas ! Nous connaissons encore, il est vrai, des écoles qui travaillent en 1947 comme en 1907 et qui sembleraient, en effet, justifier cette permanence statique des techniques d'inspection. J’ai sous les yeux une méthode de lecture par Berneuil, Cayasse et Lançon, I. P., et De Jaqx, directeur d’école, qui est toujours éditée par Druez, à Landrecies (Nord), que certains directeurs d’école imposent encore à leurs adjoints et qui ne se rééditerait pas d’ailleurs si elle ne se vendait pas. Il suffit d’en voir les illustrations, haut de forme, chapeau de paille et béret marin, souliers Richelieu et bottines à boutons, lavabo, broc et seau hygiénique, sans oublier ce délicieux dessin du bain de pieds représentant une dame fanfreluchée trempant délicatement ses pieds dans une cuvette fleurie, pour se rendre compte à quel point ce livre 1900 est un anachronisme dans les écoles 1947.

Mais ces écoles, et ces techniques, et ce piétinement retardataire, qui étaient naguère la norme, deviennent chaque année davantage l’exception, dont on s'excuse et dont on tente de se justifier par la pauvreté, le milieu, l’inexpérience... ou l'approche de la retraite.

Il est incontestable que, depuis dix ans, et depuis la Libération plus spécialement, les techniques pédagogiques, et l'esprit même du travail scolaire ont évolué à un rythme accéléré.

Les programmes, les instructions, et les actes officiels, tendent à normaliser cette évolution. Des outils nouveaux pénètrent officiellement dans nos classes : texte libre, imprimerie, correspondance interscolaire, enquêtes, fichiers, étude du milieu, gravure du lino, dessin, disques, radio, cinéma.

C'est un fait ; et nous ne saurions trop nous en réjouir.

Et dans ces classes ainsi officiellement modernisées, l’Inspecteur entrera encore en coup de vent, parce qu’il a quatre inspections à faire dans la matinée ; il n’aura pas le temps de s’attarder, même s’il en a le désir, à écouter battre la vie nouvelle de la classe ; il sera par contre très sérieusement gêné dans son inspection, parce qu'horaires et programmes auront été bousculés, — avec l’assentiment ministériel d’ailleurs, — au profit de la poursuite passionnante de l’intérêt dominant.

Nous comprenons fort bien l'embarras de nos Inspecteurs actuels. Ils doivent donner leur appréciation motivée — avec note — sur les leçons entendues, — à nous qui ne faisons plus de leçons. Les qualités majeures que l’Ecole cultive désormais : aptitude et application au travail effectif, curiosité, intelligence active, sens de la communauté et de la coopération, pouvoir de création artistique, connaissances profondes plus que formelles, — tout cela ne saurait se mesurer désormais par quelques interrogations hâtives ou l'examen de tâches plus souvent collectives qu’individuelles.

Graves problèmes sur lesquels nous devons, tous ensemble, nous pencher d’urgence.

Tant que la norme de la production économique était l’artisanat rudimentaire, avec des techniques simples et des outils centenaires, le contrôleur pouvait passer rapidement d’une boutique à l’autre et, d'un coup d'œil, juger avec précision de leur activité et de leur efficience.

Puis quelques techniciens hardis ont introduit dans leurs ateliers des outils de travail et des pratiques qui bouleversent peu à peu les normes de vie et de rendement. Le premier geste du contrôleur est de s'opposer à ces modifications qui rompent la quiète harmonie de pratiques ancestrales. Haro ! sur la nouveauté et les novateurs ! On connaît cela !...

Mais la machine produit plus vite et à moins de frais en diminuant la fatigue de l’homme au profit de l’efficience. Rien ne prévaut contre l'évidence de ces conquêtes. Peu à peu, les boutiques se modernisent. Le nombre des usines différenciées dépasse celui des ateliers artisanaux. Et le contrôleur entrerait dans les usines modernes avec les soucis et les instruments de contrôle qui lui ont servi pendant un siècle dans la boutique primitive !... Il se boucherait les oreilles pour ne pas entendre le bruit des machines ; il détournerait les yeux des objets fabriqués qui sortiraient à une allure accélérée des machines merveilleuses !... Il se réfugierait peut-être dans un bureau .à l'écart pour compulser les papiers, derniers vestiges qui le raccrochent à une technique morte.

Il en est ainsi pour l’inspection.

Les classes modernisées doivent être inspectées selon des techniques modernes. Il y va de la valeur de notre éducation, de son adaptation aux exigences du progrès, de notre conception de la justice et de la culture humaines.

* * *

Nous ne croyons pas qu’une seule voix, — qu'elle soit d’inspecteur ou d’inspecté, — puisse s’élever contre cette saine argumentation de principe. Et si nous sommes tous d’accord, à l'œuvre donc pour la modernisation des techniques d'inspection.

Nous demandons à MM. les Inspecteurs de nous dire comment, selon eux, pourrait être reconsidéré tout leur travail, les réformes organiques et administratives que cette reconsidération suppose et nécessite les conditions à remplir pour qu'ils puissent remplir non seulement leur rôle de contrôleurs mais aussi celui de conseillers et de guides pédagogiques dont nous aurions tant besoin.

Nous demandons à nos camarades instituteurs de nous donner eux aussi leur point de vue sur les mêmes questions. L'Educateur publiera, en évitant tout-ce qui pourrait nuire à cet effort commun que nous voudrions susciter pour l’aboutissement d’une réforme dont notre Ecole Laïque sera, en définitive, la grande bénéficiaire.

Nous savons qu'il suffit de lancer l'enquête avec la résonnance que lui donne aujourd’hui la diffusion de notre revue pour que les revues d’éducation, les organisations, syndicales et bientôt les pouvoirs publics préparent des réformes sans lesquelles les conquêtes actuelles manque raient de sécurité, d’assises, d'harmonie.

C . FREINET.

LECTURE GLOBALE à l'Ecole Populaire

(LUCIENNE MAWET)

Notre collection Brochures d’Education Nouvelle Populaire renferme une brochure bien connue de tous ceux qui se sont penchés sur la question de l’apprentissage de la lecture ; il s’agit du numéro 7, édité en 1938 : Lecture globale idéale par l'imprimerie à l'école de Lucienne Mawet, notre collègue qui, avec son mari, dirige la Société belge d’Education populaire, qui est à la Belgique ce que la C.E.L. est à la France,

Lucienne Mawet a édité en Belgique une autre brochure qui a pour titre : Lecture globale à l'Ecole populaire. Forte de 84 pages, alors que la nôtre n’en compte que 30, elle a une originalité suffisante pour qu’il ne soit pas inutile de la présenter aux imprimeurs français.

Précédée d’une courte introduction de Freinet et d’une longue préface d’Adolphe Ferrière, la brochure belge s’attarde plus longuement sur les aspects théoriques de la lecture globale. Mais la partie proprement technique n’en est pas sacrifiée pour cela, au contraire. Si l’on y retrouve tout ce que contient notre brochure, avec des exemples différents et présentés de façon plus claire, on y rencontre, en plus, les résultats des essais de trois collègues belges. Celui qui voudra apprendre à ses élèves la lecture par la méthode globale et l’imprimerie trouvera donc dans la seconde brochure de Lucienne Mawet une documentation plus riche et plus précise, et ses tâtonnements en seront diminués d’autant.

Cela suffirait pour justifier l’acquisition de la brochure belge. Mais il faut aussi signaler le soin qui a été apporté à sa réalisation.

Notre collection de Brochures d’Education nouvelle populaire veut documenter au prix le plus bas, et son succès toujours croissant prouve qu’elle atteint l’objectif visé. Mais cette recherche du bon marché fait que la forme eut peu soignée. L’édition belge, au contraire, nous frappe par sa qualité : un texte aéré, parfaitement présenté, sur papier glacé. Nous avons malheureusement perdu l’habitude d'éditions aussi belles. Faut-il préciser que le prix de vente est, lui aussi, bien différent de celui de la brochure française ?

Je conseille donc, à ceux qui le pourront, de faire l’acquisition de la brochure belge de Lucienne Mawet, pour toutes les raisons que j’ai énumérées ci-dessus, mais aussi pour nous faire prendre un contact plus étroit avec les belles réalisations de nos amis belges. — L. LORRAIN

La brochure : 100 francs.

DE NOS AMIS SUISSES

Les Suisses participants au stage de cet été ont retrouvé pâturages, sapins, montres... ; le cadre de leur activité est le même, mais un esprit nouveau régit plusieurs de leurs classée.

Je vois la joie et l’intérêt des enfants, les résultats obtenus par les diverses techniques étudiées au cours de cette année. Que Freinet trouve ici l'expression de la reconnaissance de toute la délégation helvétique.

Durant cette semaine, nous avons aussi pris conscience de la grande chaîne formée de tous les éducateurs présents ; chaîne que frontières et préjugés de toutes sortes ne put rompre. Je pense en particulier à la soirée internationale du 23 juillet, nous ne nous sentions plus les représentants de pays différents mais les divers membres d’une même grande famille.

JEAN ZIMMERMANN.