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Préparons très soigneusement notre Congrès de Toulouse

Mars 1948

La Commission d'organisation de notre Congrès de Toulouse s'est réunie à Toulouse, en présence de Freinet, le 12 février dernier. Une trentaine de camarades étaient présents, venus non seulement de Toulouse mais aussi des départements voisins directement intéressés. Les vieux chevronnés étaient là, certes, prêts comme toujours à se dévouer et à montrer la voie aux jeunes enthousiastes qui, déjà, ont fait la relève.

Les indications concernant l’accueil ont déjà été données, et les compléments d'information paraîtront d'autre part. Nous voudrions nous attacher ici à préparer soigneusement la manifestation pédagogique de la plus haute importance que sera ce Congrès.

En lisant l’horaire du Congrès, paru sur notre supplément bleu, un camarade me disait : « Alors, il n’y aura pas de discours ; ce sera vraiment un Congrès de travail ! Et pourtant, il faudrait bien que tu expliques, une fois au moins, aux nouveaux venus qui seront là, l'esprit, la mystique, de la C.E.L.!»

Nos principes pédagogiques, qui se sont révélés si fonctionnellement supérieurs pour nos classes, sont valables aussi pour notre propre travail. Vous faites une leçon bien réussie à votre classe attentive, comme ce camarade qui, dans un Cours complémentaire, avait brillé devant ses fillettes intéressées, et qui, en voyant deux élèves chuchoter, se rengorgeait déjà : « Elles doivent se dire leur satisfaction d’une leçon si simple et si suggestive... Voyons, mes fillettes, que dites-vous donc ? » Elles hésitent, rougissent... Le maître sent que son amour-propre est sûrement en cause. Il persiste donc pour avoir une réponse :

« Monsieur... elle me demande si mes cheveux frisent naturellement !..»

Je crains fort que, lorsque j’aurai parlé pendant deux heures devant un auditoire enthousiaste, on n'entende chuchoter aussi... si le pâté de foie gras toulousain était bon.

La chose est plus sérieuse qu'il n'v paraît. Il y a deux ans, au cours de dizaines de conférences, j’ai parlé à travers la France à des dizaines de milliers d'éducateurs que j’avais cru convaincre, que j'avais peut- être convaincus. Mais cette conviction, comme pour nos élèves, n'était pas allée plus profond que la compréhension intellectuelle et sensible ; — elle ne s’était en rien intégrée à leur être ; elle ne s'était point inscrite dans leur comportement scolaire. Les exigences de la vie scolastique avaient bien vite repris le dessus. L’Instituteur avait douté, puis il était retourné à son scepticisme et à sa tradition.

Je ne veux pas dire que ces conférences n’aient absolument servi de rien. Comme on ne peut pas dire qu’une belle leçon soit toujours totalement inutile. Mais l’expérience est là : Dans les départements où ma parole n’a pas été matérialisée par l'action de nos adhérents, dans les démonstrations, dans les réunions de groupe, dans les classes témoins, nous avons reperdu une bonne partie du terrain qu'ont gagné, au contraire, certains départements où il n’y a pas eu de conférence Freinet, mais où les camarades ont travaillé selon nos conseils.

A l’avenir, d’ailleurs, nous tiendrons compte de ces enseignements de l'expérience.

Nous ferons donc de notre Congrès un Congrès de travail, avec le moins possible de discours. Si les jeunes présents ont puisé dans notre exemple la possibilité technique de se dégager de la routine, s'ils ont compris toute la portée qu'ouvre aux instituteurs notre Education du travail, s’ils sont à même de travailler avec plus d’intérêt et d’efficience dans leur classe, avec plus de sens coopératif au sein de notre Institut, nous aurons, mieux que par des discours sans éloquence, rempli notre rôle d’animateurs et d'organisateurs.

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Dans l’organisation de ce Congrès de travail, nous avons naturellement tenu compte des enseignements de notre Congrès de Dijon, qui avait été pour ainsi dire mixte, partagé qu’il avait été entre les conférences et le travail des Commissions, Mais à Dijon, le travail de ces Commissions avait été, sauf pour quelques équipes, nettement insuffisant. La cause en avait été la multiplicité des Commissions et l'impossibilité matérielle de consacrer à chacune d’elles le temps minimum indispensable, dans un Congrès de trois jours.

Nous avons tâché de corriger cette insuffisance en groupant toute l’activité de notre Institut en trois équipes de travail qui disposeront au total, chacune, selon notre horaire, de six heures de travail.

De plus, chacune des trois séances plénières sera consacrée à la discussion de l’activité de l’une de ces équipes de travail.

Si nous avons établi un ordre du jour précis pour le travail de ces équipes, si nous savons ordonner le débat et animer la discussion, le travail devrait être profond et profitable.

Chacune de ces équipes aura également son rayon à l’exposition qui matérialisera pour ainsi dire le sens de la discussion.

Voici la répartition prévue :

1ere EQUIPE : MATERIEL DIVERS (Imprimerie — Polygraphie — Gravure — Découpage — Cinéma — Disques — Radio - Fêtes scolaires)

Participeront plus spécialement à cette équipe, les Commissions suivantes : 8 - Enseignement technique — 16 - Matériel scolaire — 17 - Jardinage et culture — 24 - Sciences — 29 - Photos, films fixes — 30 - Cinéma — 31 - Disques et Musique — 32 - Radio — 34 - Théâtre, Guignol — 27 - Pipeaux.

La discussion sur le travail de cette équipe aura lieu au cours de la séance plénière du mardi soir, 21 h., avec le thème : Bases expérimentales et techniques de l’Ecole Moderne.

Les Commissions de cette équipe — et tous les travailleurs actifs de ces Commissions — doivent dès maintenant penser à l’exposition technique que nous voulons organiser.

Nous disons bien : exposition technique pour bien en marquer le caractère particulier. Nous désirons qu’elle reflète l'activité générale de notre mouvement pédagogique, qu'y soient concentrés tous les essais, toutes les recherches, toutes les réussites de nos adhérents. Nous y montrerons quelques-uns des ancêtres chronologiques de nos presses actuelles. Mais il faut que tous les chercheurs confrontent là leurs découvertes : si vous avez imaginé un perfectionnement à nos presses, ou si vous avez construit, une nouvelle presse ; si vous avez réussi une presse à lino pratique, un système de margeage, un séchoir, un rouleau, des appareils de sciences simples, un appareil de projection, des films, des têtes de guignol, etc..., vous devez apporter ou envoyer tout cela à notre exposition de Toulouse. La C.E.L. prendra à sa charge les frais de port pour les envois par poste. Pour les envois par gare, nous consulter au préalable pour que ne soient pas engagés des fonds que nous ne serions pas en mesure de couvrir.

Il ne s’agit point, dans notre esprit, de monter ainsi une manifestation spectaculaire, mais de procéder à une élémentaire confrontation de nos travaux. Nous essayons de faire cette confrontation par nos publications, par notre Educateur, par nos Bulletins. Ce n’est pas suffisant.

Si nous avons l'avantage de faire périodiquement le point général de nos travaux, bien des tâtonnements, bien des erreurs seront ainsi évités.

Ne dites pas : je ne suis qu’un pauvre petit instituteur ; mes idées ne sauraient être originales ; les as ont découvert tout cela avant moi...

Ce que nous avons découvert n’est rien encore à côté de ce qui reste à faire, et ce sont les jeunes surtout, qui ne sont pas encore sclérosés dans des techniques désuètes, qui nous permettront d’aller toujours plus, avant.

N'en doutez pas : l’originalité et la force de la C.E.L. c'est de posséder ainsi des centaines de travailleurs actifs, dévoués à un même idéal, unis par un même but.

Tous ensemble, nous progresserons.

Préparez donc tout de suite votre participation au Congrès et à l’exposition. Informez-nous et entrez en contact avec vos responsables de commission et avec votre responsable départemental qui ont reçu et recevront toutes instructions à cet effet.

 

2e EQUIPE : PREPARATION, MISE AU POINT ET EDITION DES DOCUMENTS DE L’ECOLE MODERNE : FICHIERS DIVERS, B. T., B. E. N. P., LIVRES D'ENFANTS, ETC...

Il y aura là un très gros travail de confrontation et de mise au point technologique à faire, et qui a tout autant d’importance, et parfois plus même, que la mise au point du matériel. Je dis parfois plus parce que les éditions diverses pénètrent plus facilement dans les classes que notre matériel spécialisé. Elles font plus facilement le pont entre les vieilles méthodes et les techniques que nous recommandons. On peut dire, dans une certaine mesure que nos B. T. et nos fichiers sont à l'avant- garde de la lutte que nous menons pour l’Ecole Moderne.

Or, nous n'avons pas encore totalement dépassé la période de tâtonnement : la forme et le contenu de nos B. T. sont heureusement fixés, mais bien des aménagements et des enrichissements peuvent et doivent encore y être apportés. Notre F.S.C. est une construction incessante. Tout reste à faire encore pour les fichiers auto-correctifs auxquels nous devons pourtant imprimer nos exigences pédagogiques pour éviter les nombreuses déviations qui les menacent

Nous avancerons plus dans cette voie en quelques heures de discussion qu’en des mois de correspondance.

Cette équipe aura également son coin à l’exposition et nous demanderons à nos adhérents d'envoyer ou d’apporter tous les travaux qu'ils ont réalisés : projets de B. T., de fiches auto-correctives, etc... Pour certains de ces documents, des panneaux suggestifs seraient les bienvenus.

Le mercredi soir, la séance plénière sera consacrée à la discussion générale des travaux de celle équipe.

Participeront, plus spécialement aux travaux de celle Commission :

18 - Fichier de calcul général — 19 - Fichier Scolaire coopératif — 2U - Fichier auto-correctif — 21 - Bibliothèque de travail — 23 - Livres d’enfants — 25 - Histoire — 26 - Géographie.

3e EQUIPE : LA TECHNOLOGIE DE L’ECOLE MODERNE : ORGANISATION DU TRAVAIL SCOLAIRE — EMPLOIS DU TEMPS PLANS DE TRAVAIL — CONFERENCES — QUESTIONS — INSPECTIONS — EXAMENS — BREVETS

Participeront plus spécialement à ce travail les commissions suivantes : 1 - Plans de travail — 2 - Ecoles Maternelles — 3 - Classes uniques — 4 - Ecoles de villes — 6 - Cours complémentaires — 9 - Education populaire — il - Psychologie, Perfectionnement — 12 - Mouvements d’enfants — 13 - Examens — 35 - Pays bilingues - - 36 - Inspection primaire — 37 - Monographie — 38 - Brevets.

Un très gros morceau, certes, que nous ne pourrons discuter à fond. Il faudra se résoudre sans doute à se mettre d'accord sur les principes et sur la méthode de travail pour Tannée à venir.

Mais nous tenons à marquer du moins la place importante que doit tenir dans nos efforts communs la technologie de notre Ecole moderne.

Nous bouleversons les méthodes de travail, et, par là même, le comportement des éducateurs. La technique du travail nouveau s'enseigne. Ce n’est pas parce que nous en aurons fixé minutieusement, ensemble, les modalités et l’évolution, que nous allons sombrer à nouveau dans la scolastique. Cette mise au point technologique est une condition essentielle de la diffusion, et peut-être bientôt de la généralisation de nos techniques.

Les progrès faits dans ce domaine au cours de ces dernières années nous montrent que nous sommes sur la bonne voie.

Il y aura l’exposition à garnir également pour cette équipe : modèles de plans de travail, de brevets, de monographie et surtout travaux réalisés dans les divers cours, panneaux montrant l’exploitation pédagogique d'un texte ou d’un complexe d'intérêts. Nous ne manquerons pas d’éléments : il nous faudra rechercher l'excellence.

La soirée du jeudi sera consacrée à la discussion de cette importante question.

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Nous allons, par circulaires et par lettres, préparer le travail de ces commissions. Nous désignerons d’avance, pour chaque séance, un responsable susceptible d’animer et de diriger la discussion. Un ordre du jour des travaux pour chaque séance sera affiché afin que les camarades puissent se diriger selon leurs désirs et leurs compétences.

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Les Assemblées générales de la C.E.L. et de l’Institut étudieront les possibilités de faire passer dans la réalité les idées ou les projets mis au point par les équipes de travail.

Ainsi donc, vous savez que vous viendrez au Congrès de Toulouse non pour y entendre des discours, mais pour y continuer, au contact d’autres camarades, l’œuvre que vous avez commencée dans vos écoles. Vous verrez là ce qu'ont réalisé des camarades comme vous, qui sont dans les mêmes conditions que vous, qui affrontent chaque jour les mêmes difficultés. Nous mettrons en commun nos expériences ; nous nous connaîtrons et nous apprécierons mutuellement.

Vous en retournerez plus enthousiastes et plus forts, mieux armés aussi pour continuer la lutte — car toute création hors de la routine est une lutte permanente. Nous confronterons nos solutions également avec celles des Inspecteurs Primaires qui voudront bien participer à nos travaux. Nous discuterons sur la Culture populaire, les Mouvements d’enfants, le technique.

Et vous verrez surtout ce qu’est cet esprit de travail de la C.E.L., qui, par-delà et par-dessus les aigrissantes discussions idéologiques, politiques et syndicales, maintient depuis plus de vingt ans la véritable unité des éducateurs, celle que cimentent notre commun amour des enfants du peuple et le but généreux que nous donnons à notre sacerdoce : la valeur éminemment libératrice de notre Ecole Moderne.