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DITS DE MATHIEU - L’école sera-t-elle chantier ?

Novembre 1947

Vous trouvez, je sais, que le mot de chantier, comme celui de travail dont je vante la noblesse, est trop chargé de peines, de : souffrances, de privations et d’injustes sacrifices.

Et pourtant, regardez si vos enfants, quand ils ne sont pas sous votre dépendance, n’organisent pas des chantiers de travail : pour dévier le cours d’un ruisseau et remplir une mare ou attraper des poissons ; pour aménager un tas de sable en place forte ; pour construire un village d’indiens... Et quel enthousiasme, là, quel acharnement et quelle activité ! Ah ! ils ne ménagent pas leur peine ni leur sueur ! Ils vont jusqu’à la limite de leurs forces, toujours, parce qu’il est dans la nature humaine de se surpasser... Ils en oublient même de manger!...

Leur effort ne s’accomplit pas forcément dans une ambiance de rires et de chants — qui ne sont qu’une des manifestations, et pas la plus courante, du vrai travail. — Il y a de la souffrance et des \ grincements de dents... Il y a de la vie !

Et l’enfant rêve la nuit de son chantier et attend avec impatience le jour nouveau pour recommencer.

Ne croyez-vous pas que si l’Ecole devenait un chantier aussi enthousiasmant que la montagne de sable ou la cabane d’indiens ; si vos élèves en rêvaient la nuit ; s’ils se donnaient ainsi à 100 %, muscles tendus et dents serrées, à leur travail, il y aurait quelque chose de changé dans l’atmosphère de vos classes et dans le rendement de vos efforts ?

Impossible ! disaient les vieux pédagogues... Parlez-leur de jouer, oui, mais ils n’aiment pas le travail...

Ils n’aiment pas le travail, ni le chantier — et les adultes réagissent de même — tant que l’effort qu’ils nécessitent n’est pas lié à leur vie profonde, à tout leur comportement, non seulement économique et social, mais psychique aussi.

Mais organisez la Coopérative scolaire, cette société d’enfants qui naît spontanément lorsqu’il s’agit de construire la cabane d’indiens ; donnez à vos élèves des outils de travail, une imprimerie, du linoléum à graver, des couleurs pour dessiner, des fiches illustrées à consulter et à classer, des livres à lire, un jardin et un clapier, sans oublier le théâtre et le guignol, l’Ecole sera ce chantier où le mot travail prend toute sa splendeur à la fois manuelle, intellectuelle et sociale, au sein duquel l’enfant ne se lasse jamais de chercher, de réaliser, d’expérimenter, de connaître et de monter, concentré, sérieux, réfléchi, humain !

Et c’est l’éducateur alors qui se fera à son image.