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DITS DE MATHIEU - la notion de vitesse

Mai 1948

Les instituteurs sont encore, dans leurs classes XIXe siècle, comme ces paysans qui, il y a cinquante ans, voyaient passer, dans les rues paisibles de leurs villages, les premières autos pétaradantes et empoussièrantes.

— Si c’est possible, aller si vite !... S’ils ne pourraient pas marcher comme tout le monde ! Et ce bruit !... Voyez, ils ont failli écraser mes oies !

L’instituteur n’aime pas la vitesse, sans doute parce qu’il n’est pas équipé pour la supporter. Il peste aussi bien contre le cancre qui est toujours en panne que contre le surnormal qui a terminé un devoir avant que les autres l’aient commencé et qui rompt, par ses exigences, le rythme paisible de la classe.

Nous sommes lancés sur une route où frémissent les autos, serrées de près par les vélos ; des chevaux fringants galopent suivis par la placide voiture à âne que pousse une paysanne. Et, à la queue, l’homme traîne un cochon grincheux. Le chemineau clôture la marche, point pressé d’avancer puisqu’il ne trouvera pas mieux devant lui que derrière.

L’Ecole voudrait mettre tout ce monde au pas, ralentir autos et vélos, secouer le chemineau et régler son rythme sur la voiture à ânes. Sinon, comment voulez-vous effectivement qu’elle suive et harmonise des sujets aussi capricieusement disparates ?

Comment ? En se plaçant hardiment en face de la réalité : il y a des enfants rapides et pétaradants, des cyclistes hardis, des chevaux fringants, des ânes paisibles et des chemineaux débonnaires. Pourquoi ne pas les laisser s’en aller au rythme de leur nature, qu’ils accéléreront d’eux-mêmes.

Il suffira de reconsidérer le système de travail et la notion de vitesse pour stimuler et servir la vie.