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DITS DE MATHIEU - hymne au travail

Novembre 1947

Si nous savons, avec une suffisante précision, ce que désire l’enfant, ce dont il a besoin pour suivre ses lignes de vie, il ne nous reste qu’à trouver cette conjonction délicate entre la richesse, hélas ! trop hétéroclite des générations passées et présentes, et l’intrépide et instructive hardiesse des êtres jeunes partis à la conquête de leur avenir. Ce trait d’union, c’est le travail !

Organisons le travail pour que, de bonne heure, l’enfant se familiarise avec ses obligations, mais en ressente aussi les satisfactions incomparables ; qu’il centre graduellement sa vie sur cette nécessité fonctionnelle ; que sa nature se l’incorpore, à tel point que, malgré les sollicitations, les perversions, les illusoires jouissances que la civilisation lui offrira, il revienne toujours, après ses erreurs, à la seule activité nourricière et salvatrice : le Travail.

Oh ! il ne s’agit point d’écrire des hymnes en l’honneur du travail producteur de vraies richesses, ni d’exalter poétiquement les gestes qu’il suppose, et encore moins d’expliquer philosophiquement son intégration dans le destin du monde. Explique-t-on la faim, le besoin de faire jouer ses muscles, le désir de connaître, de se perfectionner pour augmenter sa puissance ? Explique-t-on l’amour ? Vous direz peut-être que oui, que des savants s’y sont employés non sans succès... C’est possible, mais ce n’est pas encore là que je veux en venir. Est-ce qu’une explication scientifique, philosophique ou morale est susceptible de calmer notre faim, de satisfaire notre besoin d’action — travail ou jeu — de stimuler ou de modérer l’amour ? Non : ce sont des réalités inéluctables, conséquences des fonctions normales de notre être. On s’illusionne quand on croit les atteindre du dehors. Ce n’est pas quand l’eau est passivement emprisonnée en amont d’un barrage qu’on risque, de la diriger vers quelque destinée ; c’est lorsqu’elle dévale, impétueuse, ou court en chantant sous les feuillages qu’on peut canaliser ses vertus et sa force.

Le travail, ce n’est pas une chose qu’on explique et qu’on comprend ; c’est une nécessité qui s’inscrit dans le corps, une fonction qui tend à se satisfaire, des muscles qui jouent, des relations d’intime concordance qui s’établissent, des trajets qui se réveillent et se renforcent.

C’est en mangeant qu’on nourrit le corps et non en philosophant ; c’est en faisant de l’exercice qu’on fortifie les muscles et non en décomposant scientifiquement les mouvements ; c’est en travaillant que s’exalte la fonction travail jusqu’à acquérir tout son sens et toute sa valeur humaine.

Et on le sait bien dans le peuple : celui qui a été habitué de bonne heure à travailler restera travailleur ; celui, au contraire, qui n’a pas appris à rechercher le travail et à s’en satisfaire, s’orientera vers d’autres voies dangereuses : substitut, compensations et explications.

Extrait du livre de Freinet : L’Education du Travail.